L’Espagne crée son réseau de labs pour «toucher un nouveau public»
Publié le 21 juin 2016 par Carine Claude
A l’instar du Réseau français des fablabs, les Espagnols ont créé leur réseau. Makery a rencontré Karim Asry et Cesar Garcia Saez, membres fondateurs de la toute nouvelle association, venus s’inspirer du RFFLabs au Fablab Festival de Toulouse.
Toulouse, envoyée spéciale
Il n’y a pas que les fablabs français qui se fédèrent. En Espagne, une association rassemblant une quinzaine de lieux est en pleine structuration. Deux de ses membres, Karim Asry, directeur créatif de l’Espacio Open de Bilbao et Cesar Garcia Saez, cofondateur de Makespace Madrid, se sont glissés dans les coulisses du dernier Fablab Festival de Toulouse début mai, histoire de voir comment le Réseau français des fablabs (RFFLabs) s’y prend pour se monter. Makery les a rencontrés pour en apprendre davantage sur l’écosystème maker ibérique et savoir quelles bonnes recettes du RFFLabs ils rapportent chez eux.
Comment est née l’idée d’un réseau des fablabs espagnols?
Cesar Garcia Saez. Il y a trois ans, tous les fablabs espagnols se sont réunis au Green Fablab de Barcelone, en amont de FAB10, la conférence internationale des fablabs. C’était la première fois qu’on était assis tous ensemble autour d’une même table. On a d’abord essayé de comprendre ce qui se passait dans chacun des fablabs, puis de faire le point sur les douze mois à venir. Mais pour se projeter à quatre ou cinq ans, c’était plus compliqué. C’est comme ça que nous avons commencé à réfléchir à un réseau pour faire coïncider les besoins des labs et les aides qu’ils pouvaient s’apporter mutuellement.
Karim Asry. Ce qui nous a aidés, c’est que nous nous connaissons tous assez bien, il y a déjà une bonne base de confiance pour créer une association. Et la question de la confiance est souvent la partie la plus délicate de n’importe quel travail collectif.
Quel sera le rôle de votre réseau?
Cesar Garcia Saez. Les fablabs se battent chacun dans leur coin, alors qu’ils sont en relation permanente les uns avec les autres. Notre but est de convaincre les politiques, les entreprises, les universités, que la transmission de la connaissance ne va plus se faire uniquement par les institutions traditionnelles, mais aussi grâce à ce type d’organisations.
Avant tout, l’objectif est de toucher un public qui ne connaît pas notre existence. Imaginez qu’au Royaume-Uni, seulement 1,5% de la population sait ce qu’est un fablab. Et pourtant, ils ont plus de 120 fablabs, hackerspaces et makerspaces en activité. En Espagne, on en a 25 ! Cela en dit long sur la marge pour atteindre ce nouveau public…
«Si on se retrouve confrontés à une question juridique, autant avoir une seule réponse portée par le réseau que vingt-cinq réponses différentes!»
Cesar Garcia Saez
Nos fablabs manquent cruellement de personnel, la majorité des lieux tournent avec une seule personne – le fabmanager qui s’occupe de tout. Ce sont des gens qui bossent beaucoup, mais dont le travail n’est pas visible. Valoriser et communiquer est aussi un objectif du réseau. L’idéal serait de pouvoir embaucher quelqu’un qui fasse le tour des labs pour rassembler les études de cas, les projets, aller chercher de nouveaux usagers, etc.
A quoi va ressembler cette association?
Karim Asry. L’Espagne est spéciale et son réseau ne va pas être limité aux fablabs « officiels » mais ouvert à l’ensemble des espaces de fabrication, makerspaces, hackerspaces… Bref, à tous les lieux qui partagent ces valeurs. L’autre particularité est que nous sommes, pour la majorité d’entre nous, les producteurs des Maker Faire d’Espagne. C’était donc assez simple de rassembler une quinzaine de membres, pour la plupart fabmanagers, et de travailler sur une base commune de travail.
