Un an sous un dôme à Hawaï: «Le DiY fera partie de la vie sur Mars!»
Publié le 2 septembre 2016 par Ewen Chardronnet
L’astrobiologiste français Cyprien Verseux, 25 ans, a passé un an dans une simulation d’habitat sur Mars, à 2500m sur les pentes du plus haut volcan du monde à Hawaï. Il raconte cette expérience riche en Do it Yourself.
Cela fait à peine trois jours qu’il est sorti. Il est minuit à Paris, midi à Hawaï, Cyprien Verseux nous raconte au téléphone le système D du quotidien de la mission Hawaii Space Exploration Analog and Simulation (Hi-Seas) organisée par la Nasa et l’université d’Hawaï pour préparer la vie sur Mars. Le scientifique français, diplômé de Sup Biotech et spécialiste en microbiologie et agronomie spatiale, était un peu le Matt Damon de Seul sur Mars durant cette mission qui a simulé la vie sur la planète rouge. Après avoir passé un an enfermés sous un dôme de 11m de diamètre posé sur les hauteurs du Mauna Loa à Hawaï, lui et ses cinq coéquipiers sont sortis dimanche 28 août. Premier objectif de cette 4ème mission Hi-Seas : simuler un séjour sur Mars pour tester les conditions de vie et la santé psychologique des futurs pionniers de la planète rouge.
Bien que devant répondre régulièrement à une batterie de questionnaires psychologiques, les coéquipers (quatre Américains, une Allemande et un Français) ont trouvé le temps de travailler à leurs projets de recherche. Carmel Johnston, commandante de la mission, travaillait sur la production de nourriture, l’hydrologie et son impact sur Mars et la Terre. Christiane Heinicke, la responsable scientifique, travaillait notamment sur l’extraction d’eau du sol martien en utilisant l’énergie solaire. Sheyna E. Gifford mettait au point des procédures médicales d’urgence, comme des outils chirurgicaux imprimés à la demande pour des essais de téléchirurgie. Andrzej Stewart, ingénieur aérospatial, étudiait l’usage de drones en extérieur. Tristan Bassingthwaighte, architecte, étudiait la conception de la base pour les prochaines missions. Cyprien Verseux travaillait sur l’évolution des microbiomes dans l’habitat et sur l’utilisation de cyanobactéries pour produire des ressources sur Mars à partir de matériaux naturellement présents sur place (projet Cybliss -Cyanobacterium-Based Life-Support System).
Pendant cette année de mission, avez-vous eu à trouver des solutions DiY pour régler des problèmes quotidiens?
Oh oui ! Le DiY fera vraiment partie des missions sur Mars ! Dans notre simulation à Hawaï, ce genre de situations à la Seul sur Mars nous arrivait assez souvent dans la vie de tous les jours, vu qu’évidemment nous ne pouvions pas aller au magasin et qu’il fallait faire preuve d’inventivité. Si nous avions oublié quelque chose, ou si nous cassions quelque chose, nous étions obligés de nous débrouiller.
Quand on prévoit un an d’expérience, on a beau avoir une liste d’équipements, au bout de quelque temps sur le terrain, on s’aperçoit qu’on a une nouvelle idée mais qu’on ne peut pas la développer parce qu’il manque quelque chose, on casse quelque chose et on ne peut pas la remplacer, on a oublié quelque chose de spécifique qui pouvait paraître secondaire dans la préparation de la liste mais qui pourtant aurait pu nous être utile, etc. Dans la vie normale, on peut toujours adapter et acheter plus tard ce dont on a besoin, en fonction de l’évolution du projet. Mais dans le cas présent, on ne peut pas, on doit donc faire avec ce qui est à notre disposition.
L’équipe Hi-Seas IV à leur entrée dans le dôme (vidéo en anglais de l’université d’Hawaï):
Dans quel cas la bricole a-t-elle réellement été indispensable à la mission?
Exemple tout simple : un jour, notre photo-incubateur a cassé. Or, j’en avais absolument besoin. Alors j’ai dû en bricoler un. Avec ma coéquipière, nous avons récupéré une caisse de type gros Tupperware en plastique qui servait à stocker la nourriture, on y a mis un thermostat qu’on a trouvé dans la base, une ampoule chauffante en céramique qu’on a branchée, on a récupéré des fils électriques sur des rallonges qu’on n’utilisait pas, des LEDs pour la lumière, un ventilateur de PC et un thermostat pour la régulation de la température.
Et côté vie quotidienne?
