Au fablab Kamakura, patrimoine et savoir-faire au pays du Grand Bouddha
Publié le 16 février 2016 par Cherise Fong
Chaque lundi, à 1h de train au sud de Tokyo et 3km du célèbre Grand Bouddha, le Fablab Kamakura ouvre ses portes au public. Depuis 2011, le plus ancien fablab d’Asie occupe cette maison traditionnelle japonaise restaurée. Reportage.
Kamakura, envoyée spéciale
A 9h, un lundi matin, une dizaine de personnes sont assemblées au rez-de-chaussée du Fablab Kamakura. Avant même de se présenter, les torchons, les balais, les gants de jardin sont sortis, pour se mettre au travail : certains restent à l’intérieur pour ranger, essuyer et balayer, mais finalement tout le monde se retrouve dehors pour couper et débarrasser le liège qui menace d’envahir l’escalier.
A 9h35, la plénière de l’open lab matinal du Fablab Kamakura commence par un petit tour de table. Une nouvelle venue inaugure sa première session de Fab Basic, une formation de trois mois pour apprendre le b.a.-ba de la fabrication digitale. A sa gauche, un habitué qui est aussi l’ingénieur du robot Fabwalker expérimente différents filaments pour l’imprimante 3D Afinia. Son voisin montre des essais d’impression numérique UV du Mont Fuji sur bois, en tranches fines comme du papier. Un ingénieur retraité fait courir un de ses robots zoo-ambulants qui émeut la salle lorsqu’il n’arrive pas à surmonter une marche de ses roues-prothèses arrières.
Un autre homme lui aussi âgé annonce son projet de programmer un jeu de foot… en Scratch, le langage de programmation simplifié pour les enfants conçu par le MIT. Matt Krebs, doctorant en anthropologie à l’Université de Kentucky aux Etats-Unis, assiste au morning fab chaque semaine depuis un an pour suivre les projets et la dynamique de cette petite communauté. Mio Kato, l’ingénieur fabacadémicien fabmanager de Kamakura, parle du prochain atelier Fusion 360 pour la conception 3D…
La maison traditionnelle, construite en 1889 par l’architecte qui l’a occupée un temps, respire encore à travers le bois de ses poutres apparentes, son four à gaz, son escalier en loft et son toit en mansarde. Les grandes portes blanches s’ouvrent à la rue comme un coffre à taille humaine relâchant plus d’un siècle de souvenirs, de secrets et de savoir-faire.
Fondée en mai 2011 par le professeur Hiroya Tanaka, le père des fablabs au Japon et concepteur de l’OCPC, et l’universitaire Youka Watanabe, l’organisatrice de Fablearn Asie, le Fablab Kamakura s’est particulièrement bien développé du côté pédagogique, grâce aux ressources et surtout à la vision de ses cofondateurs universitaires.
C’est le seul supernode parmi les quatre fablabs qui proposent la Fab Academy au Japon (avec Sendai, Hamamatsu et Kitakagaya). A Kamakura, le cours magistral du MIT est projeté en direct chaque mercredi soir, de 23h à 2h du matin, avec suivi local assuré par le fabacadémicien Mio Kato. Cette année, Kamakura accueille trois étudiants, et prévoit des échanges avec Taïwan. Le lab propose également trois niveaux de formations plus élémentaires en fabrication numérique, destinées entre autres à préparer celles et ceux qui s’y intéressent à l’intensité technique et internationale de l’Academy.
Youka Watanabe, cofondatrice et fabmanager du lieu, insiste sur la portée globale de l’enseignement : « Ici, on s’intéresse à comment élever le niveau des gens à travers le travail collaboratif, les nouveaux défis, en créant une plateforme pour apprendre et faire qui repose sur le réseau global. Le Japon, c’est comme une petite île, on veut pousser les Japonais à ouvrir les yeux sur d’autres pays. On échange les idées mais aussi les personnes. »
En plus des deux open labs chaque semaine (lundi matin et mercredi soir) et des cours d’initiation technique à la découpe laser et à l’imprimante 3D, le Fablab Kamakura organise régulièrement des formations pour des entreprises, anime des programmes parascolaires et vient juste de lancer une fab night dédiée aux moins de 18 ans. Depuis juillet 2015, le Fablab Kamakura est également l’une des associations membres du réseau international Global Stem Learning, une initiative portée par l’Académie des sciences de New York.
A l’étage, une ambiance tranquille domine l’espace de coworking actuellement partagé par quatre personnes, dont Kuniaki Sento, ingénieur 3D qui travaille sur un impressionnant modèle de mâchoire de dinosaure, et Masakazu Otsuka, ingénieur informatique qui a lancé une start-up pour vendre son IRKit, une petite télécommande wifi infrarouge open source qui permet de contrôler tous ses appareils électroménagers avec son smartphone. Ces coworkers diligents ont été personnellement invités à partager l’espace, en échange d’une modeste contribution mensuelle et surtout du partage de leurs connaissances et compétences spécialisées.
A 11h, les deux stagiaires de l’université de Keio présentent les résultats de leur recherche au Fablab Kamakura sur les trois derniers mois. Yuri, étudiante de deuxième année en infographie et amateure de méduses, apprécie le concept de la fabrication personnelle, mais évoque l’obstacle potentiel de l’utilisation régulière de ces formidables machines à commande numérique. Kondo, autre étudiant de la Faculté des études environnementales et d’information, a pris l’initiative de fabriquer des échantillons de motifs imprimés en 3D, afin de laisser aux futurs utilisateurs du lab des outils pour comprendre et comparer. En effet, ces échantillons s’ajoutent au projet Fab Tools conçu et documenté par le Fablab Kamakura.
A 11h45, dernier tour de table (cette fois en anglais) pour donner à chacun l’occasion de faire le compte-rendu de sa matinée. Sourires de découverte, rires partagés dans une atmosphère d’intérêt, de soutien et de respect mutuel.
Quelques-uns des ingénieurs chevronnés, ravis de partager leurs projets et obtenir du feedback, animeront aussi la session nocturne de l’open lab du mercredi soir, où se retrouvent souvent de jeunes employés moins expérimentés.
« Dans le contexte du vieillissement de la population japonaise, les jeunes ont besoin d’autres compétences, de mentors. Ces ingénieurs aguerris ont beaucoup de connaissances techniques en matière de fabrication. La question, c’est comment les transmettre à la prochaine génération. »
Youka Watanabe, fabmanager