Caroline Grellier, notre makeuse en composites de sarments de vigne, s’est autorisée une escapade hors labo pour trouver l’inspiration à Terra2016, réunion mondiale des amoureux de l’architecture en terre, à Lyon du 11 au 14 juillet.
R&D… suite et fin (?)
Le contrat de collaboration de Termatière (mon projet d’entreprise sociale et solidaire de valorisation de déchets agricoles en matériaux locaux 100% bio-sourcés) avec les laboratoires de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de Montpellier Supagro touche à sa fin. Déjà… Trois mois, ça passe bien trop vite. Mais les objectifs sont atteints : le composite de sarment 100% bio-sourcé grâce à une colle type époxyde fabriquée à partir de tanins de pépins de raisin est formulé et mis en œuvre, avec des résultats intéressants ! Reste à préparer la suite : caractérisations et tests auprès des marchés.
Terra2016 Lyon
Sortir du bureau, sortir du labo, pour m’inspirer d’autres filières de matériaux locaux, c’était mon envie du moment. Alors pendant que vous hurliez (ou pas…) devant votre téléviseur en ce soir de finale de l’Euro, je me trouvais dans un bus affreusement désert, direction Lyon, ville d’accueil de la 12ème édition de Terra. Ce congrès mondial de l’architecture de terre se tenait pour la toute première fois en France à Lyon. Bassin historique du pisé et Capitale de la terre 2016, ce qui tombait à pic. Autant dire que je n’ai pas été déçue du voyage.
Voilà comment je me suis retrouvée au milieu d’une foule d’architectes, maçons, artisans, ingénieurs, chercheurs, enseignants, venus de 80 pays, ayant pour point commun une passion incommensurable pour le matériau terre, une véritable foi en l’architecture de terre comme solution à une longue liste de problèmes socio-économiques et culturels mondiaux.
Terra existe pour permettre un temps d’échange entre ces fervents professionnels sur plusieurs thématiques, dont la conservation et la gestion des patrimoines culturels en terre (à noter les passionnants récits de reconstructions des mausolées de Tombouctou détruits lors des conflits armés au Mali en 2012) ; les différentes pratiques techniques de ce matériau à travers le monde (normes, réponses aux contraintes sismiques, climat) ; les dernières innovations et l’état de l’art en la matière ; le transfert de connaissances et le renforcement des capacités.
En quatre (riches) journées de mini-conférences et workshops, j’ai assisté à un véritable plaidoyer pour la construction en terre, abritant aujourd’hui plus d’un quart de la population mondiale, mais trop souvent encore stigmatisée de « pauvre », souffrant ainsi d’une mauvaise image sociale et technique.
Il s’agit pourtant, dans un contexte mondial socio-économique et environnemental délicat, de proposer un habitat respectueux de l’environnement, durable et adapté, qui réponde aux besoins des communautés, favorise l’emploi local et la transmission de savoir-faire, préserve le patrimoine de cultures constructives, et encourage l’innovation et la recherche scientifique. Car les traditions doivent aussi évoluer pour perdurer. Certains constructeurs marocains ou brésiliens ont ainsi adopté une stratégie de séduction auprès des classes aisées, afin d’attirer l’attention sur les nombreux avantages des bâtiments de terre.
Cet art de l’architecture de terre repose sur des savoir-faire adaptés localement, grâce à des expérimentations et manipulations exécutées souvent par des non-initiés. C’est ce qui me touche le plus dans cette façon de construire : traditionnellement, c’est toute la communauté qui met la main à la pâte pour élever les murs. Chacun apprend puis transmet. Une logique solidaire qui fait écho à la philosophie maker. Le volet formation est d’ailleurs un axe prioritaire pour les bâtisseurs de terre.
Comme je suis curieuse des savoir-faire vernaculaires dans la fabrication low-tech de matériaux, j’ai discuté valorisation de balles de riz, de paille, de bagasse, avec des collègues anglais, vietnamiens, maliens, béninois, argentins, hongrois, chiliens… Les débats scientifiques s’alternaient par des échanges sur les rôles social et sociétal de l’habitat en terre. De quoi en savoir plus sur ce matériau bio-sourcé, pour lequel l’être humain dispose de plus de 11 000 ans d’expérience !
J’ai ainsi terminé une semaine studieuse, qui offre de nouvelles perspectives pour Termatière avec de futurs projets et collaborateurs en vue ! Les problèmes énumérés tout au long du congrès m’ont en effet donné un tas d’idées. Selon Hugo Houben, cofondateur du laboratoire Craterre, le dégagement de CO2 d’une brique stabilisée au ciment Portland serait équivalent, voire supérieur, à celui du ciment tout court. Aïe…
«Il ne faut pas transformer la terre crue en béton du pauvre! Il faut identifier d’autres agents stabilisants que le ciment Portland.»
Hugo Houben, laboratoire Craterre
Anna Heringer, architecte, a quant à elle déclenché l’approbation générale, en applaudissements rythmés dignes d’une victoire au stade de France, avec ces mots:
«Le ciment dans la terre, c’est comme un botox et ça pose problème. Il faut vraiment qu’on arrive à faire AVEC la vulnérabilité et la sensibilité de ce matériau!»
Anna Heringer, architecte de terre
Termatière a bel et bien matière à réflexion…
Aller plus loin : la déclaration de Lyon du 14 Juillet 2016 et les recommandations de Terra2016 (en anglais)
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