Avec Chemputer, demain, ferons-nous pousser des drones?
Publié le 22 octobre 2016 par Elsa Ferreira
De grandes cuves de produits chimiques où grandissent de futurs drones… Le Chemputer développé par Lee Cronin avec le soutien de BAE Systems est l’un des premiers prototypes à approcher sérieusement la numérisation de la chimie.
Depuis son labo de l’université de Glasgow, Lee Cronin fait parler de lui. Le professeur de chimie, en association avec BAE Systems, troisième entreprise mondiale dans le secteur de la défense, voudrait faire pousser des drones dans de grandes cuves remplies de produits chimiques. Présenté par l’entreprise via une étrange vidéo aux allures de jeu vidéo des années 2000, le prototype a de quoi interloquer.
Faire pousser des drones par la chimie, par BAE Systems:
«Que ce soit clair. Je ne fais pas pousser des drones dans des produits chimiques. Ça, c’est la vision de BAE. Ce que je fais, c’est un robot qui numérise la chimie, fabrique des matériaux et des molécules.»
Lee Cronin, chercheur à l’université de Glasgow
Cronin travaille en effet sur le Chemputer (marque désormais déposée par BAE) depuis 2009. Le but du prototype, explique-t-il, est de « numériser le processus de fabrication des molécules ». L’une des applications majeures est la fabrication de médicaments à partir d’un code numérique pour les « rendre disponibles au-delà de la vie de l’usine qui les fabrique ».
« La première étape consiste à utiliser l’appareil pour numériser une recette chimique, explique-t-il. On peut ensuite imaginer, dans le futur, étendre ce processus pour que des médicaments simples soient fabriqués localement dans une pharmacie sous des conditions règlementées ; ou une version extrême, avec laquelle certains médicaments pourraient être fabriqués par le patient lui-même. »
Le MP3 des molécules
Numériser la chimie, voici le crédo du professeur Cronin. C’est-à-dire, « rendre le processus reproductible par la numérisation de la recette ». Si la mise en œuvre est complexe, l’idée, elle, est assez simple : « C’est la même chose que pour la numérisation de la musique. Pour enregistrer de la musique, on prend un microphone analogue, on échantillonne ce signal analogue puis on utilise un convertisseur pour en faire un code numérique. On peut ensuite jouer sa musique à travers des hauts-parleurs. Ce que nous faisons, c’est d’échantillonner la chimie. On utilise un appareil d’enregistrement qui copie la chimie. On peut ensuite utiliser une plateforme pour structurer ces données analogues en données digitales reproductibles. »
Le processus est déjà bien avancé, selon Lee Cronin, en tout cas en ce qui concerne la fabrication de médicaments. « Les barrières ne viennent pas de la science mais des règlementations, de la sécurité et du coût. »
«Imprimez vos propres médicaments», Lee Cronin, TED conférence, 2012:
Et les drones dans tout ça?
« La partie drone, c’est BAE qui imagine comment, dans le futur, on pourrait utiliser le Chemputer », répond le chercheur. « Ils s’intéressent au futur distant de la fabrication et je les aide à découvrir de nouveaux matériaux. » En recréant un processus de fabrication similaire à l’impression 3D à partir de produits chimiques, BAE espère ainsi créer des « matériaux nanostructurés très sophistiqués ».
Pour la forme de l’engin sorti du bain, les constructeurs pourraient utiliser des moules ou « comprendre l’auto-organisation du matériau pour que les nanocellules s’organisent et que les matériaux se construisent eux-mêmes, un peu comme on fait pousser un arbre à partir d’une graine », poursuit-il. Quant à l’électronique, « c’est un secret », plaisante à moitié Cronin avant d’admettre : « Ça prendra un moment. Ajouter de l’électronique serait d’une grande complexité. »
Faciliter les erreurs
Si le projet drone est encore « loin de la réalité », reconnaît le professeur, l’affaire vaut l’investissement de BAE. Faire pousser des drones permettrait une fabrication plus flexible et ajustée aux besoins, estime le professeur. « Lorsque l’on considère la quantité d’efforts demandés pour prototyper des drones et des avions, on peut imaginer que le coût serait abaissé car le Chemputer permet plus d’essais et d’erreurs. »
En attendant, Cronin est bien décidé à saisir les opportunités de plus en plus abordables des technologies de plateformes modulaires (une structure adaptable à plusieurs produits, utilisée notamment en automobile) et d’électronique, qui ont permis l’avènement de l’impression 3D. Et en faire « quelque chose de plus utile qu’une imprimante 3D qui produit des objets en plastique ».
« Il y a beaucoup de pistes potentielles. Beaucoup de gens se penchent sur l’automation et le contrôle dans tous les domaines de la science et des technologies, des drones personnels à la robotique en passant par les véhicules automatisés. C’est une période passionnante et le pouvoir de ces technologies viendra de la collaboration. Il faut se demander ce que nous voulons faire avec ces technologies, quelles idées nous avons et de manière cruciale, qui pilote ce marché », conclue-t-il.
En savoir plus sur Chemputer côté BAE et côté université de Glasgow