Makery

Avec Julien Beller, architecte de l’urgence pour les migrants à Paris

Vue extérieure boulevard Ney du futur centre d'accueil des migrants à Paris (21 septembre). © Makery

A la mi-octobre, Paris aura son «lieu d’orientation et de mise à l’abri» pour les réfugiés. Makery a décidé d’accompagner ce chantier confié à un spécialiste de l’architecture éphémère et modulable, Julien Beller. Rencontre.

Le « lieu d’orientation et de mise à l’abri » des réfugiés et migrants de Paris ouvre le 15 octobre boulevard Ney, porte de La Chapelle dans le 18ème. Pour maître d’œuvre, la mairie de Paris et Emmaüs Solidarité ont fait appel à Julien Beller, architecte activiste travaillant sur les questions d’habitat informel depuis des années. Ancien membre du collectif Exyzt, Julien Beller a fondé et préside depuis quelques années le 6b, friche culturelle à Saint-Denis. En amont de l’ouverture du site, Makery a décidé d’aller à la rencontre des fabriqueurs d’un chantier conçu en modules démontables. En commençant par donner la parole à Julien Beller.

Julien Beller, architecte et maître d’œuvre du chantier du futur centre d’accueil. © Ceb

Quand pensez-vous ouvrir le site boulevard Ney?

Le premier objectif de ce lieu est l’accueil et la mise à l’abri. J’ai été commissionné par la mairie de Paris le 15 juillet pour une ouverture le 30 septembre. Mais je pense que nous ouvrirons au 15 octobre. Nous avons tout fait pour tenir les délais parce qu’il y a une ambition politique forte, mais nous avons pris un peu de retard en raison de certaines contraintes coupe-feu qui sont apparues dans les retours de la préfecture. Deux mois et demi, c’est très court, nous construisons plus de 5 000m2, chauffables. Avec la contrainte de concevoir un projet modulable et démontable 18 mois après son ouverture, sur un site temporaire qui appartient encore à la SNCF et deviendra un site du campus Condorcet.

Vue d’ensemble du futur site d’orientation des migrants. © Julien Beller

Pouvez-vous nous raconter comment la mairie de Paris vous a sollicité?

La ville avait amorcé les travaux de démolition. Anne Hidalgo, constatant que le bâtiment de la halle SNCF avait l’air sain, a considéré que l’on pouvait arrêter la démolition pour y installer le site annoncé le 31 mai et répondre à l’urgence d’accueillir les réfugiés qui dorment sur les trottoirs. Il a fallu ensuite que la ville de Paris s’organise et s’associe avec l’État pour rendre le projet possible. Quand ils m’ont contacté vers la mi-juillet, ma première réponse a été de leur dire : si l’ambition est d’avoir un projet stimulant qui fasse attention à l’environnement des personnes, qui préserve de la convivialité, qui n’installe pas que de la tente Jaulin et des Algeco, il faut un maître d’œuvre, et que celui-ci ne travaille pas directement pour la ville de Paris, mais pour une maîtrise d’ouvrage indépendante. La mairie m’a alors connecté avec Emmaüs Solidarité. Ça a été une belle rencontre. Nous nous sommes rendus compte que nous parlions la même langue, que nous avions les mêmes envies.

Arrivage des containers du pôle médical sur le site du futur centre d’accueil des migrants à Paris le 21 septembre. © Makery

Comment le site d’accueil est-il organisé?

Le projet se développe en trois établissements destinés à recevoir du public. Deux sont construits en extérieur. Le premier est le pôle accueil, un gonflable qui accueillera des guichets où les personnes pourront se présenter pour connaître leurs droits et être orientées. Environ une centaine de salariés d’Emmaüs Solidarité s’en occuperont. L’association, qui a déjà beaucoup d’expérience dans l’hébergement des SDF comme des réfugiés, travaillera en lien avec différentes structures de l’État (GIP Habitat, OFII, OFPRA). Le deuxième établissement est un pôle santé pour les soins d’urgence et l’accompagnement des résidents. Il sera sous la responsabilité du Samu social et de Médecins du Monde.

