Terrorbull Games dit tout sur la satire, les licences libres et la théorie des jeux
Publié le 20 mai 2016 par DCALK (Paris/Bruxelles)
Andrew Sheerin, l’enfant terrible du jeu de société et fondateur des éditions Terrorbull Games, est à l’honneur du Ludipunk Fest, co-organisé par Dcalk et la MAD, ce week-end au Jardin d’Alice à Montreuil. Interview.
Terrorbull Games est un studio britannique de jeux « politiques et subversifs » créé en 2005, qui s’est fixé pour « mission de radicaliser le jeu de société » en abordant les questions les plus difficiles (religion, terrorisme, guerre…) à l’aide de formes de jeux traditionnelles. Dcalk a invité Andrew Sheerin, game designer cofondateur du studio et Tom Morgan-Jones, illustrateur, à Paris ce dimanche 22 mai, dans le cadre du Ludipunk Fest, pour une conférence dessinée. Auparavant, Andrew a bien voulu répondre à quelques questions.
Terrorbull Games est une «expérimentation activiste »: y a-t-il un game designer à bord?
Oui, moi ! Je designe tous nos jeux. War on Terror et Crunch ont été co-designés avec un copain, Andy Tompkins, avec qui l’aventure Terrorbull Games (TBG) a démarré. Mais je ne suis pas un designer traditionnel, je démarre rarement avec une mécanique. Je me focalise plutôt sur un thème qui m’intéresse en essayant d’en extraire la “jouabilité” : qui sont les protagonistes, quelles sont leurs motivations, où se situe le conflit, etc. En travaillant à partir de la fin, le résultat est un jeu qui s’explique par la façon dont il est joué, plutôt que comme une sorte d’histoire collée à une mécanique générique.
Quand as-tu eu la révélation de «ressusciter la tradition oubliée d’utiliser des jeux de société pour se frotter à des questions sociétales»?
Au moment où j’ai découvert qu’il existait une telle tradition ! Quand on a publié War On Terror, on pensait qu’on était un peu les seuls à utiliser le jeu de société pour aborder des sujets complexes. Ce que j’ai appris par la suite, qui m’a à la fois rassuré et déçu, c’est que le premier jeu de plateau, répondant aux mêmes logiques, avait plus de 5 000 ans. Et que même le Monopoly est né comme ça. C’est le moment où on a eu le déclic, on s’est dit qu’on ne forçait pas le jeu de société à être notre outil de propagande personnel, mais qu’on faisait partie de cette tradition d’utiliser le jeu pour interroger le monde qui nous entoure.
Qui vous a inspiré à l’intérieur et l’extérieur de la sphère du jeu?
Un bon mix de penseurs politiques et de philosophes – Chomsky, Pilger, Zizek, Chavez, Derrida, Huizinger, Caillois, Fromm… Ces gens ont été extrêmement influents dans la formation d’un programme politique et d’un cadre philosophique qui s’est exprimé naturellement à travers le jeu. Je lis beaucoup sur la théorie des jeux, la psychologie et l’économie comportementale – principalement Dan Ariely, dont les expériences ressemblent à des mini-jeux –, ce qui m’a vraiment aidé à comprendre la motivation du joueur. Dernièrement, les théoriciens des jeux comme Brenda Romero, Miguel Sicart, Douglas Wilson, Bernie De Koven, Antanas Mockus et Mary Flanagan ont été importants – et sont un plaisir à découvrir.
Vous avez lancé les éditions TBG avec le controversé jeu de stratégie «War On Terror», créé au moment de l’invasion de l’Irak en 2003 et publié en 2006. Depuis les copies du jeu saisies par la police jusqu’à son apparition dans la série «The IT Crowd», qu’en retiens-tu dix ans plus tard?
Je me suis souvent demandé si je n’allais pas écrire un livre à ce sujet – c’est une histoire tellement étrange, faite de gens drôles, bizarres, incroyables et d’impensables événements. Finalement, une grande partie de ce qui est arrivé s’est produit parce que nous avons pris la décision de mettre cette chose dans une boîte. Et tout à coup : des menaces de mort, la police, la presse internationale, les galeries d’art, les musées, les fans, les détracteurs… Notre boîte colorée embrassant le modèle capitaliste a parfaitement trouvé sa place sur les étagères aux côtés de tous les autres jeux de stratégie politiquement corrects. Ce qui a forcé les gens à ré-évaluer, non seulement la nature des jeux de société, mais le sujet de notre jeu lui-même.
Dans le pedigree de TBG, on trouve aussi des expérimentations au format «digital» et print’n play. En êtes-vous arrivés là par crainte de voir vos jeux saisis à nouveau par la police?
Ha-ha non, on aime juste expérimenter ! Ces formats nous permettent de rapidement sortir une idée. Le développement complet d’un jeu de plateau peut prendre facilement deux ans, un jeu en print’n play peut se faire en deux semaines.
Dessins satiriques, licences libres et théorie des jeux, des ingrédients inhabituels dans l’édition et la création de jeux. Est-ce la raison pour laquelle tu as besoin non seulement de designer des jeux mais aussi d’en parler?
Oui, définitivement ! Les jeux et la théorie vont main dans la main. Sans savoir ce que nous essayons de faire avec des jeux, on sait qu’ils vont potentiellement être mal compris – ou du moins pas appréciés autant qu’ils pourraient l’être. Metakettle est un bon exemple – un jeu auquel personne n’a dû jouer (dans le contexte dans lequel il a été pensé) et pourtant il a donné beaucoup de bonheur et de réflexion à de nombreuses personnes, notamment des universitaires.
Et après-demain… où voulez-vous aller avec le jeu de société?
Je suis un peu obsédé par l’idée de créer un pack de jeux pour activistes pour connecter les militants à leurs actions. On est un meilleur politicien ou activiste quand on comprend son adversaire. À plus court terme, nous avons deux projets Kickstarter au format numérique sur le feu. Nous faisons également de plus en plus de jeux sur mesure et nous sommes en cours de discussion avec de chouettes ONG. Bref, bien occupés !
Rendez-vous dimanche 22 mai de 14h à 15h au Jardin d’Alice à Montreuil pour «une histoire du jeu de société politique, conférence dessinée d’Andrew Sheerin, game designer, et Tom Morgan-Jones, illustrateur, de Terrorbull Games, dans le cadre du Ludipunk Fest
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