Nantes fait son festival de Cannes du cinéma argentique
Publié le 11 juillet 2016 par Francis Mizio
Ateliers, performances, projections… Les Bains argentiques réunissaient cinquante labos internationaux de cinéma artisanal du 4 au 9 juillet à Nantes. Makery s’y est piqué les yeux et les oreilles.
Nantes, correspondance
Les Bains Argentiques, qui « tentent de donner une vue d’ensemble de l’état de la production des films expérimentaux, indépendants et artisanaux sur support argentique en 2016 » sous l’égide de RE-MI (trois labos de développement), se sont déroulés du 4 au 9 juillet à Nantes et au Pellerin (44). Le programme était dense : « Filmslabmeeting » (50 laboratoires cinématographiques d’artistes de cinq continents qui se rencontrent), Meeting the film labs (séances inédites conçues par 7 programmateurs ayant pioché dans leur expérience et la base filmlabs.org , des présentations, des ateliers publics, des performances), pour « découvrir le bouillonnement artistique d’un cinéma argentique plus vivant que jamais ».
Pourtant intéressé et motivé, on est allé souffrir mardi 5 aux projections sises au cinéma Concorde à Nantes pour en sortir quelque peu hagard, après avoir souvent craint le déclenchement d’une crise d’épilepsie sous composition bruitiste insupportable ou musique industrielle hardcore.
Résumons la gamme de démarches observées :
1. Faire mal : au spectateur (violence d’images abstraites stroboscopiques, son insupportable) et à la pellicule (gravée à la découpeuse laser, imprimée au jet d’encre ou au laser, « sérigraphiée DiY », peinte, enterrée, irradiée, rayée…) ;
2. Faire profond et faire grave (collages, accumulations, mixages, détournements d’images found footage, références toujours efficaces au corps (nus, fluides, cheveux…), la guerre ou à de grands anciens – Man Ray, Mondrian –, usages de pellicules périmées, ou faire obscur (discours explicatif conceptuel très art contempo qui sent l’a posteriori) ;
3. Faire insupportablement long, sans doute pour faire résolu et non pas anecdotique (des dizaines de minutes de tâches, éclats de lumière, traces organiques, telles un bad trip…) ;
4. Faire crade pour faire arty (pellicule outragée : sang, morve, crachats, vernis alimentaire…).
«Sobbingspittingscratching», Vicky Smith (2011), un film en 16mm à base de fluides corporels, salive et larmes (extrait):
Et ce paradoxe : les images sont parfois retravaillés en numérique (quand ce n’est pas la pellicule elle-même qui est imprimée en 3D), pour de nouveau ou davantage être enlaidies au prétexte « d’hommage » ou de « nostalgie » ; cette dernière portant d’ailleurs dans plusieurs films sur les débuts des technologies numériques mêmes. C’est donc en creux un quitus donné à la propreté du numérique hollywoodien pourtant censé être placé là en opposition, sinon la reconnaissance inconsciente que la machine numérique est le moloch inévitable.
Bilan : puisque qu’artistiquement on ne voit rien de neuf (voire quand le propos du film n’est pas du niveau bidouille d’étudiant ou clip halluciné de techno ou d’indus), puisqu’on y donne aussi beaucoup à voir comme résultat visuellement pénible celui d’un exclusif travail de torture du matériau (les chimistes adoreraient), on se dit que ce cinéma dont le maintien sur argentique n’apporte rien aujourd’hui, qui ne dit rien de neuf depuis les années 1930 à 1970, continue d’être créé pour ne pas être vu. C’est d’ailleurs ce qu’on a fait les jours suivants, désolé…