Entrée du lieu d’orientation et d’hébergement au 27 septembre. © Makery

Le troisième établissement, que l’on appelle “centre de mise à l’abri temporaire” – je n’utilise pas le terme camp de réfugiés – accueillera pour l’instant 400 hommes seuls, peut-être 600 à la fin de l’année, qui pourront y dormir tous les soirs, sur des séjours de 5 à 10 jours, le temps de trouver une place dans un centre d’hébergement.

L’idée est vraiment celle du sas : les gens arrivent, ils se posent, ils se reposent, ils sont un peu en groupe encore, ils viennent du bled, ils ont besoin d’avoir des repères, de pouvoir parler avec des gens qui parlent la même langue qu’eux, pour s’orienter dans le quotidien, etc. Emmaüs Solidarité a eu l’intelligence de dire qu’il ne fallait pas un habitat unique pour 400 personnes, mais 8 quartiers pour 50 personnes. Pour deux raisons. D’abord parce que Emmaüs Solidarité pourra affecter une équipe dédiée par quartier, pour s’occuper des aller-retours, des soins, de l’accompagnement psychologique, avec plus de proximité. Ensuite pour que les gens se sentent mieux, pas dans un bloc sans âme, qu’ils arrivent à refaire communauté, à passer du temps ensemble.

Chaque rue du site aura son code couleur. © Julien Beller

Comment concrètement avez-vous voulu occuper le site couvert?

Le premier geste a été de sécuriser la halle. Pour cela, nous avons dû enlever des bouts de façade pour que le bâtiment soit bien ventilé et réponde aux normes incendie. Nous avons construit quatre escaliers en échafaudage autour du site, comme des accès et des sorties de secours, et sécurisé les étages avec des balustrades. Nous avons également construit une rampe à mobilité réduite, ainsi qu’un ascenseur en échafaudage à l’entrée, pour monter les ressources alimentaires, de couchage, etc.

Le deuxième geste a été de lancer la production de modules d’habitation, ce qui impliquait de négocier avec différentes entreprises pour voir ce qui était possible. Sept entreprises impliquées ont mobilisé une vingtaine d’usines pour répondre à l’urgence. Chaque rue s’ouvrira avec un point accueil pour les nouveaux arrivants et un réfectoire en échafaudage et toile tendue, chauffé électriquement, avec une cuisine et des tables pour manger. Puis suivent une douzaine de chambres de quatre personnes, construites en ossature bois, pour que ce soit bien isolé, confortable et insonorisé. Chaque chambre aura un perron, avec une porte vitrée et un auvent plastique pour déposer ses chaussures, faire sécher ses serviettes, etc. Chaque lit aura une prise, il y aura le wifi sur tout le site. Chaque rue se termine par un bloc sanitaire en containers maritimes. Il y aura aussi un magasin en containers, avec des bénévoles qui organiseront la distribution de vêtements, des laveries, ainsi que des espaces communs de banquettes et d’orientation. Nous allons également aménager un terrain de foot et des espaces où les associations pourront dispenser des activités.

Point accueil et réfectoire d’une rue d’un module d’habitation. © Julien Beller
Vue générale de l’espace accueil entrant sur les rues. © Julien Beller
Le dôme conçu par Hans-Walter Müller pour l’espace d’accueil et d’orientation. © HWM

Pourquoi un gonflable à l’accueil?

Je souhaitais un geste fort pour le pôle accueil et j’ai pensé à une architecture gonflable. Je suis allé voir le pionnier Hans-Walter Müller, qui a tout de suite été intéressé. Et à 84 ans, il est très motivé et vient régulièrement sur le chantier. La bulle abritera une série de containers sur deux étages pour organiser les bureaux et espaces d’accueil.

Gonflable de Hans-Walter Müller, Rendez-vous avec la Vi(ll)e aux Batignolles, 2014:

En quoi vos expériences passées vous ont-elles inspiré?

