L’imprimante 3D dans chaque foyer, c’est pas gagné
Publié le 5 avril 2016 par Carine Claude
Crise de croissance? L’imprimante 3D et les promesses de la fabrication numérique pour tous peinent à faire leur chemin chez les particuliers, malgré un marché global en forte croissance. Premier volet de notre enquête.
« Un jour, chaque entreprise, chaque école, chaque maison aura son imprimante 3D », prophétisait Bre Pettis, charismatique fondateur de Makerbot et pionnier de l’impression 3D grand public. Sauf que le jour en question tarde (relativement) à venir. Le marché de l’impression 3D connaît pourtant une croissance insolente. Evalué à 4,3 milliards de dollars en 2015, il bondirait à 17,7 milliards de dollars à l’horizon 2020, selon l’analyste britannique Context.
« Le marché des imprimantes 3D continue sa transformation, en passant d’un marché de niche à un marché global touchant à la fois les entreprises et les consommateurs », pointe un rapport du cabinet américain Gartner. Lequel évalue à 500 000 le nombre d’imprimantes 3D qui devraient être vendues en 2016 dans le monde, le double de 2015, pour atteindre les 5,9 millions d’unités en 2019. Pour continuer dans la surenchère des projections, une étude du cabinet IHS envisage, quant à elle, une accélération astronomique, dépassant les 35 milliards de dollars en 2020.
Le marché de l’impression 3D: bulle ou boom?
Or, même si les ventes d’imprimantes 3D personnelles grimpent en flèche, difficile de savoir si elles sont utilisées à des fins professionnelles ou de loisir. Peu d’études globales appréhendent ce secteur encore très éclaté, mais propice au bouillonnement médiatique. A tel point qu’on peut s’interroger sur le risque de constitution d’une bulle spéculative autour de ce marché émergent. Car si croissance économique il y a, elle concerne surtout le secteur professionnel, et pas encore la grande consommation, comme le souligne une étude assez critique publiée par Deloitte.
Répartition des imprimantes 3D dans le monde:
Doucement mais sûrement, les leaders mondiaux 3D Systems et Stratasys (qui avait racheté Makerbot 400 millions de dollars en 2013) prennent leurs distances avec l’impression 3D grand public. « Le marché de l’impression 3D et de la fabrication additive va continuer sa croissance sur les principales applications qui font aujourd’hui la réalité d’utilisation de ces technologies », explique Eric Bredin, directeur de Stratasys France, qui mise plutôt sur le développement des maquettes conceptuelles, des prototypes fonctionnels et de la production d’outillage pour asseoir la stratégie industrielle du groupe.
«L’impression 3D est devenue virale.»
Mathilde Berchon, auteure de « L’Impression 3D »
Face à eux, des myriades de start-ups se lancent avec enthousiasme sur le marché de l’impression 3D domestique. Pourtant, les pionnières essuient les plâtres d’un modèle économique qui se cherche encore. Le Fabshop, principal distributeur de Makerbot en France, a été placé en redressement en septembre 2015 en raison de l’effondrement des ventes du dernier modèle d’imprimante. Le magasin historique Reprap Pro a fermé ses portes à Londres en janvier dernier. La firme Makerbot elle-même a dû licencier 20% de ses effectifs et baisser le rideau de trois de ses boutiques américaines.
Pour Adrian Bowyer, mathématicien visionnaire à l’origine du projet open source Reprap, les raisons de ces fermetures sont à chercher du côté de la soudaine concurrence entre start-ups. « Le marché des imprimantes 3D à bas coût est maintenant tellement saturé et compétitif qu’une petite entreprise spécialisée comme la nôtre ne peut pas s’étendre, expliquait-il en janvier. Il ne m’a pas échappé que l’éclosion de toutes ces sociétés, essentiellement basées sur le projet Reprap, allait leur rendre la vie commerciale difficile. Nous savions que ça risquait de se produire, mais nous pensions que cela prendrait des décennies, pas quatre ans. »
«Les grands groupes informatiques sont présents sur le marché de l’impression 3D professionnelle depuis longtemps. Ils attendent en embuscade la maturité du marché des particuliers. Ce jour-là, quand ils sortiront de bonnes machines à des tarifs très compétitifs, ce sera très difficile pour les petits acteurs comme nous de rivaliser.»
Sandy Michel, gérant de Iprint 3D
Après l’engouement, la frustration?
