Dans le cadre de l’expo-résidence «Flâneuse digitale» d’Agnès de Cayeux et Maëlla-Mickaëlle M. à Sorde-l’Abbaye, dans les Landes, les makers de l’Art3fact Lab de Dax ont imaginé un traceur fou. Récit de l’expérience par l’artiste Agnès de Cayeux.
Printemps 2016. Un appartement, Toulouse
Hébergées dans un appartement triste pour quelques journées déprimantes dédiées à la relation artistes et chercheurs, des rencontres programmées par l’Université de Toulouse, Maëlla et moi avons croisé un rêve digital, une machine à dessiner, une créature aux coordonnées polaires. C’est une rencontre, un coup de cœur de silice pour un traceur désespérément seul en ce sombre logis de la ville rose.
Lui oscille entre tracés incessants et repos de l’esprit (celui de la machine). Lui invente une nature insensée, un paysage perturbé, un ciel de Turner. Sur un vaste pan de papier scotché au mur, la prosodie bipolaire s’exécute, le feutre s’élance brusquement, traçant son cumulus sans fin. Noir est le cœur du nuage, écrit le poète. Puis, la machine se lasse et se résout à l’accalmie. Le feutre se retire lentement de ce corps de papier, s’éloigne précisément de cette nature en devenir.
Un dimanche de printemps, après quelques longues soirées à contempler ce paysage, quelques nuits à rester attentives à ce souffle numérique, nous abandonnons le traceur à ses amours, tornades et vallées.
Eté 2016. Un monastère, Sorde-l’Abbaye
Au cœur des Landes et en ce pays d’Orthe, flânant librement sur les hauteurs du monastère de Saint-Jean de Sorde, testant notre Oculus Rift (DK2), notre caméra 360°, nos engins stéréoscopiques et volants, plaçant nos tirages argentiques et nos figurines 3D – invitées à écrire la seconde édition de l’exposition Flâneuse digitale pour la manifestation Ondes & Lumières, Maëlla et moi-même rêvons encore à ce traceur bipolaire. La créature est un Drawbot qui se fabrique ici et là, d’un lab à l’autre. Un soir d’été, à contempler le cours du gave, le cri du cœur est lancé : nous fabriquerons notre traceur bipolaire.
Amandine est avec nous, c’est elle qui arpente les solutions, les possibilités, la mise en place de l’expo et nous guide pas à pas. Alors donc, nous partons toutes les trois le lendemain en direction de Dax, à quelques kilomètres de là, vers cette bâtisse proche de la gare qui accueille l’Art3fact Lab, le fablab local, dirigé par un certain Pol Olory.
Automne 2016. Art3fact Lab, Dax
Nous y sommes. Deux journées au fablab de Dax dans la paume de Pol Olory pour fabriquer notre traceur bipolaire. Amandine et moi sommes présentes. Maëlla gravite et danse ailleurs sur les hauteurs de la sublime porte d’Hastingues. Sacha, Naïm et Léo, élèves de l’école des beaux-arts de Pau, sont là, concentrés, prêts à souder, à découper, à apprendre, à imprimer, à programmer, à calculer, à designer et dessiner. Eux trois sont invités à ce partage des connaissances offert par le patron du lab et eux trois ont pour mission de fabriquer le Drawbot, le leur.
Je filme les mains de Pol Olory, passant de machines plus sublimes les unes que les autres à quelques réalisations de tissus intelligents, de robots aquatiques, de circuits inventés… Lui, le patron de cet immense lab de Dax, est un enfant de la balle. Dans les labos de l’Université de technologie de Compiègne (UTC) des années 1970, il traîne là entre père et mère et ingénieurs de tous poils, enfant de la mécanique des fluides et de notre informatique des premières heures, gamin des premiers circuits électroniques et des mesures physiques, de l’électromagnétisme et j’en passe, il observe, il soude, il invente. Puis, Pol Olory dessine sa propre expérience, il intègre une école des beaux-arts, il traîne dans le cirque contemporain, il devient scénographe, armé de capteurs, machines numériques et programmes. Pol Olory danse d’une invention à une autre, les siennes.
J’en oublie un peu le traceur bipolaire. Je traîne devant ce double pendule volant que fabriquent les gamins rêvant chaque jour dans ce lab de Dax, « afin que les mômes comprennent cette vieille machine à décomposer le temps comme l’ancêtre de notre pensée informatique », nous explique Pol.
Le double pendule volant de l’Art3fact Lab de Dax:
A Léo, le calcul de coordonnées polaires
Soit un point A dans un repère orthonormé dont les coordonnées cartésiennes sont :
x = –3 et y = 4
Calculer les coordonnées polaires de ce point (l’angle est donné en degrés) :
r = 5
Azimut =
126.87 degrés
2.2143 radians
0.70483 * π
Voici ce que Léo doit entreprendre. Piger les programmes libres de Drawbot que Pol a déposés sur le serveur du lab au mot de passe évocateur (on n’en dit pas plus) et penser comme une machine à dessiner dans cet espace si peu cartésien, ce calcul de coordonnées polaires, machine à cylindres oblige.
A Naïm, le calcul d’ampérage et les soudures
Soit une alimentation récupérée d’un vieux PC devant alimenter 2 ventilateurs + 2 moteurs + 1 servomoteur pour notre traceur bipolaire.
Calculer la consommation globale : ? ? ?
Voici ce que Naïm doit résoudre : pourquoi tant de surchauffe ? Tester au multimètre et chercher les différents points d’alimentation du boîtier, changer l’alimentation ou bien en avoir deux séparées ? Les trois connecteurs sont fragiles, ils ne sont pas standards.
A Sacha, le design et la découpe laser
Soit des éléments de récup pour une machine bipolaire devant être opérante pendant six mois dans un monastère ouvert aux vents et marées et public (humidité, chaleur, poussière, proximité and co).
Calculer un système d’accroche, retravailler sur une box, imprimer de petits éléments pour nos connecteurs, laisser les ventilos respirer, les cartes se lover.
Voici ce que Sacha doit inventer : le design élégant de la créature qui dessine et ses connectiques, ses contraintes, ses caractéristiques.
Hiver 2016. Quai de la gare, Dax
Après deux journées d’atelier bipolaire, Pol Olory s’envole vers le Bénin, Léo, Naïm et Sacha rentrent à Pau en leur école des beaux-arts, les sacs blindés d’électronique, de rêves, de vieilles alims et de leur prototype de Drawbot. Amandine et moi rentrons au monastère, pour y retrouver Maëlla, notre flâneuse digitale. Le traceur bipolaire se dessine en cette communauté de communes du pays d’Orthe, au fil de l’eau du gave et ses moines et saumons.
Gageons que Makery, le média de tous les labs, sera présent le jour J, le jour T, le jour Pol, le jour Léo, Sacha ou Naïm pour témoigner de cette fabrication et profiter un peu de cette nature sublime où les labs fleurissent. En ce monastère de Saint-Jean de Sorde.
Le site de l’Art3fact Lab de Dax et sa page Facebook
«Flâneuse Digitale», par Agnès de Cayeux et Maëlla-Mickaëlle M., dans le cadre de la manifestation d’art numérique Ondes & Lumières, au Monastère de Sorde (Landes)