Depuis 1986, le festival Burning Man met le feu au désert de Black Rock au Nevada. Alors que débute la trentième édition ce 28 août, Makery a enquêté sur la place des makers dans ce rêve d’utopistes technophiles.
Et si Burning Man était le rendez-vous ultime des makers? Ce 28 août, le festival en plein désert du Nevada ouvrait ses portes pour sa trentième édition avec quelque 2 000 installations, le plus souvent réalisées en matériaux recyclés, créées par les 500 communautés participant à la manifestation.
Burning Man a une manière de fonctionner très « maker », raconte à Makery le photographe et écrivain NK Guy, auteur de la somme parue chez Taschen en 2015, Art of Burning Man, recueil de 16 ans de ses prises de vue dans la ville éphémère de Black Rock City. « Tout comme les groupes de makers organisent des ateliers et des classes pour apprendre les outils, les technologies et comment hacker les méthodologies, les artistes de Burning Man s’apprennent les uns aux autres comment fabriquer de l’art. »
A Burning Man, pas de spectateurs – c’est l’un des dix principes du festival. « Tout est interactif, explique Marie aka P’tite Lutine, membre de la communauté française des burners et co-fondatrice, avec Laurent Garcia, de Playa Provides, une association qui met artistes et créateurs en relation avec Burning Man. La majorité des camps arrivent au début de l’événement et tout reste à construire. » Les porteurs de projets artistiques se rendent donc au début du festival sur la playa à la recherche de volontaires partants pour intégrer leur équipe, raconte-t-elle.
La carte non officielle des campements de Burning Man 2016:
Du fablab à la playa
Cette année, les burners sont appelés à broder autour de Léonard de Vinci. « Il va y avoir des installations complètement folles, mécaniques, qui vont utiliser le vent, le soleil », se réjouit Marie. L’un des projets phare est porté par la fondation Big Imagination : faire venir un Boeing 747 sur la playa et le transformer en « art car » géant, ces véhicules artistiques qui peuplent Burning Man. Dans un post sur l’installation (elle était prévue pour l’édition 2015), le burner Jet Burns décrit la fabrication de ce projet fou. « Déjà plus de cent personnes sont venues participer à Projet 747. Beaucoup ont utilisé des outils pour la première fois. Ils ont appris les procédures de sécurité, à désassembler et fabriquer avec du bois, de l’acier, de l’aluminium, des fils, des LEDs et tellement d’autres choses, aussi pour la toute première fois. »
Egalement au programme de cette édition, The Space Whale, une baleine en verre grandeur nature et son petit, le temple en bois recyclé de David Best, construction à laquelle participent Marie et Laurent. Depuis 2000, ce sera le huitième (et dernier) temple construit sur le sable de Black Rock City par le sculpteur américain. La plupart des constructions sont préparées dans les fablabs locaux avant d’être désassemblées pour voyager jusqu’à la playa, explique Laurent Garcia, qui précise qu’un grand nombre de fabmanagers sont aussi des burners. « Les burners construisent des appareils pour la vie sur la playa, comme des générateurs. Burners et makers sont passionnés les uns par les autres. Les makers donnent aux artistes de Burning Man les outils et les ateliers dont ils ont besoin. »
En 2007, le fablab mobile du MIT avait d’ailleurs investi la playa et l’année dernière, l’artiste David Best a créé un partenariat avec le fablab Nerve Center, en Irlande du Nord, pour construire un temple inspiré de Burning Man avec 20 volontaires.
Burning Man est-il LE rendez-vous des makers pour autant ? Pour NK Guy, « d’une certaine façon, Burning Man a des airs de campement de survie familial et la Maker Faire, des airs de Burning Man de banlieue ». Will Chase fait aussi le lien entre le festival et la réunion annuelle des makers. Lui qui, après avoir travaillé 13 ans au festival a rejoint l’équipe de Make Magazine, écrit : « La Maker Faire est la chose la plus proche de Burning Man dont j’ai fait l’expérience. Juste avec moins de poussière et plus de pantalons. »
A la Maker Faire Nantes, des burners en première française
Les deux communautés ont en effet bien des choses en commun : nées dans la baie de San Francisco, les deux composent une communauté technophile et sont attirées par le recyclage, les énergies propres et l’apprentissage collaboratif et le do it together.
