Les communs par l’exemple Github
Publié le 25 juin 2016 par Olivier Blondeau
Où se situe l’économie des communs? Olivier Blondeau, après avoir abordé la dimension théorique des biens communs, démontre comment la plateforme Github, connue des makers et des développeurs, constitue un commun.
Dans ma précédente chronique, je précisais l’originalité de l’apport des travaux des économistes Elinor Ostrom et Benjamin Coriat qui consistent à définir le commun, au-delà des biens communs, par un triptyque ressource, régime de propriété et structure de gouvernance.
Pour illustrer ces travaux, on pense immédiatement à Wikipédia. Cependant, l’encyclopédie contributive en ligne reste une forme assez particulière de commun, au sens où elle recueille davantage de consultations que de contributions. Il semble plus judicieux de nous intéresser plus précisément à la plateforme Github, bien connue des makers, où les développeurs peuvent « déposer » leurs projets, stocker leur code informatique, le modifier, le partager et éventuellement reprendre des bouts de code développés par d’autres. J’entends l’argument des partisans du libre qui adressent de sévères critiques à cette plateforme commerciale et propriétaire – et plaide moi aussi pour son alternative libre Gitlab.
D’usage gratuit si le code est ouvert, la plateforme Github me semble néanmoins représenter un commun qui articule ces trois éléments : bien commun informationnel, régime de propriété non exclusif qui se définit comme un faisceau de droit – lire, comprendre, réutiliser, etc. – et structure de gouvernance des biens, elle-même embarquée dans les fonctionnalités même de la plateforme.
Si les passagers clandestins (les free riders) existent – c’est aussi une des conditions d’existence des communs –, les règles de « prélèvement » sont très clairement fixées et même aménagées dans les fonctionnalités de Github qui propose de « brancher » un projet, selon l’analogie de la plante, pour reprendre tout ou partie de son code informatique. Destiné à une communauté de taille limitée, celle des développeurs – encore une autre condition d’existence d’un commun –, Github propose, comme je l’expliquais dans ma première chronique, un authentique système de régulation assurant à la fois la distribution des droits entre les partenaires qui participent au commun (les commoners) et visant l’exploitation ordonnée de la ressource, permettant sa reproduction sur le long terme.
« Brancher » un projet, c’est reprendre une partie de code, soit pour son usage personnel, soit pour améliorer le projet. De surcroît, Github aménage la possibilité de fusionner des branches, c’est-à-dire de regrouper différentes branches au sein d’un projet collectif. Cet arbre (celui de l’évolution et des distributions de Linux est à cet égard particulièrement édifiant) permet à la fois d’historiciser la production d’un commun dans lequel chacun peut à la fois participer à une œuvre collective, tout en en restant le « propriétaire », c’est-à-dire celui qui définit ses propres règles d’accès et d’usage.
La plateforme Github est une des formes renouvelées de ce commun dont les conditions de pérennisation et de reproduction pourraient être aménagées de manière non exclusive et donc non prédatrice, sans même aller jusqu’à ce que la blockchain rende infalsifiable les contributions de chacun.
Jean Tirole consacre son dernier livre à l’Économie du bien commun. Dès l’avant-propos (seule partie à aborder le sujet malgré son titre alléchant), notre dernier prix Nobel d’économie confond un bien commun et le bien commun, le bien étant une valeur essentiellement morale assimilée à l’intérêt général. Les implications politiques de la nouvelle émergence des communs relèvent-elles du post-capitalisme, du post-communisme, du post-opéraïsme des multitudes de Toni Negri ou de la multitude des « barbares » des Colin-Collin ? J’essaierai de poser les termes de ce débat délicat dans le troisième épisode de cette série consacrée aux communs.
Retrouvez les précédentes chroniques pour Makery d’Olivier Blondeau, co-auteur de «Libres enfants du savoir numérique» (éd. de l’Eclat, 2000)