Etes-vous venus en «observateurs» au Fablab Festival de Toulouse?
Cesar Garcia Saez. Le travail qui a été fait en France par le Réseau français des fablabs est un véritable cadeau pour nous. On ne va pas avoir besoin de réinventer la roue ! Je sais que c’est un cliché, mais ça fait sens de voir les fablabs du pays des droits de l’Homme mettre en œuvre un tel processus démocratique pour lancer leur réseau. Les réponses apportées par les textes de leur nouvelle association correspondent à nos préoccupations. Nous allons en traduire certains et les soumettre au vote de notre Assemblée générale. L’important est que l’association des fablabs espagnols reste ouverte et transparente sur son fonctionnement et ses objectifs.
Qu’est-ce qui pourrait freiner le développement de votre réseau?
Karim Asry. Nous représentons plutôt des espaces indépendants, mais en Espagne de nombreux fablabs sont des fablabs universitaires. Or, les universités espagnoles sont des lieux vraiment fermés où tout est extrêmement vertical. Certaines personnes qui y travaillent nous racontent que parfois, elles n’arrivent même pas à accéder à leurs machines ou au labo d’à côté, car il faut des autorisations pour tout. Les fablabs changent cet état d’esprit. Petit à petit, les universités commencent à s’ouvrir. Le cheval de Troie est déjà dans la place.
Cesar Garcia Saez. Avec les autres fabmanagers, on travaille beaucoup sur la question de l’engagement car l’un des problèmes récurrents que l’on rencontre dans les fablabs est celui de la continuité.
L’autre grande problématique commune à toute l’Europe est celle de la sous-représentation des femmes dans les sciences de l’ingénieur, et par conséquent dans les fablabs. C’est une dimension que l’on souhaite prendre en compte d’entrée de jeu en créant cette association.
Karim Asry. Tout se joue sur l’effet miroir. Si vous n’avez pas assez de diversité, vous ne pourrez pas faire venir des gens qui sont en dehors de la boucle tech. Je ne parle pas seulement de genre, mais aussi de minorités sociales et ethniques. Personnellement, je suis inquiet car il y a une véritable barrière sociale dans la culture numérique. Si on ne met pas les choses en place correctement dès le début, on laisse le champ libre à une sorte d’élite de « ninjas du digital » qui croit pouvoir diriger le monde et éliminer toute diversité.
Aujourd’hui, à quoi ressemble l’écosystème maker espagnol?
Karim Asry. C’est curieux si on le compare avec le reste de l’Europe. A l’origine, il y avait une importante culture des squats en Espagne. Les premiers hackerspaces viennent de là. Bien entendu, la plupart des squats ont fermé depuis. Énormément d’énergie de travail s’est alors dispersée. Mais elle n’a pas disparu, elle s’est recentrée sur de nouveaux lieux. Les fablabs ne sont finalement que la deuxième génération de ces espaces, sous une forme plus institutionnalisée.
Et maintenant, vous avez une troisième génération de lieux issus de l’expansion de la culture maker, une sorte de pop-up culture qui pousse de partout. Souvent, ce ne sont même plus des lieux mais des communautés. Je pense par exemple à celle des étudiants de l’université d’ingénierie de Valence qui rassemble plus de 300 membres très actifs. A mon avis, dans les années à venir, les choses les plus intéressantes vont se passer dans les universités en ce qui concerne l’Espagne.
Et le Fablab Barcelona dans tout ça?
Cesar Garcia Saez. Pour le moment, le Fablab Barcelona n’est pas membre de l’association mais on avance sur ces questions avec Tomás Diez (fondateur du Fablab Barcelona, ndlr). Ici à Toulouse, c’est une bonne occasion pour le voir car il est tellement pris que même en Espagne, on arrive jamais à le croiser !
Le site de l’Espacio Open de Bilbao et celui de Makespace Madrid