« Le marché est déjà saturé alors que la demande ne suit pas », analyse Mathilde Berchon, chargée de projets au Techshop d’Ivry-sur-Seine et auteure d’un ouvrage de référence sur l’impression 3D. Pour elle, le recours à l’impression 3D illustre surtout un changement de paradigme des modes de consommation et ne peut s’analyser par les règles classiques de l’offre et de la demande : « L’impression 3D ne répond pas à un besoin de consommation. La vraie question, c’est de savoir comment on modélise et qu’est-ce qu’on fait avec ces imprimantes. »
Là où on attendait un effet drone, les ventes d’imprimantes 3D personnelles tardent à décoller, malgré l’arrivée de machines à moins de 300€ et les incursions encore timides de la grande distribution comme Auchan ou Darty. « Le segment est en pleine mutation, car nous passons d’un marché pro qui s’ouvre sur du domestique, explique Alexandre Statescu, directeur de la société nantaise Funreprap. Mais le public n’est pas du tout au courant de ce que l’on peut réaliser avec une imprimante 3D. » Ce que confirme Clément Bonfils, cofondateur de la start-up 3D Modular Systems : « On a encore quelques belles années devant nous car tout le monde n’est pas au courant de ce qu’est réellement l’impression 3D. Et aussi, même si cela semble étonnant, parce que les grosses industries ne se sont pas encore trop investies sur le marché de l’impression 3D domestique. »
L’autre risque, c’est que l’engouement fasse place à la frustration, l’impression 3D étant loin d’être à la portée de tous. Avant d’imprimer, il faut passer par la case apprentissage de la modélisation 3D. Et les ratés sont nombreux, en particulier avec les machines d’entrée de gamme. « Un particulier voudra quelque chose de bien fini, pas d’une ébauche qui, elle, par contre, est très utile aux professionnels », résume Sandy Michel, gérant d’Iprint 3D, une start-up installée à Montreuil.
Coût des filaments, monochromie des objets imprimés, lenteur d’impression, risques toxiques, contraintes légales de reproduction… les freins sont encore nombreux pour un usage personnel satisfaisant. Le marché s’en ressent. Car pour imprimer correctement en 3D, il faut avoir envie de mettre les mains dans le cambouis. C’est le principe même des machines open source commercialisées en kit par de nombreux fabricants, comme les Espagnols de BQ ou le constructeur français Dagoma.
En 2016, seules 10% des machines domestiques commercialisées devraient être plug & print. Bien loin des classiques imprimantes jet d’encre. « L’usage domestique des imprimantes 3D ne s’accélèrera qu’avec la mise à disposition accrue de contenus qui favoriseront le déploiement en masse de ces imprimantes, explique le directeur de Stratasys France. Pour le grand public, il faut laisser le temps aux générations d’apprivoiser l’écosystème. »
Eduquer pour imprimer en 3D
A l’instar de Stratasys, qui compte investir dans des programmes de formation en collèges, lycées et écoles de design, d’autres industriels lorgnent du côté de l’éducation et du jeune public. Le groupe Mattel a dégainé le premier en lançant mi-février Thingmaker, une imprimante 3D à 300$ qui permet aux enfants d’imprimer leurs propres jouets. « C’est malin de mettre des imprimantes 3D dans les mains des enfants, c’est par là aussi que les industriels vont créer le marché, estime Aude Vivès-Albertini, avocate spécialisée en propriété intellectuelle et nouvelles technologies. Dans dix ou vingt ans, ils sauront parfaitement créer les fichiers, paramétrer les machines et obtenir la pièce qu’ils voudront. »
En attendant l’imprimante 3D dans chaque cuisine, les offres de service se développent. Les tiers-lieux et les fablabs proposent au grand public l’encadrement et les machines pour se familiariser avec les technologies 3D. La Poste a lancé un test en installant des imprimantes 3D dans trois bureaux parisiens. Seb propose les modèles de ses pièces détachées à imprimer en 3D.
«Côté constructeurs informatiques, il y a eu certaines initiatives et un positionnement timide de Microsoft qui se spécialise sur les initiatives logicielles, mais ces tentatives ne rencontrent pas encore un public massif.»
Mathilde Berchon, auteure de « L’Impression 3D »
Les mastodontes de l’informatique commencent à rompre leur position attentiste sur le marché de l’impression 3D personnelle. Polaroid a annoncé lors du CES Las Vegas en janvier le lancement de sa gamme d’imprimantes 3D pour 2016, pour le coup sur un positionnement hyper grand public. HP devrait également frapper fort à la fin de l’année avec sa technologie Multi Jet Fusion. Inspirée des machines jet d’encre, elle promet d’être abordable, dix fois plus rapide et surtout, de pouvoir imprimer en plusieurs couleurs.
Retrouvez ici le second volet de notre enquête sur le marché de l’imprimante 3D maison, avec les propos recueillis d’acteurs de l’impression 3D