Après Toulouse et son Fablab Festival dont elle était la marraine, la «mom of fablabs» et directrice de la Fab Foundation voudrait que les Français adhèrent massivement au réseau international fondé par le MIT.
São Paulo, de notre correspondant
Sherry Lassiter est la directrice de la Fab Foundation, organisation américaine née au sein du MIT qui fédère les fablabs dans le monde. Après avoir été l’invitée prestigieuse du Fablab Festival de Toulouse en mai, et alors qu’elle passait par le Brésil pour préparer la prochaine FAB12, la conférence internationale des fablabs en Chine, nous lui avons posé quelques questions.
Vous étiez présente au Fablab festival de Toulouse en France en mai. De nombreux fablabs français se sont regroupés pour créer une association nationale, qu’en pensez-vous?
Cela fait déjà un moment que nous entendons parler du réseau des fablabs français, un réseau d’abord informel. C’est excitant de voir qu’il est devenu coopérant et se regroupe pour pouvoir répondre aux demandes des industries, des gouvernements et au système éducatif. Il s’adresse également aux autres membres de la communauté pour les aider à construire leurs fablabs et les faire entrer dans le réseau. Cet outil peut également épauler les autres pays francophones dans la mise en œuvre de fablabs.
La création de ce réseau est très stimulante, mais en même temps, je suis un peu préoccupée par le modèle associatif. Les associations ont une structure top down hiérarchique, ce qui est à l’opposé des fablabs, organisations communautaires et “bottom-up”. Mon conseil pour le réseau des fablabs français : c’est formidable, mais n’oubliez pas d’écouter votre communauté. Il est toujours facile d’avoir ses propres idées sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas et sur les besoins nécessaires. Néanmoins, si vous ne répondez pas aux problèmes au cœur de leur besoins, cela ne marchera pas.
La création de l’association va peut-être donner de la cohérence au réseau qui sera capable de répondre à la communauté internationale car aujourd’hui, les fablabs français nous manquent beaucoup. Nous souhaitons vraiment qu’ils participent au réseau international parce que l’on entend que certains labs sont des entreprises, que certains ne sont pas vraiment des fablabs ou n’ont pas vraiment l’esprit des fablabs et nous aimerions que ce soit clarifié. Lors de l’évènement à Toulouse, j’ai rencontré de nombreux labs qui ont vraiment l’esprit fablab et nous voulons vraiment travailler avec eux.
J’espère vraiment que le réseau français va pouvoir répondre à sa communauté, mais aussi rentrer en contact avec le réseau international et travailler avec nous.
En France, de plus en plus de grandes entreprises s’équipent en labos proches du concept des fablabs, voire en fablab, qu’en pensez-vous?
Le réseau a grandi de manière “bottom-up” : nous sommes anti-autoritaires et nous évitons ou résistons aux entreprises. Lorsque l’on parle de la participation d’entreprises dans les fablabs, les réactions sont très souvent épidermiques. Pourtant, les entreprises font aussi partie du nouveau monde dans lequel nous évoluons.
Le libre, l’open source, les projets ouverts, la communauté de l’open design nous font repenser la manière dont on aborde la propriété intellectuelle. Les structures des entreprises deviennent de plus en plus distribuées et moins centralisées. Pour s’adapter, les entreprises doivent se réinventer. Elles cherchent à trouver les nouveaux et futurs succès, les modèles innovants qui fonctionnent. Et les fablabs sont une des pistes. Des entreprises viennent à la rencontre des communautés fablabs pour les aider à se réinventer. Évidemment, certaines vont juste vouloir utiliser le nom fablab et sa marque sans rien offrir en retour, mais de nombreuses entreprises cherchent vraiment à changer.
«Notre communauté a la responsabilité de sa propre pérennité économique mais pas seulement. Les entreprises font aussi partie de notre monde, nous devons les aider à évoluer.»
Les initiatives souvent controversées de mise en place de fablabs dans des usines ou des locaux d’entreprises sont également intéressantes. Saint-Gobain a décidé d’installer un fablab au milieu d’une de ses usines. Cet espace est ouvert pour que leurs salariés bricolent, apprennent à régler les problèmes, développent une pensée critique et finalement, travaillent mieux. L’entreprise veut également être plus en phase avec son écosystème. A terme, le fablab sera ouvert aux communautés extérieures. Airbus, Renault installent ces centres d’innovation en leur sein pour les mêmes raisons. Est-ce que ce modèle va fonctionner ? Nous n’en savons rien, mais ce développement est intéressant…
La banque Barclays pense également à développer des fablabs. Avec les “aigles numériques”, ils organisent des ateliers pour apprendre le numérique et la programmation aux séniors et aux enfants. Ils souhaitent installer des fablabs dans certaines de leurs succursales pour faire évoluer ce programme vers la fabrication numérique. Ce genre de projet pourrait permettre à terme de créer des opportunités économiques pour tout le monde.
