Chronique d’une makeuse en matériaux (18)
Publié le 27 septembre 2016 par Caroline Grellier
Notre makeuse en matériaux s’est envolée pour l’Afrique afin de recharger les batteries et faire le plein d’inspirations togolaises, burkinabè et béninoises pour Termatière, projet de fabrication de matériaux biosourcés.
J’ai une chance : mon job me passionne, je travaille sans même m’en rendre compte. Alors les vacances farniente, version écrevisse au bord de la piscine, très peu pour moi. Mais puisqu’il est aussi nécessaire de débrancher du sarment de vigne, je me suis mise en route vers des horizons africains.
Objectif : recharger les batteries et assouvir mon insatiable curiosité pour cette culture africaine du DiY qui m’inspire tant. Et entre deux noix de coco, je comptais bien aussi plancher sur quelques idées de fabrication de matériaux locaux, à ressortir de mes tiroirs.
Terre + ? = brique durable
Et dans mes tiroirs, il y a un sujet qui me titille sérieusement : trouver une alternative au ciment dans la stabilisation des briques en terre crue. En effet, je crois fortement à l’avenir de ces briques étant donné l’urgence du besoin en construction durable sur le continent africain, au taux d’urbanisation étourdissant. Mais le ciment, même ajouté en faible proportion dans la terre (entre 6 à 11%) cause des ravages, longuement évoqués au Congrès Terra Lyon 2016, à commencer par la disparition de l’un des principaux atouts du matériau terre : sa recyclabilité.
Mais chaque problème a une solution et selon moi, côté matériau, beaucoup de solutions se trouvent dans nos ressources locales et agricoles. Je me suis donc penchée sur la question en mettant toute ma créativité à l’œuvre. Et pour trouver l’inspiration, j’ai commencé par me plonger dans des documents relatant des recettes africaines ancestrales naturelles dédiées à la construction. Je suis tombée sur tout un tas de méthodes traditionnelles africaines utilisant de la bouse, de la paille, des sons de riz, pour renforcer les enduits dans les constructions en terre. En effet, pas question de réinventer la roue, mais plutôt d’étudier comment une technique « du village » peut évoluer et se moderniser pour prétendre répondre à une certaine injonction de productivité que vont nécessiter les briques.
Expédition collecte de déchets agricoles à Assahoun
Pour passer à l’action, j’ai proposé au Centre de la construction et du logement (CCL) de Lomé (Togo), de participer avec moi au prototypage de ces fameuses briques. Je souhaitais tester le potentiel d’une décoction de troncs et feuilles de bananier (recette ancestrale ghanéenne utilisée pour les enduits mais pas comme adjuvant dans les briques) et celui des fibres de coques de noix de palme et du florentin (résidu du pressurage de l’huile de palme).
Direction Assahoun, petite ville à 50km de Lomé, à la recherche de bananeraies et de palmeraies. Après quelques rapides négociations en langue locale avec le propriétaire, le tronc de bananier qui avait déjà donné des bananes tombait sous les coups du coupe-coupe.
Et deux heures plus tard, après une visite détaillée de l’unité de transformation Ave Palm, nous rentrions avec des sacs et seaux remplis de déchets (plus ou moins odorants). Au boulot !
Expérimentations
Le lendemain au CCL, équipés de couteaux, d’un réchaud, d’une marmite, nous avons préparé la décoction de résidus de bananiers, en suivant la recette ghanéenne à la lettre : couper en morceaux les tiges et les feuilles et laisser bouillir jusqu’à obtenir une eau gluante.
La première tentative n’a pas vraiment fonctionné. Deuxième essai avec le tronc, une partie qui contient davantage de sève. Pas terrible non plus, l’eau ne changeait pas de consistance. Pour le troisième essai, nous avons laissé macérer les tiges, feuilles, troncs dans de l’eau une semaine avant de faire bouillir le jus. Pas de résultat concluant non plus. A tester et retester encore donc !
Côté palmier à huile, les briques ont facilement été mises en œuvre avec l’aide des artisans-maçons du CCL.
Et rien qu’à les soupeser, je remarquais déjà que celles avec des fibres de coques de noix de palme étaient à la fois plus légères et plus solides que les briques avec du ciment. Mais avec le florentin, une forte odeur franchement désagréable émanait de la brique… Pistes à poursuivre donc, avec ces petites fibres…
Reste désormais à caractériser et comparer les différentes briques entre elles. J’ai pu rapporter quelques échantillons en France, non sans mal, après une longue négociation à la douane de l’aéroport qui s’est terminée par une vérification du goût de la terre : eh oui, le grand chef a léché la brique !
Potemat, une curiosité béninoise
Dans mes pérégrinations, j’ai fait un crochet par la capitale béninoise, Cotonou, à l’université d’Abomey-Calavi. J’ai rencontré là-bas Chakirou Akanho Toukourou, initiateur du laboratoire Potemat (Pôle technologique de promotion des matériaux locaux) à l’école polytechnique d’Abomey-Calavi (Epac).
Ce passionné et créatif dans l’âme m’a expliqué pendant plus de trois heures les recherches en cours : des tuiles à base de gomme arabique, des briques de terre renforcées avec des mèches de cheveux en nylon, des panneaux composites à base de fibres de coco, etc.
Les acteurs africains de la recherche en matériaux locaux, s’ils sont actifs, sont encore assez peu visibles. Découvrir qu’ils sont comme moi convaincus que les matériaux de demain seront biosourcés nourrit mon imagination pour des collaborations futures avec Termatière…
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