Une algue découpée au laser, des lampes en soie et PLA, des mouches droguées pour comprendre la maladie de Charcot-Marie-Tooth… Le D-lab innove en termes de pédagogie et design: artisans, chercheurs et étudiants y travaillent à inventer de nouveaux usages.
Kyoto, envoyée spéciale
« Le design est encore très sous-estimé, avance Julia Cassim, la professeure visionnaire du Kyoto Design Lab (D-lab) au Kyoto Institute of Technology (KIT). Peu à peu les gens se rendent compte que le design n’est pas seulement une question d’esthétique pour “faire joli”. Le design est capable de pensée stratégique. »
Le caractère avant-gardiste, pluridisciplinaire et collaboratif du D-lab est né d’une volonté du gouvernement japonais d’innover en recherche et pédagogie du design. Depuis son ouverture en mars 2014, la direction du lab relève le défi en faisant venir des designers chercheurs venus d’institutions d’outremer afin de les faire collaborer avec les étudiants, les chercheurs de l’université et les artisans de Kyoto, et les inviter à interagir avec les matériaux de la région et les œuvres des archives.
« Au Japon, l’enseignement du design traîne derrière les nouvelles réalités de l’âge informatique, l’interaction, le fait que leur produit n’est peut-être rien de plus qu’une interface, dit Julia Cassim, d’origine britannique. Nombre de programmes en design produit et industriel au Japon ont tendance à conserver une mentalité des années 1970, où on baignait dans l’argent et le temps, où l’avenir semblait sans fin. Par ailleurs, l’enseignement du design en Occident repose fortement sur le concept, et pas assez sur la technique ou les matériaux. Ici chez D-lab, c’est le contraire. Vous prenez un matériel et vous pensez et travaillez en manipulant et en prenant connaissance du matériel, allié au concept, afin de pouvoir inventer quelque chose de nouveau. »
Si le tout jeune Kyoto Design Lab a seulement deux ans, sa structure mère, le Kyoto Institute of Technology, date de l’ère Meiji. D’ailleurs, le nom japonais de l’institut traduit de manière plus fidèle son origine artisanale, une fusion entre une école de fabrication textile fondée en 1899 et un lycée technologique fondé en 1902.
«Ancienne sagesse, nouveau savoir»
De ce fait, le lab a une affinité particulière avec les textiles et une relation privilégiée avec les artisans qui les travaillent depuis des générations. L’espace généreux du laboratoire s’étale sur plusieurs pièces, de la salle de classe ouverte aux immenses ateliers où travailler le bois et le métal, qui abritent toutes les machines de fabrication numérique classiques.
Dans l’ancienne capitale Kyoto, une ville à la fois traditionnelle et dynamique, riche en architecture, histoire, culture et artisanat, les opportunités de collaboration, de préservation et de réinterprétation ne manquent pas. D’ailleurs, une des idées du D-lab est de faire collaborer des gens qui autrement ne se rencontreraient jamais.
Ainsi, parmi les derniers projets du D-lab, on découvre des meubles faits de bambou local qui intègrent de l’algue de Hokkaïdo découpée au laser, fabriquée par la designer en résidence Julia Lohmann de l’université de Hambourg, en Allemagne, qui s’est fait aider par un artisan traditionnel du bambou. Il y a également ces lampes fabriquées en soie renforcée de PLA (acide polylactique) imprimées en 3D par la designer Michelle Baggerman de l’Académie de design d’Eindhoven, en Hollande, en collaboration avec Masaki Ebara, un artisan qui a l’habitude de coudre la soie des habits pour moines et des décorations pour temples.
Présentation de l’atelier «Woven Light», animé par Michelle Baggerman au Kyoto Design Lab:
Depuis 1988, la faculté d’ingéniérie et de design du KIT a créé trois départements : architecture et design (qui comprend le D-lab) ; ingéniérie de l’électronique et design ; matériaux et sciences de la vie.
