Le MakerTour a conduit Mathieu Geiler et Etienne Moreau de lab en lab depuis octobre 2015. Ce mois-ci, leur chronique pour Makery s’intéresse aux sources du mouvement, ancêtres des ateliers collaboratifs.
D’octobre à décembre 2015, MakerTour a parcouru la France de l’Ouest au Nord, avant de poser ses valises en région parisienne en janvier 2016, et de repartir bientôt, pour les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Espagne… Avant d’explorer la face parisienne des labs, nous sommes passés en tout début d’année par Kelle Fabrik à Dijon, Net-Iki à Biarne et le fablab de La Casemate à Grenoble. Au cours de ce marathon, des anecdotes et autres petites histoires d’inspiration glanées auprès des porteurs de projets d’ateliers numériques nous ont conduit à regarder en arrière. C’était comment, avant les fablabs ?
Artistes partagent ateliers au Bateau Lavoir et à la Ruche
Lors du passage de MakerTour à ICI Montreuil, Nicolas Bard, son co-fondateur, nous confiait que les communautés d’artistes et artisans des siècles passés sont leur inspiration. Des ateliers parisiens légendaires ont nourri la création de leur makerspace, le Bateau Lavoir et La Ruche notamment.
A flanc de colline à Montmartre, à la fin du XIXème siècle, un atelier de pianos avec salle de bal est transformé en une vingtaine d’ateliers à bas prix pour artistes, lesquels sont chassés du 9ème arrondissement par la flambée des prix des loyers, des boissons et des dames. L’histoire du Bateau-Lavoir se confondra avec celle de l’âge d’or du Montmartre artistique. Parmi ses résidents, les illustres Renoir, Picasso, Braque, Degas, Modigliani, Apollinaire, ou encore Max Jacob.
Fondée en 1902 par le sculpteur Alfred Boucher à Montparnasse, la Ruche supplante le Bateau Lavoir par ses activités artistiques et sa renommée, après la Première guerre mondiale.
«L’union fait la force, dit la sagesse des nations. Pourquoi ne créerait-on pas une manière d’association, de syndicat artistique? Pourquoi un certain nombre de jeunes artistes ne mettraient-ils pas en commun leurs rêves, leurs ambitions, leurs efforts et surtout leurs besoins? Les “abeilles” offrent à l’homme le plus bel exemple d’union qui soit, dans un travail, dans l’effort… Et voilà pourquoi nous avons fait La Ruche.»
Alfred Boucher, sculpteur
Le maréchal-ferrant, fabmanager avant l’heure
Au cours d’une discussion à bâtons rompus avec Jean-Pierre Moreau (le père d’Etienne), il nous a raconté l’histoire d’un maréchal-ferrant dans le village de son adolescence des années 1960, Robert Lajeat. A Lajoumard, au cœur du Limousin, Jean-Pierre parcourait fréquemment à pied ou à mobylette les deux kilomètres séparant sa ferme de l’atelier du maréchal-ferrant.
s’il ferrait les chevaux et les bovins des villages environnants, le maréchal-ferrant fabriquait et réparait également tout ce dont les familles pouvaient avoir besoin : mobilier, matériel pour la ferme, moteurs. Dans un contexte où l’autonomie n’était pas un choix, Robert Lajeat concentrait les savoirs tandis que son atelier proposait les outils nécessaires pour intervenir dans tous les domaines : menuiserie, mécanique, forge, électricité, plomberie…
Et lorsque le maréchal-ferrant était occupé, son atelier était ouvert et ses outils à disposition des villageois. Faire soi-même, apprendre à faire ou faire faire par Robert Lajeat, le choix s’offrait à chacun. « Il n’y avait pas d’autre solution, lui seul avait les outils et l’atelier pour bricoler, raconte Jean-Pierre Moreau. La première fois, il faisait pour nous. On apprenait en le regardant. Puis il nous laissait faire. On venait avec nos planches, il te filait des vis, préparait le rabot, filait des coups de mains et on s’entendait sur un prix juste. »
« Son atelier s’est arrêté lorsqu’il est décédé. Et les fablabs, pour ce que j’en ai compris, me rappellent son histoire. Des lieux qui réunissent tous les moyens pour faire des choses. Si tu veux faire ta propre chaise, un engin qui n’existe pas, tu vas trouver la matière première, les composants, les moyens d’assemblage et le conseil pour apprendre toi-même à faire. »
Le(s) premier(s) fablab(s) au monde
Au cours de l’étape parisienne, une conversation avec Nicolas Loubet entre deux explorations d’ateliers nous a ramenés à l’histoire du premier fablab au monde, au Center for Bits and Atoms du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Avec un détail qui a son importance.
Avec le fameux cours « How to Make (Almost) Anything », le MIT s’intéresse à la combinaison entre « la volonté de donner le pouvoir aux communautés en rendant la technologie accessible depuis ses racines et à la fabrication numérique ». Les grandes lignes de la vision d’un « programme FAB LAB » sont tracées dans un papier co-signé en 2002 par le Grassroots Invention Group et le Center for Bits and Atoms. Le fablab n’est donc pas une invention solitaire de Neil Gershenfeld, comme l’histoire le raconte souvent.
La même année, une subvention de la National Science Foundation lance le programme. Après la création du premier « laboratoire de fabrication » au MIT, l’équipe se rend à Pabal en Inde pour aider à monter Vigyan Ashram, premier fablab hors du MIT. L’année suivante, ce sera au tour de la Norvège, où nous nous rendrons en mars, puis du Costa Rica.
Ces histoires d’ancêtres des fablabs nous mènent loin des discours actuels sur les labs et l’innovation. Pourtant, ce sont les bases historiques sur lesquelles se construit le mouvement fablab-makerspace-hackerspace-tiers-lieux et ses valeurs. Nous sommes bel et bien en train de recréer ces espaces partagés, sous forme d’un réseau mondial d’ateliers connectés les uns aux autres, partageant des outils traditionnels et numériques, et ouverts à quiconque ayant la volonté de faire. Et ce n’est que le début !
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