Considérations intestinales sur les communs
Publié le 8 septembre 2016 par Olivier Blondeau
Une fois que l’on sait ce que le commun peut être, comment il peut être gouverné et par qui, la question est de savoir ce dont le commun est le nom, c’est-à-dire quel est le projet de société dont il est porteur.
Chacun peut se reconnaître des communs, des « hordes barbares » qui veulent « ubériser » les normes et réglementations étatiques aux multitudes post-marxistes en passant par des nostalgiques de la pensée libertaire ou même hippie. D’abord des ingénieurs qui souhaitent partager leur savoir, ou des « défricheurs », qui, « oscillant entre pragmatisme et radicalité » comme le rappelle Eric Dupin, cherchent des voies alternatives à celles qui ont été explorées jusqu’à présent pour mettre en cohérence leurs paroles et leurs actes. Mais aussi des paysans ou à tout le moins des gens – parfois des néo-ruraux – attentifs à l’environnement, qui promeuvent la permaculture, les circuits courts et l’agriculture biologique.
Soyons caricatural. Certains, un brin condescendants, ne manqueront pas de se moquer : « L’avenir n’est pas dans son carré de jardin. » Ils riront : « Ce n’est pas en faisant pipi sur ses tomates qu’on invente un projet de société. » Ils railleront tous ces projets qui cherchent à réinventer de nouvelles formes de production, de consommation et de vivre ensemble.
«Post Consumer Waste Recycling Program», les Yes Men v/s l’OMC, State University de New York à Plattsburgh (Etats-Unis), mars 2002:
Mais, ne leur en déplaise, l’urine, riche en azote, phosphore, potassium et souffre, est bel et bien un engrais naturel, efficace et respectueux de l’environnement. Qui intervient dans de nombreux projets de permaculture visant à répondre à la problématique de la faim dans le monde et de la pollution des sols par les engrais chimiques. Comme par exemple la culture de spiruline développée à l’éco-hacklab La Myne à Villeurbanne.
Je pense aussi aux projets qui se développent autour de l’aquaponie qui utilisent des déjections de poissons pour le végétal cultivé. L’aquaponie est peut-être l’exemple le plus fascinant d’un point de vue intellectuel et au-delà de toute posture idéologique du vivre ensemble, chacun se « nourrissant » au sens le plus vertueux du terme, entre animaux, végétaux bactéries, machines et humains dans un écosystème respectueux de chacun.
Et bien sûr, à tout seigneur, tout honneur, comment ne pas rendre hommage à cet infatigable faiseur de commun : le ver de terre et ses déjections qui interviennent dans le compostage et font dire à certains que les vers de terres sont plus intéressants que les imprimantes 3D. Je pourrais prolonger cet inventaire par les biogaz issus des déjections humaines et autres énergies grises…
Changer le monde
Nul besoin de convoquer ici des déesses oubliées, Gaïa, la terre-mère. C’est une pure question de chimie et de mécanique intestinale. Dit autrement : on ne cherche pas à vendre des téléphones mobiles ou des imprimantes 3D, on veut de manière très immodeste changer le monde.
Le commun qui est en train de se construire aujourd’hui est composé de tous ces projets ouverts et documentés pour que chacun puisse se les approprier librement, les améliorer et les essaimer. Il ne concerne pas seulement des technologies hi-tech, des lignes de codes, des fichiers d’imprimantes 3D. Il n’est pas forcément de ceux qu’on peut refiler rapidement aux Gafa en touchant le jackpot au passage. Il s’agit souvent d’idées simples, parfois issues de cultures ancestrales et bien souvent d’inquiétantes sorcières comme le rappelait Weronika Zarachowicz dans Télérama.
Le commun s’expérimente d’abord et avant tout. Et il s’expérimente sous le régime de la curiosité. De celle dont Paolo Virno disait qu’elle se « situe dans un no-man’s land, un moment d’exode qui s’insinue entre un “non plus” et un “pas encore” : non plus une trame de traditions consolidées, capable de protéger la pratique humaine de l’aléatoire et de la contingence ; pas encore la communauté de tous ceux qui n’ont aucune communauté préexistante sur laquelle compter ».
Inutile donc de politiser trop vite ces communs, ni de les renvoyer à des schémas « post », préétablis et encore moins de le caricaturer de manière souvent déplacée. Il est avant tout urgent de prendre le temps d’expérimenter ces formes de vie et d’être ensemble qui se développent aujourd’hui dans ces laboratoires à ciel ouvert que sont les fablabs et les tiers-lieux.
Retrouvez les précédentes chroniques pour Makery d’Olivier Blondeau, co-auteur de «Libres enfants du savoir numérique» (éd. de l’Eclat, 2000)