Si l’impression 3D est présente aux Jeux paralympiques de Rio, véritable laboratoire pour l’innovation, l’esprit maker peine encore à faire son chemin. Enquête sur handisport et DiY.
La technologie au service des athlètes des Jeux paralympiques a été célébrée dès la cérémonie d’ouverture à Rio le 7 septembre 2016, notamment au travers d’une danse entre la snowboardeuse américaine Amy Purdy et un bras robotique.
I spoke to @AmyPurdyGurl about dancing at the #Paralympics Opening Ceremony: 'Dancing with robot at Rio was surreal' https://t.co/4Qbkey5fbT
— Nikki Fox BBC (@FoxNikkiFox) September 10, 2016
Cette harmonie a rapidement cédé la place à la compétition qui ne laisse pas toujours les machines indemnes. En témoignent les statistiques de l’atelier de réparation Ottobock déployé au cœur du village paralympique à Rio. Ouvert à tous les athlètes par un des leaders mondiaux des prothèses – dont celles popularisées par Oscar Pistorius –, l’atelier a déjà effectué plus de 1 000 réparations en cinq jours de compétition (700 fauteuils et 130 prothèses). Et l’aventure Ottobock a commencé par une équipée en bateau d’un continent à l’autre pour transporter matériel et pièces de rechange. L’atelier mécanique est donc le centre névralgique de l’univers paralympique et chaque équipe, notamment dans les sports fauteuil, compte, en plus du kiné, un mécanicien.
Un mulet d’occasion pour démarrer
A Rio, Jean-Paul Moreau, vice-président de la Fédération française handisport, explique comment la fédération propose aux sportifs à leurs débuts des « mulets », des fauteuils d’occasion qu’ils adaptent progressivement à leur handicap et leur morphologie, notamment au niveau de l’assise. « L’investissement est d’environ 3 000€. Plus le sportif obtient des résultats, plus les opportunités de financement sont importantes, des entreprises, de leur ville d’origine ou des partenaires de la fédération. »
Et les meilleurs d’entre eux obtiennent des dotations en matériel d’Invacare, leader mondial de l’équipement para-médical et fournisseur officiel de l’équipe de France paralympique. En athlétisme par exemple, Jean-Paul Moreau estime un fauteuil compétitif, en carbone, autour de 7 000€. Chaque sportif vient donc aux Jeux avec son propre fauteuil, fruit de réglages au long cours. Chaque poste a également ses spécificités. « Au basket, le pivot n’aura pas les mêmes réglages que le meneur de jeu », poursuit le vice-président. « D’où l’importance des mécanos, ils vérifient le matériel avant les matches, les risques de crevaisons, etc. Un bon mécanicien rassure l’équipe et ça joue sur les performances. »
Les constructeurs automobiles à la manœuvre
Les technologies en matière de handisport sont non seulement coûteuses, elles font aussi une grosse différence d’une fédération à l’autre… Même si l’équipe de France est bien équipée, Jean-Paul Moreau reconnaissait en 2010 dans l’Equipe que la fédération avait un budget de fonctionnement de « 5 ou 6 millions d’euros » tandis que d’autres tournaient autour de 60 millions… Objet de convoitise, la délégation des Etats-Unis et son fauteuil de course réalisé en soufflerie par BMW, dont l’assise moulée suit la morphologie des sportifs par scan 3D. « C’est beau, mais si ça casse, bon courage pour trouver des pièces de rechange », relativise Jean-Paul Moreau.
Naturellement investis sur les questions de mobilité, les constructeurs automobiles sont très représentés parmi les partenaires des différentes délégations. Le Français Renault, sponsor de l’équipe de France, se targue de construire des véhicules adaptés au handicap et d’avoir une politique d’emploi favorable aux travailleurs handicapés. Hyundai et Kia Motors seront sponsors des Jeux paralympiques d’hiver qui auront lieu en 2018 en Corée du Sud. Les entreprises de technologie font aussi de la R&D dans le cadre des Jeux, comme Samsung avec son projet de Blind Cap, développé en collaboration avec l’équipe paralympique de natation espagnole, un bonnet de bain qui indique aux nageurs aveugles à quel moment effectuer leurs virages.