Au sein du collectif Exyzt, qui réalisait des architectures éphémères pour occuper des interstices dans la ville, nous avons beaucoup travaillé des éléments souvent utilisés dans l’événementiel, du matériel qui se monte et se démonte vite comme les échafaudages. Exyzt s’intéressait au vivre ensemble et collaborait avec des artistes pour penser l’activation de sites délaissés, le dévoilement des potentialités de la ville, tout en se faisant plaisir. Aussi nous avons voulu qu’il y ait des artistes qui interviennent boulevard Ney.

Dans mon parcours, j’ai aussi beaucoup travaillé avec les gens du voyage, les Roms en bidonville, à faire des toilettes sèches, des salles communes, à ramener de l’électricité, stabiliser et sécuriser des sites, à faire de la médiation, etc. Accompagner les personnes et penser le “en commun”. La plupart du temps, ces personnes n’ont pas l’énergie pour construire une salle commune. Et puisque la ville n’intervient pas, puisque l’État n’intervient pas, qui construit la salle commune ? C’est là que j’intervenais. Avec le Perou (Pôle d’exploration des ressources urbaines) pour qui j’ai fait l’ambassade à Ris-Orangis, ou encore avec des associations que j’ai co-fondées, comme AoA et No Mad’s Land. Avec AoA, que j’ai co-fondée avec les architectes Fiona Meadows et Patrick Bouchain, nous avons mené des actions en Afrique, notamment au Cameroun, au Mali, au Maroc, avec des étudiants motivés par l’idée de trouver des solutions dans le faire sur place.

Puis, avec la création du 6b à Saint-Denis, j’ai appris à gérer les niveaux réglementaires, administratifs, économiques, d’une sorte de ville informelle qui se construit par ses habitants. Comment on les orchestre, comment on les organise, tout en parvenant à rester dans les normes.

Avec quel budget devez-vous réaliser tout cela?

Nous avons un budget de 5 millions d’euros, soit un peu moins de 1 000€ le mètre carré. J’estime aujourd’hui à 500 000€ le coût de démontage et de transport des équipements. Je ne peux pas connaître le coût de remontage, cela dépendra du site suivant.

Nous avons dû dessiner le projet dans l’urgence, en une semaine, penser un lieu d’accueil de réfugiés décent, dont on peut être fier. Je devais être réactif et je n’avais pas le temps d’aller visiter d’autres expériences, en Allemagne ou ailleurs. J’ai donc fait appel à mes expériences passées. Il y a quinze ans, j’avais par exemple fait un projet à Soweto (Afrique du Sud). J’ai aussi participé ce printemps à l’exposition Habiter le campement à la Cité de l’architecture et du patrimoine de Chaillot. Je m’intéresse à ce type de travail depuis longtemps.

«Au final, il y a trois sources d’inspiration: le chantier, qui se monte et se démonte, le village informel, pour que les gens puissent y vivre, qu’ils aient des espaces communs, et les campings avec leurs grandes et petites allées qui vont vers l’intimité.»

Au centre, les containers d’accueil et les lestes d’implantation du futur dôme au 27 septembre. © Makery

Qu’en est-il du second site prévu à Ivry?

Le site à Ivry sera pour les femmes, enfants, mineurs isolés. Mais au lieu d’une maîtrise d’ouvrage qui va chercher plusieurs entreprises comme c’est le cas boulevard Ney, une seule entreprise organisera le projet, toujours avec Emmaüs Solidarité. Il y a aussi plus de temps pour le construire. Ici, il faut que cela ouvre le plus vite possible, il y a un vrai bouchon à résorber avant que le froid s’installe.

Les réfugiés arrivent d’abord à Paris, c’est vrai, pas à Amiens, Poitiers ou ailleurs, et ce site est fait pour les orienter. La volonté est d’absorber les 60 à 80 personnes qui arrivent tous les jours à Paris. Mais ce projet ne fonctionnera que s’il y a une sortie pour chacune d’entre elles. Si les migrants trouvent une place dans un centre d’hébergement au bout de dix jours, à Paris ou ailleurs en France. On pense aussi à préserver leur anonymat par un système de badge non-nominatif, pour qu’ils comprennent qu’ils ne seront pas fichés et  qu’ils viennent sans hésiter.

Le site de Emmaüs Solidarité

Julien Beller et le 6b

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