Il n’y a pas que des drones et des figurines Jedi dans les fablabs! Autour des questions d’environnement et d’énergies renouvelables, ces lieux d’innovation développent les prototypes pour une économie du recyclage et de la gratuité.
Passés l’engouement pour les drones, les sex toys et autres figurines de plus ou moins bon goût fabriquées avec des imprimantes 3D, on s’aperçoit que de nombreux projets développés dans les fablabs et hackerspaces touchent aux problématiques de l’environnement. Les thématiques liées à la réduction de la consommation énergétique ou de l’empreinte carbone, le développement de technologies visant à produire des énergies propres ou renouvelables, l’économie circulaire et le recyclage sont aujourd’hui explorés en France et dans le monde dans les fablabs et plus précisément dans les éco-hacklabs et bio-hackerspaces, comme le réseau La Paillasse.
Je pense ici évidemment au Green Fablab de Valldaura sur les hauteurs de Barcelone, au Hacker Farm du hackerspace de Tokyo, à l’initiative particulièrement intéressante Open Source Ecology aux États-Unis et son Global Village Construction Set (GVCS). Pionnier et modèle des fablabs ruraux, le GVCS est une sorte de « superkit DiY » pour un village soutenable et résilient, capable de répondre à ses besoins primaires de manière autonome en rassemblant une documentation open source pour 50 machines de base qui permettent d’effectuer les tâches principales dans les domaines agricoles et industriels.
A bien y regarder, ce mouvement n’est pas spécifique aux fablabs. Ne serait-ce que dans ma rue, à Besançon, des lieux en fond de cour proposent de former les gens aux techniques de compostage ou de jardinage, l’Organic Fablab fait de la « culture de pleurotes dans du marc de café et de l’expérimentation de techniques innovantes pour composter les biodéchets des professionnels de la restauration », des jardins sont plantés par les Incroyables Comestibles qui encouragent les gens à se servir en fruits et légumes comme s’il s’agissait de biens communs et des affiches du collectif Food Not Bombs annoncent le prochain Resto Trottoir, une distribution de repas gratuits.
Il n’y a pas de génération spontanée ! En tant que sociologue et historien des mouvements sociaux, le collectif international Food Not Bombs m’interroge et m’incite à penser que ce mouvement traversant les fablabs et plus globalement la société s’inscrit dans une histoire, dans des pratiques qu’on n’a pas, ou très peu, étudiées. Food not Bombs est le nom d’une des actions lancée par un groupe hippie de la côte Ouest des États-Unis, les Diggers, qui, au milieu des années 1960, s’étaient dressés contre le flower power qu’ils considéraient comme trop mous…
Au-delà de l’anecdote – qui n’est pas complètement une surprise dans la ville où j’habite, Besançon, marquée par la tradition anarchiste encore très vivace d’un Proudhon ou utopique d’un Ledoux –, ces idées de gratuité, de lutte contre le gaspillage se diffusent dans la société. Au point qu’elles sont largement soutenues, sinon encouragées par les pouvoirs publics, les collectivités et même par quelques entreprises, dans le cadre de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Exemple emblématique : cette loi sur la lutte contre le gaspillage alimentaire adoptée par le Parlement en février 2016, qui oblige les grandes surfaces à mettre en place des actions pour récupérer, valoriser les denrées alimentaires et éviter leur gaspillage, de la prévention à l’utilisation à des fins énergétiques en passant par leur récupération à des fins de consommation.
Ce mouvement n’est paradoxalement pas porteur d’une vision passéiste du « retour à la nature ». Il n’est pas luddite non plus, mais prend acte des évolutions technologiques contemporaines en se les appropriant. Comme cette initiative, moins radicale que Food Not Bombs mais très proche dans ses finalités, celle de Discosoupe, un des multiples exemples cités par cet article très intéressant paru récemment dans Slate, « Les nouveaux écolos ont tué l’écologie anxiogène », ou qu’on retrouve dans le film Demain au succès inattendu de Cyril Dion et Mélanie Laurent.
Comment ne pas citer ici la trajectoire de Valentin Lacambre qui, après avoir été un des militants les plus actifs du logiciel libre et fondateur du registrar Gandi, s’intéresse aujourd’hui, dans le sillage de Vandana Shiva, à la question des graines libres. Un de ses projets, Seedsburo, invitait dès 2011 chacun à « cueillir les graines et fleurs présentes dans l’espace public et à documenter leur provenance, afin que le catalogue des plantes du projet permette d’empêcher des entreprises de se les approprier, si nécessaire à travers une action judiciaire ».
Le cercle vertueux du développement durable
S’il n’y a pas ou peu de rejet technologique dans ces mouvements, il convient cependant de s’interroger sur le caractère équitable et durable des dispositifs que nous développons en suivant de près l’exemple du Fairphone. Ce téléphone mobile développé par une société hollandaise vise à intégrer dans sa fabrication des matériaux moins polluants et biodégradables, à garantir la traçabilité sociale de la chaîne de production du téléphone, à être facilement réparable tout en restant aussi performant que les autres appareils du marché. Il ne s’agit donc pas seulement de développer des dispositifs durables mais aussi de s’interroger sur la possibilité de les développer avec des matériaux qui soient eux-mêmes durables et socialement équitables.
Les fablabs ont donc bien tout à voir/faire dans ce mouvement de société. A eux de s’y arrimer en y participant comme des laboratoires d’innovation et d’expérimentation. Signe des temps : si le démonstrateur technologique de la COP21 à Paris n’intégrait qu’un seul projet développé dans des fablabs, le ministre de la Recherche marocain, organisateur de la COP22 a d’ores et déjà invité « 8 fablabs du Bénin, de Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina-Faso, du Maroc, de Tunisie, de Belgique et de France, à venir présenter en novembre des prototypes qui répondent à des problématiques environnementales ».
Et là, je retourne vite faire mon jardin avant l’orage…
Retrouvez les précédentes chroniques pour Makery d’Olivier Blondeau, co-auteur de «Libres enfants du savoir numérique» (éd. de l’Eclat, 2000)