Le low-tech à la rescousse de notre société énergivore? «Machines», l’acte 2 de Chroniques, le festival d’exploration numérique de la région, invitait du 26 septembre au 2 octobre à regarder en arrière pour éviter la fuite en avant.
Marseille, envoyée spéciale (texte et photos)
Du 26 septembre au 2 octobre, la Friche la Belle de Mai de Marseille a imaginé à quoi ressemblerait un monde numérique qui ferait face aux défis énergétiques, sous l’impulsion des centres de création Zinc, de Seconde Nature et de Reso-nance, l’association du fablab de la Friche (Makery en était l’un des partenaires).
Mercredi soir, le débat « Vers une société low-tech », donne le ton : « La trajectoire technologique n’existe pas », pose l’anthropologue spécialiste des techniques Alain Gras. Accompagné du collectif Paléo-énergétique, qui ressuscite les techniques oubliées, le sociologue remonte le temps pour démontrer qu’en matière d’énergie, nous aurions pu prendre une autre route.
La Terre en excès de yang
Que les partisans du « on n’arrête pas le progrès » revoient leur copie. Le progrès est une invention sociale et la technique est conjoncturelle, explique le sociologue. Surtout, « elle existe dans l’imaginaire, elle correspond à une intention ». « Pour les Grecs, il ne fallait pas que la technique soit exagérée. Pour les Chinois, il fallait l’harmonie, selon la philosophie de Confucius. » Pour les Occidentaux, ce sera « la puissance et la prédation », analyse-t-il. Une symbolique qui s’incarne dans le train, cet outil qui se moque des pentes et des montagnes et ce point de bascule d’une société qui se dirige à toute vitesse vers l’ère « thermo-industrielle » – une théorie développée dans son livre Le choix du feu. « On oublie qu’au début du siècle, quatre énergies cohabitaient, rappelle-t-il : la biomasse (pour l’agriculture), l’air (pour les bateaux), l’eau (pour la première industrialisation) et l’énergie fossile (charbon). » À la fin du siècle, il ne reste que les énergies fossiles, « une énergie qu’on peut maîtriser ».
Un tournant que les artistes du laboratoire artistique Oudeis interprètent comme un excès de yang au cours de leur Conférence sur canapé. Un « excès de feu », selon la médecine chinoise, avec les symptômes qui en découlent et qu’ils déroulent : « Insomnie, agitation, irritabilité, colère, gorge sèche, bouche sèche, transpiration nocturne, acidité et dysfonctionnements organiques divers en particulier du foie. »
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Regénérateur de pile et restaurant solaire
Le temps n’est pourtant pas au pessimisme. « Ce n’est qu’un moment de l’histoire de l’humanité. Et il faudrait en sortir », assène Alain Gras. Notamment, en ressuscitant les anciennes techniques. C’est la mission de Paléo-énergétique, qui regroupe des chercheurs de trésors… Presse solaire, tramway à air comprimé ou Porshe électrique, sur leur site, ils déterrent les brevets tombés dans le domaine public et font l’inventaire des inventions indûment abandonnées. Leur dernier projet est la Regen Box, en campagne de financement collaboratif dans le cadre de Make it Happen, un régénérateur de piles jetables qui permet de recharger jusqu’à 20 fois les piles alcalines (on y revient vite).
Retour au low-tech, donc. C’est à dire « une technique facilement compréhensible et avec laquelle on peut interagir, qu’on peut réparer, que l’on comprend », définit le sociologue. Et le public est venu avec ses idées. Abdes Bengorine fait le tour de la Friche pour distribuer des cendriers de poche et recycler les mégots grâce à son invention le Recyclop. Pierre-André Aubert, ingénieur et cuisinier, va ouvrir dans quelques jours Présage, un restaurant autonome en énergie. Hors réseau, le restaurant fonctionnera par énergie solaire et biogaz.
Passage à l’acte
Un restaurant preuve de concept qui fait déjà des émules : au cinquième étage de la Friche, des makers s’activent depuis le 26 septembre à fabriquer des outils low-tech, durables et utiles. Le cuiseur solaire fait figure de favori. Fabriqué à partir d’une antenne parabolique et d’une structure de chaise de bureau trouvées dans la rue, de moteurs et engrenages récupérés dans une imprimante, l’outil n’aura coûté que 20€ pour le vinyle réfléchissant, contre quelques centaines d’euros dans le commerce. Et, tout de même, une semaine de travail pour les quatre membres de l’équipe… L’heure du test est venue : en deux secondes, ils font flamber un morceau de carton.
Ont également été montés un vélo générateur, grand classique du low-tech DiY, une déchiqueteuse de plastique de Precious Plastic qui devrait servir à fournir le plastique des imprimantes 3D du LFO, le fablab de la Friche, et une machine CNC fabriquée à partir d’un kit pour 2 000€ (au lieu d’environ 7 000€ dans le commerce) et qui enrichira, elle aussi, le parc machines du LFO.
Exposées tout le week-end des 1er et 2 octobre, les « machines » ont attiré 700 visiteurs. L’Open Expo était aussi l’occasion de présenter d’autres projets DiY créateurs d’énergie comme le collecteur de joules de Miguel Rodriguez, une lampe à LEDs qui fonctionne grâce à des piles vides (qui ne le sont donc pas…), la station de documentation Do Doc ou un véloblaster.
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Contrôler le climat
Du concret, mais aussi de l’imaginaire. Vendredi soir, la Friche est « sous-tension ». Dans la Labobox, l’atelier de résidence d’artistes de la Friche, on se relaie pour se frotter à une caisse, « tels des ours », pour faire clignoter une LED. C’est l’œuvre d’Antoine Bonnet, alias Kik, artiste numérique qui a répondu au challenge de créer une performance autonome durant laquelle le public produira sa propre énergie. Passé par le circuit-bending, il a cette fois-ci travaillé sur les textiles pour créer de l’électricité statique.
L’autonomie est une tâche ardue. Yann van der Cruyssen, alias Morusque, et Clément Duquesne, sound designers dans l’industrie du jeu vidéo, s’y sont d‘ailleurs confrontés en répondant au même appel à projets. « Sauf qu’on vient de l’industrie du jeu vidéo, alors la low tech c’est pas trop ça », rigole Clément.
De guerre lasse, le duo a décidé de prendre le contrepied et de donner au public le « contrôle sur le climat ». Au mur, la projection d’un paysage de pêche. La mer, le vent et le soleil sont contrôlés par le public qui remplit et vide des saladiers d’eau, souffle dans des capteurs ou les éclaire à la lampe de poche à manivelle. Le but : attraper des poissons qui produiront de l’énergie (en théorie, le projet étant encore en développement).
Morusque et Clément Duquesne, extrait de leur performance à «Machines»:
Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité ? Peut-être bien. « On ne sait pas la puissance de la symbolique, ça ne se mesure pas, souligne Alain Gras. Mais ça peut tout à coup produire des effets inattendus. » Et faire basculer l’imaginaire vers une énergie plus propre… et conviviale.
En savoir plus sur le festival «Machines», «Faire et penser autour du DiY et de l’énergie», sur le wiki