Makery accompagne le chantier d’accueil pour les migrants, boulevard Ney à Paris. Décidé en mai par Anne Hidalgo, le futur centre confié mi-juillet à l’architecte Julien Beller et Emmaüs Solidarité ouvre à la mi-octobre. En s’appuyant sur la co-conception entre architectes, graphistes, travailleurs sociaux et artistes botanistes.
Un chantier dans l’urgence pour répondre à l’urgence : boulevard Ney à Paris, les travaux étaient déjà bien entamés cet automne avant que le panneau annonçant le « dispositif de premier accueil temporaire » d’Emmaüs Solidarité soit apposé en bonne et due forme. Le centre d’accueil et d’orientation des réfugiés ouvrira mi-octobre dans le 18ème à Paris. Sous l’impulsion de l’association et de l’architecte Julien Beller, membre de feu le collectif Exyzt, rompu à l’architecture éphémère et fondateur de la friche culturelle le 6b à Saint-Denis, l’ancien entrepôt de la SNCF est en pleine transformation.
Ce chantier exemplaire à plus d’un titre, Makery a décidé de l’accompagner : après avoir donné la parole à Julien Beller il y a une semaine, place aux autres intervenants, architectes, botanistes, graphistes, illustrateurs…, qui, dans un délai serré, mettent en commun leur énergie pour transformer cette friche en centre accueillant et chaleureux.
Fortement visible, ce centre ne ressemblera à aucun camp de migrants connu. Ni Jungle de Calais, ni camp de la Croix Rouge (avec ses tentes et allées balisées), il a été conçu sur la base d’une coopération jusque-là assez inédite entre des spécialistes de l’accueil des populations migrantes, Emmaüs Solidarité, des architectes et des artistes. « C’est sensible, ça donne envie. L’intervention artistique, ce n’est pas que pour les musées, c’est aussi pour le logement d’urgence, dit Gonzague Lacombe, un graphiste lui aussi passé par le collectif Exyzt, qui travaille avec l’illustratrice Laure du Faÿ sur la signalétique du centre. Au départ, on craignait de faire quelque chose de trop décoratif, mais ces gens-là, la détresse dans laquelle ils sont, ont aussi droit à quelque chose de chaleureux. »
Liliana Motta, artiste botaniste, qui travaille à l’accueil planté (des arbres fruitiers hors-sol), fait part de la même préoccupation : « On a réfléchi à la façon dont on accueille les gens, que ce soit agréable, joyeux, surtout pas froid. » Architecte, artistes graphistes, illustrateurs, botaniste… Julien Beller a fait appel à une diversité de pratiques pour participer à ce chantier extrême.
Des moucharabieh pour oublier les grillages
Le long de la petite ceinture, le centre d’accueil est clôturé par des grillages. Les sœurs Chevalme (Delphine et Elodie), artistes résidentes au 6b, ont enrubanné d’adhésifs de couleurs vives la clôture.
Des arbres fruitiers pour accueillir
L’artiste Liliana Motta travaille sur des friches industrielles (elle a notamment planté de graines étrangères le toit de La Condition Publique à Roubaix en 2003) et l’histoire botanique (elle s’est occupée du jardin de la Cité de l’immigration à Paris en 2013). Elle a tout de suite accepté de participer au chantier du boulevard Ney. « J’étais dans un grand hôtel à Vichy, à mon arrivée dans la chambre, il y avait un plateau de fruits, explique-t-elle. Je me suis dit : “voilà, quand on accueille des gens, on leur offre des fruits”. » Quarante arbres, tous fruitiers, sont donc installés de part et d’autre de la future entrée dans des « big bags » pour une culture hors-sol. La moitié sont des poiriers, pommiers et pruniers, l’autre moitié des néfliers du Japon à feuilles persistantes, pour « avoir du vert tout le temps » (ils donnent aussi des fruits, les bibaces, en mai).
« La plupart des arbres fruitiers ne sont pas “français”, ils viennent de l’Orient, rappelle la botaniste. Quant aux sacs, ils répondent au côté transitoire et font un un peu voyage (et puis, ça me permet de ne pas aller voir dans le sol quelles merdes il y a…). » Très loin du jardin à la française donc, l’accueil planté est une façon de s’inscrire dans le contexte du centre : « Au lieu de faire l’alignement avec du sapin traité, je le fais en zig-zag avec du châtaignier (le bois des clôtures agricoles) pour garder un effet brut. »
Un «geste fort pour le pôle accueil»
Julien Beller a demandé au pionnier de l’architecture gonflable Hans-Walter Müller, 81 ans, d’intervenir sur le terre-plein central, pour recouvrir les containers du pôle accueil d’un gonflable spectaculaire, une construction en plastique mise en tension par l’air sous pression.
« Sous la bulle de 900m2, explique Bruno Morel, le directeur général d’Emmaüs Solidarité, seront installés des containers pour les entretiens individuels et des espaces de repos pour boire un café le temps qu’on trouve une solution adaptée dans la journée. »
Huit couleurs pour «la vie de tous les jours»
« Ce n’est pas parce qu’on est dans du lourd qu’on va s’interdire d’utiliser de la couleur », avance le graphiste Gonzague Lacombe. Avec Laure du Faÿ, illustratrice, ils seront parmi les derniers à intervenir sur le chantier pour un travail graphique et de signalétique.
Au programme de leur intervention, discutée « en équipe avec l’architecte et Emmaüs Solidarité », insiste-t-il, des couleurs au sol pour indiquer les cheminements, des pictos noir et blanc immédiatement compréhensibles (puisque les personnes accueillies parlent toutes les langues du monde), un « travail sur les bâches avec de l’adhésif transparent, comme des rideaux, pour rendre le lieu plus chaleureux ».
Habitué des interventions éphémères dans la sphère culturelle, le duo a aussi une pratique plus sociale. En juin 2016, ils ont conçu avec les réfugiés hébergés dans une ancienne caserne à Darmstadt, en Allemagne, un espace de jeu avec les enfants du camp.
A l’entrée, côté pôle accueil, des flèches roses et les pictos de signalétiques. Au sol seront peints des marquages de couleur pour guider les personnes hébergées vers les unités d’habitation, sortes de villages en bois et bâches de couleur situés dans l’ancien entrepôt. Une façon de faire que Gonzague Lacombe a expérimentée avec Constructlab à São Paulo, en 2015, pour transformer un hangar en centre culturel éphémère, avec la participation des habitants.
Sur les bâches des réfectoires, blanches, des adhésifs de couleur transparents laisseront passer la lumière. « Le recours aux huit couleurs rythme l’espace et fait du bien dans cet environnement d’usine assez dur », explique Gonzague.
Un modèle pour l’accueil des populations migrantes?
Avec sa méthode en accéléré, ses techniques d’architecture de l’urgence, de l’éphémère et du low-cost, sa façon de travailler ensemble (travailleurs sociaux, mairie, architecte, artistes), le chantier du boulevard Ney peut-il constituer un modèle reproductible ? « On espère que ça donnera envie à des politiques », dit Gonzague Lacombe.
Retrouvez la première partie du journal de chantier boulevard Ney