Vidéo de présentation du bonnet de bain Blind Cap de Samsung:
Et les fablabs dans tout ça?
Entreprises de pointe et gros sponsors financent l’innovation technologique dans le sport paralympique. Mais qu’en est-il des fablabs et du mouvement maker, très impliqué dans le handicap « civil », à l’instar du Français Nicolas Huchet, qui a popularisé mondialement une prothèse de bras imprimable ? Selon lui, si les fablabs ne sont pas encore de l’aventure paralympique, c’est d’abord parce que « les fabmanagers n’ont pas l’opportunité de se dégager de la recherche de rentabilité pour s’investir dans de tels projets ». Une bête question d’argent ? Nicolas Huchet explique le mariage naturel de l’entreprise avec le sport de haut niveau par le fait que « le sportif, comme l’entreprise, sont à la recherche de résultats ». Cependant, estime le porteur de Bionicohand, « les fablabs peuvent servir de lieux d’impulsion dans le parcours d’un sportif handicapé à la recherche de solutions ».
« Les matériaux engagés, comme le titane ou le carbone, sont également plus susceptibles d’être mis en œuvre dans le giron de l’entreprise », poursuit Nicolas Huchet. Mais il estime que l’aventure paralympique pour un fablab n’est qu’une question de temps. Lui qui parcourt la planète pour parler prothèse ouverte et réappropriation de la technologie par les personnes handicapées a d’ailleurs partagé au fablab Berlin des données techniques avec Paul Sohi, spécialiste du logiciel Fusion 360 d’Autodesk, qui travaillait sur l’impression 3D d’une prothèse pour Denise Schindler, cycliste paralympique allemande, présente à Rio.
Elaboration de la prothèse 3D de la cycliste Denise Schindler (vidéo Dezeen, en anglais):
L’impression 3D industrielle en pointe
L’impression 3D est aussi la porte d’entrée de l’open hardware dans l’univers paralympique, comme pour cette famille du Kentucky qui a poussé la porte d’une université pour imprimer des gants en 3D pour ses enfants athlètes olympiques – les gants servent à entraîner les roues du fauteuil. Cette porte aurait pu être celle d’un fablab…
En attendant, l’industrie de l’impression 3D répond aux problématiques posées par les athlètes paralympiques. Aux Etats-Unis, Titan Robotics augmente le bras d’un cycliste paralympique, Create Prosthetics couvre les prothèses d’un champion paralympique de bobsleigh. En Italie, Wasp, porteur de projets altruistes comme la maison imprimée en 3D en terre (dont on vous parlait ici), équipe également deux sportifs, l’une en canoë paralympique, l’autre en prévision du championnat du monde de surf adapté, en décembre en Californie.
Pour Nicolas Huchet, les prothèses modernes pourraient bien écrire leur propre page de l’histoire du sport. Comme au Cybathlon qui aura lieu à partir du 8 octobre 2016 à Zurich, en Suisse, et dont il compte bien rejoindre la prochaine édition – faute de place cette année. Cette compétition est faite d’épreuves réservées aux porteurs de prothèses préhensibles, exosquelettes ou interfaces cerveau machine type BCI. A Zurich, pas de basket ni de rugby mais des courses pour ouvrir une bouteille, monter un escalier, affronter un parcours d’obstacles en fauteuil, parfois en commandant les mouvements par ondes cérébrales.
Première édition de Cybathlon, vidéo de présentation:
Hacker le quotidien
La transition est toute faite avec la vie au quotidien, parfois vécue par les handicapés comme autant d’épreuves sportives ! Un quotidien que, par exemple, les Londoniens d’Hackonwheels tentent de hacker par la technologie, avec une série de hackathons, dont le dernier s’est tenu le 16 juillet 2016, autour des questions de mobilité. Une initiative qui a justement vu le jour à l’occasion des jeux paralympiques de Londres en 2012 pour permettre l’accès pour tous à des fauteuils personnalisés en open hardware. Un objectif que partage la fondation Open Wheelchair, dont l’une des solutions DiY est proposée en version française sur le site My Human Kit de Nicolas Huchet.