Tous ces projets ont pour objectif de s’adapter. Nous sommes au XXIème siècle et nous ne pouvons plus faire de développement économique comme nous le faisions au XXème. Nous devons les aider à réussir cette transformation. Ce n’est pas aussi simple que penser qu’il existe les gentils et les méchants. De plus, nous avons besoin de leur aide, jusqu’à aujourd’hui, nous ne sommes clairement pas des hommes d’affaires…
La Fab Foundation a-t-elle signé un accord avec Saint-Gobain?
C’est une des réussites de la force du réseau. Tout vient d’une initiative d’Alex Schaub de la Waag Society et de son Fablab Amsterdam. La Fab Foundation n’est pas impliquée. Dans le monde entier, des membres du réseau sont capables d’apporter des réponses aux demandes. Nous devenons de plus en plus grands et nous sommes capables de répondre aux sollicitations dans le monde. Parfois, la Fab Foundation aide à construire des fablabs dans d’autres pays, mais de nombreuses demandes sont prises en charge directement par les membres du réseau. Personne ne peut évoluer et grandir aussi vite, seul le réseau en est capable.
La FAB12, qui se déroulera en Chine en août prochain, abordera le concept du fablab 2.0. Pouvez-vous nous en dire plus?
Les fablabs 2.0 sont la nouvelle génération de fablabs. Quelque part, cela signifie que nous avons grandi, que nous nous sommes professionnalisés et nous que avons un impact plus signifiant sur le monde. Le fablab 2.0, dans sa forme physique, est le nouveau niveau de la “puissance des dix”, cette idée développée il y a quelques années selon laquelle au tout début, il fallait 1 million de dollars pour équiper un fablab, puis 100 000, et pas loin de 10 000 aujourd’hui. Pouvons-nous descendre à 1 000 dollars ? Une partie d’entre nous veut prouver qu’on peut atteindre cette somme et veut le démontrer lors de FAB12 à Shenzhen avec le fablab 2.0.
Lorsque Nadya Peek parle des machines modulaires du projet MTM ce n’est pas seulement le concept de fablab 2.0. Aujourd’hui, un inventeur, un ingénieur, un designer peuvent fabriquer un prototype. Malheureusement, ensuite, ils sont confrontés à l’accès aux moyens de production, aux processus des industries, ce qui revient pour eux à repenser, redéfinir et remodeler leur prototype pour le faire rentrer dans les contraintes industrielles. Pour Nadya, nous sommes capables de nous émanciper de cette contrainte.
«Nous pouvons créer des prototypes assez robustes pour faire exactement ce que nous voulons. Cette idée peut paraître un peu ésotérique, mais elle est très disruptive : nous reprenons le pouvoir sur les outils de fabrication, ce qui pose de nombreuses questions sur le futur de la fabrication.»
Les machines sont devenues si peu chères qu’elles peuvent être accessibles presque dans le monde entier. On s’approche de nouveau d’une “industrie artisanale” mais cette fois-ci, distribuée et surtout supportée par la répétabilité, la fiabilité et l’Internet. Nous n’avons pas encore résolu le problème du contrôle de qualité, mais lorsque ce sera le cas, cela pourra perturber le monde de la fabrication et du design tel que nous le connaissons.
Nous nous rendons à Shenzhen pour plusieurs raisons. De nos jours, un designer, un entrepreneur n’ont pas vraiment le choix. Ou ils construisent leur usine de fabrication locale, ou ils se rendent à Shenzhen. Il est plus intéressant d’aller à Shenzhen en terme financier pur, mais si on inclut le coût environnemental, la logistique, le transport, ce n’est pas vraiment moins cher et qui plus est, pas soutenable.
Shenzhen est le centre du monde de la fabrication. Pourtant, même eux pourraient être bousculés par la fabrication distribuée. FAB12 se tourne vers le futur en terme de fabrication, et aussi pour apprendre de cet écosystème chinois. A Shenzhen, ils sont capables de fabriquer des produits de manière extrêmement rapide et très peu chère. Prenez par exemple les associations d’entreprises locales spécialisées dans la copie. Des designers, des ingénieurs s’assoient une fois par semaine ou par mois autour d’une table et se disent : “Que va t-on copier et fabriquer prochainement ?” En 6 semaines, le produit est désigné, fabriqué et mis sur leur marché en des dizaines de milliers de copies, voire plus. Aucun autre pays n’est capable de réaliser cette prouesse. Nous avons beaucoup à apprendre sur la fabrication flexible de cette partie du monde.
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