Pendant plusieurs semaines, nous n’avons pas eu d’eau courante. Notre pompe à eau était cassée. Nous avions un réservoir avec des charges d’eau que nous devions aller chercher, ce qui impliquait une EVA, une sortie extra-véhiculaire en combinaison. Un problème venait s’ajouter à ces sorties régulières : l’eau n’était pas potable, il y avait des algues, plein de choses qui flottaient à la surface, etc. Du coup, nous avons bricolé un système pour distiller l’eau. On a pris une grosse caisse en plastique, on a mis une plaque chauffante au fond, on a mis un film plastique incliné au-dessus, avec un container, et comme ça, on a pu distiller l’eau et la boire.
Hi-Seas IV à mi-parcours de la simulation (vidéo en anglais de l’université de Hawaï):
Et côté expérimentations alimentaires?
Parfois on faisait des tentatives. Par exemple, j’ai raconté sur mon blog comment j’ai essayé de faire une dinde rôtie avec des cubes de dinde réhydratés en les amalgamant pour leur donner une forme de dinde. Comme nous étions six, pour les fêtes de fin d’année, je me suis dit “je vais faire une dinde à six pattes comme ça personne ne se battra pour avoir la cuisse”.
Plus sérieusement, j’ai fait des cultures hydroponiques. Comme on avait très peu de place et très peu d’équipement pour ça, j’ai utilisé de vieilles bouteilles en plastique de sirop d’agave comme support pour le système hydroponique. En découpant des bouteilles, en mettant le dessus à l’envers, de la tourbe à l’intérieur, on créait un système hydroponique.
Dans vos recherches biologiques, dans quelle mesure avez-vous eu recours au DiY?
Par exemple j’ai fait simplement un autre incubateur avec des aquariums. J’ai mis des LEDs autour, j’ai utilisé un photomètre pour trouver la bonne distance de la source et donc avoir la bonne intensité lumineuse. J’ai aussi utilisé un bulleur d’aquarium pour aérer et mélanger.
Durant les sorties extravéhiculaires, avez-vous été confronté à des situations critiques où vous auriez pu faire une brèche avec l’extérieur?
Pour éviter ça, on sortait toujours avec du gros chatterton, vraiment comme dans Seul sur Mars en fait. Parfois, lorsqu’on descendait dans un tunnel de lave, il pouvait y avoir une roche qui déchirait un peu notre combinaison et là nous mettions du chatterton dessus.
De quelle manière avez-vous bénéficié du conseil en temps réel de l’équipe du projet ou des participants des missions précédentes?
Il y a en effet une Mission Support avec qui nous communiquions, bien que les échanges n’étaient pas ce qu’on peut appeler en temps réel, il y avait un délai artificiel de 20mn dans les deux sens, pour créer la distance avec Mars. Les personnes en soutien de mission se relayaient pour un contact permanent avec nous, et certains étaient des équipiers de la mission d’avant, comme l’ingénieure Jocelyn Dunn que j’ai rencontrée à ma sortie. On pouvait aussi contacter les responsables de domaines spécifiques des missions précédentes pour leur demander comment ils avaient fait ci ou ça, ou pour avoir le diagnostic du passé d’un équipement, où ils avaient rangé tel ou tel matériel, etc.
Quel bilan tirez-vous de vos recherches?
Je n’ai pas encore les résultats pour le microbiome. L’analyse prendra du temps. Pour les cyanobactéries, je voulais notamment voir si l’on pouvait les utiliser pour transformer des éléments présents sur Mars en nutriments pour plantes, afin de pouvoir cultiver ces dernières à partir de ressources martiennes, l’un des composants de CyBLiSS. Les expériences obtenues dans le dôme confirment que l’idée est viable. Maintenant, j’ai hâte de retrouver un laboratoire bien équipé pour formaliser ces résultats !
Une petite anecdote DiY particulièrement drôle pour terminer?
J’ai une histoire assez personnelle… avec une pompe à vide. On avait un filtre à vide entre un vase et un container, et donc, en principe, on met le liquide au-dessus, on aspire avec une pompe à vide, et le liquide se retrouve ensuite dans le container en dessous. Sauf qu’on n’a pas trouvé de pompe à vide. Du coup, j’ai mis un tuyau à la sortie vide, j’y ai accroché une seringue de façon hermétique, et je l’utilisais comme embout à bouche pour aspirer et créer le vide. J’ai passé une douzaine d’heures à aspirer à la bouche, ce qui était assez laborieux. Une fois terminé, j’ai posé la seringue et soufflé. Et là, j’ai regardé au mur et me suis demandé “mais c’est quoi ce qui pend au crochet au mur?”… C’était une pompe à vide ! Sauf qu’elle ressemblait à un pistolet à colle et pas du tout à ce que je cherchais ! Je l’avais vue mais je ne m’en étais pas du tout rendu compte ! Je me suis retrouvé assez dépité, avec des douleurs à des muscles que je ne connaissais même pas. Je venais de passer douze heures à pomper comme un Shadok !
«Walking on Red Dust», le blog en anglais et en français de Cyprien Verseux
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