En France, c’est à la Maker Faire de Nantes, en juillet dernier, que makers et burners ont pour la première fois collaboré officiellement. Entre les pattes de Kumo, la grande araignée des Machines de l’Île, sillonnent deux sculptures mobiles et cracheuses de feu de plus de 15 m de long, intitulées The Serpent Twins, créées en 2011 par les fous du désert Jon Sarriugarte et Kyrsten Mate. Dans le « campus » de la Maker Faire, une exposition du photographe Gilles Bonugli Kali sur le festival, une conférence donnée par les dirigeants de l’organisation ou encore une projection à 360° du travail de l’artiste numérique et burner Android Jones étaient organisées.
Pour Pierre Orefice, directeur des Machines de l’Île et co-organisateur de l’évènement qui marquait les 10 ans des Machines, le lien était évident. D’abord, parce que l’équipe technique chargée de monter la ville éphémère de Black Rock, les fameux DPW (Department of Public Works), est la même que celle chargée de construire la Maker Faire de San Francisco. Et puis, parce que « Burning Man comme la Maker Faire, c’est une histoire de construction, de montage et de démontage. Plus que le côté rock’n roll, c’est le côté bâtisseur de ville qui nous intéressait ».
Kumo versus The Twin Serpents à la Maker Faire Nantes, juillet 2016:
Aux Etats-Unis, les deux communautés cohabitent depuis longtemps : « La Maker Faire de la baie de San Francisco est particulièrement célèbre pour exposer des installations artistiques qui ont fait leurs débuts à Burning Man », explique NK Guy qui se souvient de Neverwas Haul, un train à vapeur hybridé à une maison victorienne, du Serpent Mother, un immense squelette de serpent mécanique enroulé autour de son œuf signé Flaming Lotus Girl, collectif d’artistes (mixte) qui travaille à la croisée de la cinétique, la pyrotechnie, la robotique et l’électronique. Les mêmes montent cette année Pulse, un cœur de métal équipé de capteurs pour synchroniser les réactions de la sculpture au rythme cardiaque des participants.
Pour accompagner le lancement de son livre, ce maker à ses heures perdues publiait en décembre 2015 un essai enflammé sur ce haut-lieu « de la culture maker » : « Dans un siècle, quand les historiens de l’art regarderont l’héritage complexe de cet unique événement américain, j’espère qu’une chose ressortira. J’espère que l’on s’en souviendra comme un événement pour les faiseurs et les makers », écrit-il. En réponse à nos questions par mail, il enfonce le clou : « Burning Man est devenu un endroit incroyablement riche pour le réseautage sur les thèmes de l’art et des makers, pour tester des projets en béta dans un environnement sans merci, pour permettre aux techno-fétichistes de créer des liens en faisant la fête. Et, tout aussi important, le “comment font-ils ça ?” se change très rapidement en “je peux le faire aussi”. Ce qui, vraiment, résume le mouvement maker. »
Burners à l’appel des makers
Alors que Burning Man fête ses 30 ans, ses dirigeants cherchent désormais à officialiser les relations entre les communautés. Pourquoi seulement maintenant ? « On travaille dans l’innovation, la culture DiY, avec des start-ups. C’était une question de temps avant que l’on cherche plus d’informations », avance Jenn Sander, en charge de l’innovation et des initiatives à Burning Man. L’appel du Président Obama en juin 2014 pour faire des État-Unis une « nation de makers » a sans doute accéléré le mouvement, souligne-t-elle.
Au sein de l’organisation Burning Man, ajoute-t-elle, « de plus en plus de dirigeants sont formés à s’engager avec cette communauté. Lorsqu’on se rend dans une ville, on rend désormais visite aux makers et aux burners ». Signe de cette collaboration de plus en plus poussée, elle envoyait en mai 2016 un questionnaire aux communautés régionales de burners à travers le monde pour « comprendre et documenter » les relations entre makers et burners.
Pour les French burners Marie et Laurent, les makers sont une « communauté clé ». Depuis janvier, leur organisation Playa Provides cherche à renforcer la communauté de Burning Man au-delà des burners et à faire voyager l’art français jusqu’au désert du Nevada. « On veut tisser des liens entre tous ces gens qui savent faire et les rêveurs qui ne savent pas faire, dit Laurent. Entre les deux communautés, la frontière est invisible. Si les makers n’existaient pas, l’événement n’existerait pas. »
En savoir plus sur Burning Man 2016, du 28 août au 5 septembre, en suivant le live par ici