Principaux parcours migratoires en 2013, détail d'une cartographie dynamique du Médialab Sciences Po. © Mathieu Jacomy Médialab Sciences Po
Deuxième partie de notre immersion au Médialab Sciences Po. En développant des logiciels libres, les chercheurs parisiens contribuent aussi bien à la prise de conscience des changements climatiques qu’à naviguer dans les controverses scientifiques.
Le Médialab met directement à l’épreuve ses nouvelles méthodes et ses nouveaux outils sur le terrain pédagogique, au travers du cours de cartographie des controverses de son fondateur Bruno Latour. Grâce au traitement des données et traces numériques et à l’analyse de la complexité, « il est possible d’étudier ces controverses, de voir le travail que font les citoyens pour infléchir par exemple les actions du gouvernement », affirme l’ingénieur responsable du volet réseaux et web Mathieu Jacomy. Neutralité du Net, limite des 2°C dans les négociations climat, éthique des tests ADN… ces controverses touchent les disciplines scientifiques comme les relations entre science et société.
Les acteurs et les réseaux
« Pour comprendre une controverse, ajoute Mathieu Jacomy, il ne s’agit pas d’écraser la complexité, mais de chercher à l’appréhender, à s’y habituer, de la déplier par facettes. Il faut pouvoir faire basculer l’observation sur différents angles : savoir qui sont les acteurs clés et quand ils ont agi permet d’arriver au pourquoi. Nos datascapes orchestrent cette exploration. » Pour les sociologues latouriens, les acteurs ne sont pas toujours des personnes, mais peuvent être des objets, des animaux, des structures… « Ce qui est important, ce sont les relations que ces acteurs ont entre eux. »
En 2015, alors que se tenait la COP21, le Médialab s’est fortement engagé dans la cartographie des enjeux des négociations climatiques : « Les travaux sur le climat ont permis à la fois de prouver l’efficacité des méthodes du Médialab en termes de visualisation de données complexes, mais aussi de montrer l’importance de leur impact sur le débat public, explique Bruno Latour. C’est une particularité du Médialab de s’intéresser à toute la chaîne de production de l’information, en s’attachant aussi bien à la saisie des données qu’à leur représentation et leur restitution publique, en donnant beaucoup d’importance au renouvellement des méthodes d’enseignement. » Grâce à l’expérience acquise avec le projet la Fabrique de la loi, le Médialab a plongé dans la question climatique, notamment avec le projet Make It Work « impulsé largement par le Médialab, ainsi que par la publication du Climate Negotiations Browser », ajoute Bruno Latour.
Présentation du Navigateur des négociations sur le climat (en anglais):
Les briques du Médialab
Parmi les pratiques estampillées Médialab, la méthode agile, née dans un contexte de développement informatique et désormais élargie à une forme de travail itérative et collaborative, et le développement de logiciels libres dont les codes sources sont intégralement publiés sur le réseau de partage collaboratif Github. Le directeur technique du Médialab Paul Girard souligne l’importance de développer des « briques » qui vont servir à fabriquer d’autres outils, pour d’autres utilisateurs ou pour eux-mêmes. Cela va de la brique la plus brute, comme une bibliothèque d’algorithmes, à des outils d’exploration pour les chercheurs, jusqu’à des choses complètement finalisées comme un datascape pour le grand public.
C’est ainsi que le Médialab a développé la librairie Sigma.js qui permet de représenter un réseau sur le Web. Lequel outil a servi à concevoir Manylines, une brique prototype en ligne sur laquelle l’utilisateur verse son réseau et avec laquelle il peut ensuite fabriquer des « slides » de visualisation (le Médialab de Sciences Po parle anglais : les slides sont des projections d’images). Le chercheur peut ainsi partager une narration.
Le Médialab travaille aussi au développement du logiciel d’exploration de réseaux Gephi, créé en langage java par Mathieu Jacomy, qui permet de faire de la visualisation et de la spatialisation de graphs et qui est utilisable dans l’analyse des réseaux sociaux mais aussi dans l’histoire du Web. Gephi a déjà été téléchargé un million de fois.
Sortir du lab
Le Médialab développe également des outils de webmining, utiles pour la collecte d’informations. Hyphe démocratise par exemple la collecte de données web grâce à une interface « crawler » (un robot collecteur d’indexation). On y dépose ses adresses web. Hyphe collecte les contenus des sites en question et propose des sites annexes. Le tout se passe entièrement en ligne avec une interface qui ne demande pas de lignes de commande. Car l’ambition du Médialab est de démocratiser ses outils. C’est le cas de la base cartographique Utopies Concrètes, qui répertorie quelque 3000 lieux et associations alternatifs, pirates, éco-féministes ou libertaires en France. « On voulait fabriquer un outil qui soit en pratique utilisable par des sociologues et par la société civile, par exemple des documentalistes qui font de la veille sur la société civile dans le domaine du développement durable, explique Mathieu Jacomy. Il s’agit de libérer les technologies qui sont à la base des méthodes que l’on peut déployer, mais aussi de les rendre utilisables. Il ne s’agit pas de fabriquer un logiciel de laboratoire que personne ne va plus utiliser par la suite ! »
Sprints pour le climat
Pour les développeurs du Médialab, la modalité la plus efficace pour travailler est de se retrouver dans un espace commun sur des périodes de temps réduites. Mathieu Jacomy affectionne les sprints, les hackhatons, les barcamps : « C’est là qu’on peut toucher sans distinction les institutions et la société civile. »
En amont de la COP21, dans le cadre du projet Climaps, le Médialab a ainsi travaillé avec des personnes impliquées dans le processus des négociations sur le climat, des activistes indépendants et des représentants d’entreprises qui fournissent les indicateurs de vulnérabilité aux changements climatiques des pays. « C’était important aussi de travailler avec eux, précise Mathieu Jacomy, pour qu’ils nous aident à traduire et interpréter le langage codé des données métiers d’entreprises liées au changement climatique. » Séries de courbes classiques, chromatogrammes, réseaux… Climaps fournit une centaine de visualisations accompagnées de textes, toutes téléchargeables et interactives. Mathieu Jacomy partage d’ailleurs son enthousiasme à développer des projets comme Climaps : « Il y a quelque chose de magique qui se produit dans les sprints, un mélange que l’on ne peut pas obtenir autrement ! »
La très riche archive de cartographies de controverses
Les logiciels libres du Médialab Sciences Po
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