Du 2 au 5 mars, à Genève, le prestigieux Cern accueillait Gosh!, rassemblement international d’activistes autour de la science ouverte et des technologies. Makery a demandé à Jenny Molloy, coordinatrice de la rencontre, de nous en expliquer les enjeux.
Jenny Molloy, coordinatrice des programmes de recherche OpenPlant et Synthetic Biology Strategic Research Initiative à l’université de Cambridge en Grande-Bretagne, s’intéresse aux croisements entre science ouverte et technologies numériques. Du 2 au 5 mars, elle a coordonné la réunion d’une cinquantaine de chercheurs au Centre européen de la recherche nucléaire (Cern) de Genève pour l’événement Gathering for Open Science Hardware (Gosh!). Makery lui a demandé un après-coup en images.
« Gosh! 2016 a été l’occasion de rassembler une cinquantaine des plus actifs développeurs, utilisateurs et bricoleurs du domaine de l’Open Science Hardware (Matériel libre pour la science). Venus des quatre coins du monde, ces héros hackers du Matériel libre ont également pu échanger avec des experts de différents domaines de recherche liés, cela afin d’enraciner la communauté. Fait marquant, le Cern leur ouvrait ses portes en leur offrant d’échanger et bricoler dans son IdeaSquare pendant plusieurs jours. L’objectif des activistes du Matériel libre était d’étendre le champ d’action du mouvement et de chercher où initier des changements concrets.
« Le matériel joue un rôle déterminant dans les expérimentations et avancées du monde de l’instrumentation scientifique. Il a été d’ailleurs central dans les différentes révolutions scientifiques qui ont permis d’étendre les observations au-delà des cinq sens humains. Bien que les scientifiques soient des bricoleurs nés, la chaîne actuelle de fourniture en matériel scientifique limite l’accès et entrave la créativité et la customisation. Le domaine de l’Open science hardware questionne en partie ce problème par le partage de designs ouverts, s’inspirant souvent des techniques de fabrication numérique modernes. L’éducation populaire et la science citoyenne cherchent à étendre la portée de cette approche au-delà du contexte de la recherche académique. L’objectif est d’augmenter l’accès aux outils de recherche, de faciliter leur customisation et leur recyclage et de réduire les coûts.
« Un nombre croissant de personnes dans le monde développent et utilisent du Matériel libre pour la science, mais il reste à construire une communiqué autonome et cohérente pour mieux identifier ses ambitions et orienter les changements sociaux qui permettront de développer l’usage d’équipements libres et à bas coût dans les institutions et la société.
La communauté Gosh!
« La communauté Gosh! est convaincue que le matériel libre pour la science peut élargir les perspectives des scientifiques accrédités, des techniciens, des entrepreneurs et des défenseurs de la communauté, dans le développement de leur travail ; mais également de la multitude de groupes citoyens qui souhaite garder le contrôle sur leurs propres recherches. La communauté Gosh! est constituée d’ingénieurs, d’artistes, de hackers, d’enseignants, d’étudiants et de citoyens.
« Les participants ont montré une palette de technologies et de projets via démos et séances de partage de compétences, comme la micro-balance pour capter d’infimes changements de masse Open quartz crystal microbalance (OpenQCM), les kits Backyard Brains pour mesurer l’activité des neurones, une platine haute-précision de microscope imprimée en 3D, les kits de mesure de radiations Safecast ou encore les spectromètres DiY de Public Lab.
« L’objectif était de construire ensemble, qu’il s’agisse d’équipements de recherche ou d’outils destinés à la science communautaire, citoyenne et civique. Les travaux après Gosh! se sont poursuivis en rendez-vous DiY et maker organisé au Studio a.n.y.m.a. de Fribourg, avec une focalisation sur le codéveloppement d’outils à bas coût pour l’éducation et le jeu, présentant quelques micro-contrôleurs comme les cartes ATtiny ou la CocoMake7, plateforme éducative jugaad pour apprendre l’interactivité numérique.
« Gosh! s’est intéressé aux usages ludiques et artistiques du matériel libre scientifique. La chercheuse de l’université de Singapour Denisa Kera a donné une conférence intitulée Open, Disruptive, Aesthetic and Cosmological Laboratory Hardware (matériel de laboratoire ouvert, disruptif, esthétique et cosmologique). Les participants ont pu assister à des performances sur Synkie, une plateforme vidéo analogique et modulaire open source, développée à partir d’équipements d’ingénierie et de câbles de laboratoire « trouvés ». Les artistes invités du programme Arts@CERN, Evelina Domnitch et Dimtry Gelfand, ont présenté leurs collaborations avec des laboratoires scientifiques pour créer des œuvres d’art éphémère en sonoluminescence (la transformation de l’énergie sonore en lumière).
« Urs Gaudenz du Gaudi Lab a démontré que l’un des challenges que doivent affronter bon nombre des utilisateurs d’open hardware en science est le manque de documentation, rendant assez compliqué de savoir distinguer les éléments, les assembler et customiser le kit !
« Gosh! était entièrement dédié à construire et former la communauté. Le groupe a donc passé beaucoup de temps à partager les projets. C’est ainsi que Tom Igoe, professeur en informatique physique à l’école d’art Tisch de l’université de New York et co-créateur de l’environnement Arduino, a été favorablement impressionné par le Riffle de Public Lab, un enregistreur de données open hardware construit pour les applications de mesures environnementales : “Vous avez fait tous les bons choix.”
« Les participants de Gosh! ont fait eux-mêmes les repas dans la cuisine de l’IdeaSquare durant ces quelques jours d’échanges intenses. Un bon moyen de construire une communauté !
« En conclusion de Gosh!, le groupe a posé les fondations d’une feuille de route du Matériel libre pour la science – qui implique la rédaction d’un manifeste et des actions concrètes à mener pour établir l’open hardware en tant que norme dans le champ de la science. Les questions clés qui ont émergé des discussions concernent la reconnaissance par les pairs des contributions de la communauté, la promotion de l’open hardware pour sa reconnaissance et son acceptation aux niveaux institutionnels et gouvernementaux, la production de documentation claire et les problèmes de calibration et de reproductibilité, de scalabilité de l’open hardware, etc. »
La discussion se poursuit et est ouverte à tous sur le site Gosh!