Imprimer en 3D un bébé univers
Publié le 15 novembre 2016 par Elsa Ferreira
L’astrophysicien David Clements, assisté d’un groupe d’élèves de l’Imperial College de Londres, a converti la cartographie de «la plus ancienne lumière de l’univers» en un fichier pour imprimante 3D. Makery l’a rencontré.
Londres, de notre correspondante
En astrophysique, on appelle ça le fond diffus cosmologique (FDC) ou le rayonnement fossile. Un rayonnement électromagnétique qui permet de cartographier l’univers (qui est aujourd’hui âgé d’environ 13,5 milliards d’années) alors qu’il n’avait que 380 000 ans après le Big Bang.
« Lorsque le Big Bang s’est produit, l’univers était très chaud et relativement dense. Il était alors fait de plasma et les protons et les électrons (qui en se rejoignant forment des atomes, ndlr) étaient séparés sous l’effet de la chaleur », explique David Clements, astrophysicien spécialiste de l’observation des étoiles et des galaxies cachées par la poussière interstellaire présente dans l’univers, ou dont la lumière a été modifiée par cette poussière.
« Le plasma est opaque, continue le chercheur : les photons (la particule associée aux ondes électromagnétiques, ndlr), ne passent pas à travers. Mais à mesure que l’univers s’étend, il refroidit. Jusqu’à environ 380 000 années après le Big Bang, lorsque les électrons et les protons peuvent se combiner pour la première fois. » Et que les photons peuvent enfin traverser sans rebondir sur la matière. « C’est le moment où l’univers est devenu transparent », résume-t-il. C’est aussi la plus vieille lumière de l’univers, la première qui ait pu atteindre les satellites d’observation.
Pourquoi c’est important ? Parce que le FDC est « la meilleure vue de l’endroit d’où nous venons », tranche le chercheur. « Les parties plus denses et plus chaudes ont effectué une attraction gravitationnelle et se sont effondrées sur elles-mêmes sous l’effet de la gravité. Cela a créé la formation de structures de grande ampleur, des galaxies, des étoiles, des planètes, nous… tout ce qu’on voit aujourd’hui. »
Distorsion, ou quand l’Afrique apparaît plus petite qu’elle n’est
Pour capturer cet instant, ce bébé univers à 380 000 ans après le Big Bang, les astrophysiciens disposent de merveilleuses cartes établies à partir des données recueillies par leurs satellites, et notamment Planck, un observatoire spatial développé par l’Agence spatiale européenne (Esa), avec la participation de l’agence américaine (Nasa), chargé de détailler les variations de températures du FDC et de rechercher l’origine de l’univers.
Mais ces plans ultra détaillés sont parfois difficiles à explorer. La faute, entre autres, à la distorsion créée quand on passe d’un globe (3D) à une représentation plate (2D). Ce changement de format « produit toujours de la distorsion », regrette le chercheur. « Sur une carte du monde, le Groenland paraît énorme et l’Afrique n’est pas aussi grosse que dans la réalité. En fait, vous pourriez prendre tous les autres continents, les faire entrer dans l’Afrique, il resterait de la place. Sur une carte, ça n’a pas l’air comme ça. »
Les astrophysiciens observent les cartes de manière « scientifique et quantitative » et se servent des données brutes pour faire leurs calculs. « Si vous utilisez seulement vos yeux pour visualiser les raisonnements fossiles, les distorsions peuvent être trompeuses », poursuit le chercheur. Alors qu’avec une sculpture cosmique 3D, il suffit d’effleurer la sphère pour repérer les caractéristiques inhabituelles.
Le fichier d’impression 3D mis au point par le professeur et son équipe s’adresse aussi aux personnes malvoyantes et aveugles. « L’astrophysique est un domaine tellement visuel, avec des images tellement extraordinaires, mais ça n’atteint pas ceux qui ne peuvent pas les voir », regrette le chercheur, qui dit avoir engagé des discussions avec un doctorant de l’université de Sussex qui prépare une thèse sur les manières alternatives de représenter les données astronomiques pour que les personnes malvoyantes puissent en faire l’expérience.
Image partagée par l’Esa à ses 226 000 abonnés Instagram:
Une photo publiée par ESA (@europeanspaceagency) le
Avec ses reliefs, la sculpture cosmique 3D est une piste, même si la représentation diffère des données brutes du satellite : l’équipe a dû magnifier les bosses et les creux représentant les variations infimes de températures (une représentation à échelle aurait été plus lisse qu’une boule de billard !), atténuer les détails aussi, pour alléger le fichier et supprimer ceux que l’imprimante ne peut imprimer.
Le «célèbre point froid» de l’univers
« A part ça, tout est vrai », se réjouit le chercheur, qui souligne que l’on peut par exemple repérer des lieux bien connus de l’univers, comme le « célèbre point froid », où il fait froid de manière particulièrement improbable. Une anomalie probablement due à « un très large vide dans la répartition de la galaxie », rapporte le chercheur, ou, selon d’autres théories, la preuve de la présence d’un univers parallèle… Sur la sculpture cosmique, cette température inhabituellement froide est représentée par un trou et colorée en bleu (pour la version couleur).
La technique plaît. David Clements accompagne une autre équipe d’étudiants dans la réalisation de la modélisation 3D de la Terre. Les données ont aussi été exploitées en réalité virtuelle, dans une exposition à la Royal Society, à Londres, fin octobre. « C’était assez drôle, rapporte Clements. On pouvait faire comme si on était le satellite Planck. Si on marchait sur le côté, on pouvait sortir de l’univers. »
Le chercheur a rendu accessibles toutes ses recherches et ses plans 3D en licence Creative Commons. Une habitude dans le domaine de l’astrophysique, souligne-t-il. « C’est un domaine beaucoup plus ouvert que les autres. En partie parce qu’il y a très peu de données qui peuvent être sources de revenus. D’autre part parce que ce sont des données très chères financées par l’argent public. Ce n’est que justice que chacun puisse consulter les données. » A vous de jouer !
Télécharger les plans en version STL (monochrome) et VRML (en couleur).
En savoir plus sur les recherches de David Clements et son équipe