A Brooklyn, pour la première fois, des voisins s’achètent et se vendent leur électricité grâce à la blockchain. En France, la Paillasse Saône lance le projet Daisee pour inventer un autre rapport à l’énergie. Olivier Blondeau explique pourquoi il est temps de passer du «à chacun selon ses moyens» au «à chacun selon ses besoins».
Dans la Troisième Révolution industrielle, Jeremy Rifkin annonçait dès 2011 l’avènement d’une nouvelle ère, celle de l’Internet de l’énergie, d’une gestion des flux énergétiques fondés sur les principes décentralisés de l’Internet à la faveur du développement des énergies renouvelables.
Bien que séduisante, cette hypothèse paraissait très lointaine, voire carrément utopique pour certains. Au-delà de considérations politiques et démocratiques plus ou moins légitimes, il y a une raison technique assez simple : l’énergie, contrairement aux données, ne se stocke malheureusement pas – ou pas encore. Ce qui est produit doit être consommé en temps réel. Il faut constamment équilibrer le réseau, contrairement aux données qui peuvent être stockées sur des serveurs, le fameux cloud. Ce défi se révèle d’autant plus complexe qu’il a même fallu que l’on s’entiche d’énergies renouvelables qui, pour beaucoup d’entres elles, ont le mauvais goût de ne produire de l’électricité que de manière intermittente.
Comment, dans ces conditions, inciter les consommateurs à consommer de l’électricité au moment où elle est le plus facile à produire et donc où elle est la moins chère ? Simple. Par ce qu’on appelle le « signal prix », autrement dit le « à chacun selon ses moyens ». Si je veux de l’électricité à un moment où tout le monde en a besoin, il suffit de la faire payer plus cher.
L’apparition des compteurs intelligents ou communicants est de ce point de vue une révolution. Si on ne pouvait faire jusqu’à présent que deux tarifications de l’électricité (le tarif normal et le tarif jour/nuit), avec le compteur Linky d’ERDF en France, ce seront une dizaine de tarifications différenciées qui seront proposées et qui dépendront des heures de la journée, des saisons, des conditions météorologiques et pourquoi pas à terme des zones géographiques. ERDF avance, comme en Grande-Bretagne, des prix plus bas le samedi, mais nul doute que cela finira par des prix majorés de 19h à 21h en semaine.
Quelle est alors l’alternative du « à chacun selon ses moyens » ? C’est évidemment celle d’« à chacun ses besoins », diront les spécialistes de la pensée politique du XIXème siècle. En terme de consommation électrique, cette idée repose sur deux conditions : le première est que chacun connaisse ses besoins, qu’il soit même capable de les maîtriser (simplement pour ne pas consommer plus que ce dont il a besoin) et la seconde, que chacun puisse « négocier » ses besoins avec les autres en fonction des ressources disponibles. Connaître ses besoins, les maîtriser, c’est ce que nous permettent des dispositifs comme Open Energy Monitor en Grande-Bretagne ou Citizenwatt en France qui aident à connaître ses habitudes de consommation, voire à réduire celle-ci.
Négocier avec mon voisin pour son électricité
Mais la seconde est plus complexe. Comment négocier avec ses voisins, dans un contexte où se développent les énergies renouvelables (panneaux solaires ou éoliennes maison) pour disposer d’électricité en quantité suffisante, en fonction des ressources disponibles ? Il suffit « simplement » que mon compteur « connaisse » mes besoins et mes habitudes de consommation, qu’il compare avec la quantité globale d’énergie produite par mon îlot ou mon quartier pour négocier, de manière totalement décentralisée et sécurisée, avec les compteurs de mes voisins.
C’est ainsi qu’apparaissent aujourd’hui de nombreux projets, dits de microgrids (des micro-réseaux électriques intelligents), fondés sur la technologie blockchain qui permet des transactions sécurisées de particulier à particulier, sans intermédiaire et qui s’applique aujourd’hui à la circulation de l’énergie. Une sorte de Peer to Peer (P2P) de l’énergie.
On voit ainsi apparaître de nombreuses initiatives alliant production d’électricité renouvelable, gestion de la charge par la technologie décentralisée blockchain et, corollaire indispensable, consommation responsable. C’est le cas de l’expérimentation menée à Brooklyn aux États-Unis par Transactive Grid sur cinq immeubles dotés de panneaux photovoltaïques combinant production d’énergie renouvelable et économie du partage issue de la technologie blockchain. Pour la première fois en effet, cette solution, basée sur la plateforme Ethereum, a permis que des voisins achètent et vendent de l’énergie produite localement. Les bénéfices dégagés peuvent ensuite être réinvestis par la communauté dans des équipements de proximité.
De nombreux projets plus ou moins libres ou commerciaux se mettent en place suivant ces principes d’une décentralisation de la production et de la transaction d’électricité. En France par exemple, le projet Daisee (Decentralized Autonomous Interconnected Systems for Energy Efficiency), récemment initié dans le cadre du concours Hackaday par La Paillasse Saône, s’inscrit pleinement dans cette démarche.
Au moment où se réfléchissent un peu partout en France des manières de vivre debout, de nuit comme de jour, les makeuses et les makeurs ont tout à faire dans ce mouvement pour inventer de nouvelles formes de vie responsables et durables. Je ne puis qu’inciter tout le monde à participer et/ou observer la première Nuit makeuse organisée mercredi 27 avril dans le cadre de #nuitdebout, place de la République à Paris !
Plus d’informations sur le channel Nuit makeuse et dans notre Bricole it Yourself «préparer la Nuit makeuse»
Retrouvez ici les précédentes chroniques pour Makery d’Olivier Blondeau, co-auteur de «Libres enfants du savoir numérique» (éd. de l’Eclat, 2000)