Le jour, ils sont designers, artistes ou réalisateurs. La nuit, ils sont Trafo Pop, un gang de bikers à vélo aux blousons floqués de LEDs. A la découverte du «hackerspace sur roues» berlinois.
Berlin, envoyée spéciale
Ils ont l’air un peu loufoque avec leur look de fluokids, leurs vestes de bikers, leurs conférences « comment attraper une licorne » et leurs descentes nocturnes en gang. Trafo Pop est un hackerspace d’un genre un peu spécial. Mot d’ordre : « Faire de la mode qui n’amuse pas que nous, mais divertit les autres. »
Surtout, Trafo Pop est un « hackerspace sur roues », explique Thomas Gnahm, fondateur du collectif et directeur artistique. L’idée est venue au designer graphique alors qu’il cherchait à s’éloigner de l’écran de son ordinateur et à « faire quelque chose pour la communauté », raconte-t-il. A New York, il rencontre un gang de bikers. « Ils étaient plutôt cool, ils avaient des codes secrets, comme des illuminatis. » Thomas a trouvé son concept : quelque chose de « cool et de hipster », mais aussi de populaire. Il trouve dans la foulée son développeur et « tête pensante électronique », Stefan Hintz, et une dizaine de contributeurs. Le collectif Trafo Pop (pour transformation populaire) est né.
Les vestes lumineuses aux couleurs néons sont devenues leur marque de fabrique. « La première qu’on a faite n’avait que deux LEDs clignotants », se rappelle Thomas. Puis ils déclinent l’idée, comme ce blouson avec Ipad incrusté qui diffuse des vidéos de Monster Truck, ces 4×4 aux roues surdimensionnées.
Sur leur site, ils vendent un kit pour une veste Trafo Pop DiY. Le collectif donne aussi des ateliers itinérants où ils investissent les nombreux espaces de Berlin et accompagnent les participants dans la création de leur propre modèle. Deux jours et demi pour développer le patron, dessiner les motifs sur un logiciel développé par le collectif, façonner le tissu à la découpeuse laser et programmer son Arduino pour animer le veston. « L’enjeu n’est pas la mode ou la technologie, c’est le partage de savoir, comme Wikipédia. La veste n’est qu’une plateforme », estime Thomas Gnahm. A la fin, un badge vient décorer l’œuvre : vous êtes désormais en possession d’un Trafo Pop original, édition unique.
Puis vient l’heure de la fête, à vélo et en musique. « Tout le monde peut se joindre à nous. On a un sound system et on organise des soirées à thème. Par exemple, on va rouler jusqu’à la mer et faire un bain de minuit, ou on fait des fêtes techno illégales sous un pont. On a aussi fait une soirée pour l’anniversaire de la chute du mur. David Hasselhoff [qui avait chanté en 1989 devant le mur fraîchement tombé vêtu d’une veste clignotante], devait être là. Finalement, il n’est pas venu. »
«Looking for freedom», David Hasselhoff, mur de Berlin (31 décembre 1989):
Loufoque, certes, mais sérieux. En parallèle de Trafo Pop, Thomas Gnahm a créé Wear It Berlin, un festival qui rassemble les professionnels de la mode et des wearables. Car la technologie portable est « plus qu’un concept » défend-t-il. « Les gens parlent de plus en plus de ces sujets. Mais que se passe-t-il vraiment ? Pas grand chose. Nous voulons arrêter de discuter et faire des choses concrètes. »
En avril dernier, il a donc organisé le Fashion Hack Day, à Berlin : 48h, 50 participants (dont 63% de femmes) et 11 protos à l’arrivée. Le premier prix est décerné au projet Knowledge is Power, qui permet d’afficher sur ses vêtements les données sur le harcèlement. Parmi les autres projets, Autee, un t-shirt qui rend visible l’émotion de celui qui le porte, pour aider les enfants autistes à comprendre l’humeur des personnes qui les encadrent, Stethosuit, un appareil qui mixe les sons corporels et ceux de l’espace (qui, apparemment, se ressemblent) pour une sensation d’unité, ou un Chat-shirt, qui engage la conversation d’un coup de pression. La glace est brisée.
Ipod du textile
Le terrain de jeu est immense, se réjouit Thomas. « Toutes les industries sont entrées dans le numérique. Les voitures, la communication… tu as des applis pour analyser ta nourriture. Pourquoi ça n’a pas atteint la mode ? L’industrie a une décennie de retard, on s’habille toujours comme nos grands-parents. Tu sais ce que ça veut dire ? C’est à nous de découvrir ce nouveau langage, et peut-être l’influencer. Tout est permis », s’exclame-t-il, démo à l’appui. Nous savons tous identifier ce geste du pouce et de l’index qui s’éloigne : c’est le zoom. Ou bien le swipe pour faire défiler les images – ou les prétendants. Mais que se passe-t-il lorsqu’on se frotte l’avant-bras ? « Rien, et c’est ça qui est génial ! »
En mai dernier, Google présentait en partenariat avec le fabricant Levi’s le projet Jacquard, la première veste connectée industrielle. Si la nouvelle a bien été reprise par les médias internationaux, l’excitation est vite retombée. « L’information a été sous-estimée, estime Thomas. Nous devrions y prêter davantage d’attention, ça pourrait être l’Ipod du textile. Ils sont en train de créer un écosystème, des logiciels, des usages… »
Open fashion
Thomas espère voir fleurir l’initiative Trafo Pop comme une manière de promouvoir la mode en open source. Deux nouveaux « chapitres » (des antennes) devraient ouvrir en Hollande et à Londres. « La mode c’est bien, c’est beau, mais le désir est créé par les grandes marques. Le mouvement du libre, que ce soit Wikipédia ou Linux, n’est pas très sexy. » Jusqu’à ce qu’il s’incarne dans un veston clignotant…
Aux aspirants au poste de tête de chapitre, il prodigue donc ses conseils. Prérequis : un espace pour créer les vestes et l’envie d’organiser des descentes à vélo. « Tu peux t’associer à un club de cyclistes par exemple », suggère-t-il. « Tout le reste est gratuit. Si tu en fais une activité commerciale, c’est d’accord, mais il faut m’informer. » En France, selon Thomas, le label Trafo Pop n’a pas encore trouvé preneur. Avis aux volontaires.