Pierre Corbinais a fondé l’Oujevipo et Shake That Button, deux sites dédiés aux jeux marginaux et aux joysticks alternatifs. Puis le chroniqueur est devenu créateur de jeux narratifs. Portrait d’un artisan du jeu indé.
Pierre, dit « Pierrec », a beau naviguer dans le milieu du jeu vidéo, il ne s’est jamais considéré comme un gamer. « Un gamer se définit par sa pratique. Même en étant joueur, je ne me revendique pas comme tel. » Le gamer, selon lui circonscrit à un groupe d’appartenance et un mouvement comme celui du Gamergate (responsable de campagnes de harcèlement contre des femmes évoluant dans le domaine des jeux vidéo), n’aide pas franchement Pierrec à se désigner ainsi.
Pour l’amour des niches
En 2010, après un master de journalisme, Pierre lance son propre blog, l’Oujevipo, où il chronique les jeux gratuits, souvent réalisés lors de game jams, ces compétitions de création de jeux en 48 ou 72 heures sur un thème donné. Pierrec trouve dans ces petites œuvres des liens avec l’Oulipo (l’Ouvroir de littérature potentielle), le mouvement littéraire fondé par le mathématicien François le Lyonnais et l’écrivain Raymond Queneau et basé sur la contrainte. L’occasion pour lui de souligner les qualités artistiques de ces jeux, de dénicher et suivre des auteurs discrets comme Stephen « Increpare » Lavelle, créateur de plus de 200 jeux.
Depuis 6 ans, Pierre ne s’arrête plus, à raison de quatre billets par semaine minimum. L’Oujevipo tient d’une gargantuesque encyclopédie des jeux marginaux. Considérant le territoire des jeux gratuits comme un terrain très peu exploité par les journalistes, Pierrec souhaite aider des développeurs peu enclins à communiquer sur leurs propres jeux.
«Ça m’intéresse de couvrir des jeux sur lesquels les créateurs ne vont pas communiquer, ces créations s’apparentent à des bouteilles à la mer. Peut-être que sans moi et d’autres, ces jeux ne seraient joués par personne.»
Pierre Corbinais
Toutes ces recherches lui ont donné envie de créer ses propres jeux. Inspiré par Ben Chandler, artiste australien spécialisé dans le point and click en pixel art, Pierrec utilise le même outil open source, Adventure Game Studio, pour concevoir ses petites aventures narratives depuis 2011.
Excepté un test sur Tyranno Builder, un programme de création de visual novels, Pierrec s’en tient à AGS et Puzzle Script qui lui a permis de concevoir Candy’s Crushes Saga, savoureux puzzle game narrant la vie amoureuse de Candy.
Vers plus de physicalité
Séduit par la matérialité des installations ludiques présentées lors de l’Art Game Weekend 2013, ce rendez-vous européen pour les créateurs de jeux vidéo, connu maintenant sous le nom de Zoo Machines, Pierrec a décliné cette passion en deux activités : l’Oujevipo Expo et le site Shake That Button.
Fondé avec Xavier Girard en 2015, l’Oujevipo Expo relance un concept expérimenté lors du festival de jeux vidéo Retro (No) Future à Cergy en 2013. D’un simple concours présentant les jeux sur de belles bornes d’arcade colorées, la compétition s’est transformée en véritable exposition ouverte à tous, poussant plus loin la folie formelle des différentes installations. « Les gamins n’ont jamais vu de vraies bornes d’arcade, on peut donc tordre le concept comme on veut, ça sera dans tous les cas nouveau pour eux. » L’exposition a tourné partout en France et, malgré son avenir incertain, dû à l’usure rapide et à la complexité du transport, elle sera présentée à Orléans les 16 et 17 septembre.
Dans le même temps, Pierrec s’est attelé à la mise en chantier du site Shake That Button, qui collecte les jeux à contrôleurs alternatifs. On en voit de plus en plus dans les festivals de jeux vidéo indés du type A Maze, Screenshake ou Feral Vector où ces jeux décalés tirent vers plus de physicalité en se passant parfois même d’écrans. Comme avec l’Oujevipo, Pierrec s’est lancé dans l’aventure pour occuper une case vide.
Session du jeu «Idiots Attack the Top Noodle», du Copenhagen Game Collective (chroniquée sur Shake That Button):
Aux croisements de l’art contemporain, de la culture maker et des jeux vidéo, ces installations témoignent toutes d’un même amour de la bidouille et du bricolage. Avec Shake That Button, Pierre Corbinais découvre la proximité entre média art et jeux. « Les créateurs issus de l’art contemporain n’assument pas, pourtant ils font des jeux. Je suis fasciné par ces promiscuités, ces artistes aux parcours différents se retrouvent à faire la même chose. »
Foutraque, intéressant principalement les curateurs et développeurs en quête de nouvelles inspirations, le site manque encore de lignes directrices, aurait besoin de plus de clarté… Pierrec aurait bien besoin d’un coup de main pour faire vivre Shake That Button. Des volontaires ?
En savoir plus sur l’Oujevipo et Shake That Button
«Oujevipo Expo», les 16 et 17 septembre 2016 à l’Hôtel Dupanloup (Centre international universitaire pour la recherche), à Orléans