Toujours avec la mission de catalyser des collaborations inattendues, et suivant un engagement actif envers le « design inclusif » (notamment les personnes handicapées ou « invisibles »), le D-lab a encadré une collaboration inédite entre le designer polyvalent Frank Kolkman, l’inventeur du robot chirurgien DiY, du Royal College of Art à Londres, le professeur biologiste Masamitsu Yamaguchi au KIT, le Center for Advanced Insect Research et le centre de recherche Charcot Marie Tooth au Japon. Le résultat est un dispositif qui permet aux patients de l’obscure maladie de Charcot-Marie-Tooth de tester les effets de drogues chez eux… en observant les réactions de mouches transgéniques.
Présentation du projet «Design pour les mouches» du Kyoto Design Lab:
Seul petit inconvénient en termes d’accessibilité, le D-lab se situe sur le campus universitaire un peu excentré du KIT, et est réservé aux projets D-lab. Mais le lab organise régulièrement des workshops thématiques associés à ses projets de recherche, ouverts à tous et animés par les experts invités, afin de provoquer d’autres collaborations pluridisciplinaires et stratégiques.
« Dans notre monde de plus en plus pluridisciplinaire, qui est-ce qui dirige ?, demande Julia Cassim. On a besoin d’une méthodologie pour avancer les ateliers, quelqu’un qui puisse concevoir le cadre de travail. Quel genre de personne, quelle discipline va le diriger ? Je choisis souvent un designer produit pour mener l’équipe, parce qu’il perçoit l’ensemble comme produit. Je pense que les designers sont particulièrement bien équipés pour faire la médiation parmi des personnes qui pourraient avoir des perceptions très différentes du même mot. Par exemple, si vous dites “design” à un ingénieur, à un concepteur d’interface ou à un graphiste, chacun a sa propre perception de ce que cela signifie. Les designers ont le grand avantage de pouvoir communiquer dans un langage immédiat et facilement compréhensible par tous, quelle que soit leur discipline. »
En mai dernier, en amont d’un projet D-lab sur les textiles connectés, l’artiste Frank Kolkman a ainsi animé un atelier d’initiation à l’électronique par le médium du papier. Etudiants en design et en ingéniérie venus du KIT et d’ailleurs, ainsi que des professionnels de formations diverses, japonais et étrangers, se sont réunis pendant trois jours pour apprendre ensemble le b.a.-ba de l’électronique en commençant par dessiner un circuit directement sur du papier à l’aide du stylo à encre conductive Circuit Scribe. Ils ont ensuite conçu un prototype d’objet tridimensionnel en papier intégrant le circuit, puis des fonctions plus complexes à l’aide d’Arduino.
Chaque projet, atelier et activité du D-lab est documenté en vidéo, médium immédiat et contemporain pour expliquer la méthode à un public au-delà de l’académie.
En parallèle, le D-lab maintient une galerie permanente à l’intérieur du centre d’art 3331 Arts Chiyoda à Tokyo, qui permet d’exposer leurs derniers projets dans un autre contexte. Actuellement exposée dans la capitale, l’installation Bits of Kyoto Gardens, d’après un workshop réalisé en collaboration avec le département d’architecture d’ETH Zürich, présente les résultats sonores et visuels d’une étude architecturale des espaces physiques de certains jardins et bâtiments anciens à Kyoto, enregistrés et scannés en 3D, puis reconstitués sous forme de films immersifs qui sont à deux pas de la réalité virtuelle.
Présentation du projet «Mesurer le paysage et le son d’un jardin japonais» du Kyoto Design Lab:
« Petit à petit grâce au mouvement maker, les gens s’intéressent énormément au lien entre le faire et le penser – et entre le faire et le concept, poursuit Julia Cassim. En particulier, l’impression 3D a redonné aux designers la confiance d’imaginer plus loin. Maintenant la visualisation numérique et l’impression 3D ont ouvert la voie au prototypage itératif. Au cœur du bon design, il y a toujours des cycles de prototypage, quelle que soit l’ingéniosité du concept. Il est certain que l’impression 3D et tout le moteur du mouvement maker ont rendu plus facile d’imaginer et de faire en même temps. »
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