Migrants: pour en finir avec les campements de la honte
Publié le 25 janvier 2016 par Nicolas Barrial
Sur fond d’urgence migratoire, les mêmes bâches tirées à la hâte. Des solutions alternatives pour abris de fortune, pensées par des artistes, des hacktivistes makers et des architectes existent pourtant.
Un million de réfugiés ont débarqué en Europe en 2015. Pas une semaine ne passe sans nouvelles alarmantes sur cette crise migratoire : Calais a connu un week-end de débordements, douze noyades ont encore été décomptées en Méditerranée le 21 janvier (avant qu’une vaste opération de sauvetage permette de secourir un millier de migrants), les conditions inhumaines d’hébergement en France sont pointées du doigt (à Dunkerque, le « camp de la honte » avec boue à gogo)…
Les solutions d’hébergement précaire mélangent système D (la bâche, la tente type Quechua) et prototypage social, et pourraient permettre d’en finir avec les « tentes de la honte » – le terme remonte à l’opération de l’association des Enfants de Don Quichotte en 2007, quand une cinquantaine de tentes et de SDF avaient occupé le canal Saint-Martin à Paris).
Un horizon de containers
Du provisoire qui dure, c’est le principe des tentes qu’utilise le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) dans les camps. Pourtant, un expert rappelait en octobre, lors du marathon d’idées pour aider les réfugiés à Paris, que la durée moyenne de résidence dans les camps de réfugiés mitoyens de la Syrie était de 17 ans.
Cette réalité va rattraper les regroupements européens, alertaient alors les spécialistes. L’abri mue peu à peu vers un entre-deux, ni tente, ni maison. Comble de l’ironie, c’est souvent le container, symbole de la circulation des marchandises, qui enracine les migrants dans l’attente.
Le nouveau Centre d’accueil provisoire (CAP) de Calais, qui entend faire oublier la mauvaise réputation (justifiée) de la Jungle, est composé de 125 conteneurs de 12 places, et peut accueillir jusqu’à 1 500 migrants. « Ils ont chacun un code d’accès et doivent se prêter à une analyse morphologique 3D de la main », explique son directeur à France 3 Nord-Pas-de-Calais. Ce mélange quasi-obscène de rusticité et de haute technologie rappelle le roman d’anticipation Player One d’Ernest Cline et ses tristes villes où s’empilent les mobile homes.
Certes, le container n’est pas forcément subi. Ces assemblages modulaires anonymes peuvent aussi constituer un choix de liberté, comme l’étonnant fablab hollandais KaasFabriek, sans adresse ni loyer, visité par Miriam Engle et Madison Worthy, deux Américaines parties à la découverte des labs européens à vélo.
Autant en emporte le vélo
Le vélo justement est utilisé par les migrants. Et n’a qu’un seul défaut : ne pouvoir les abriter. C’est sur ce sujet qu’a planché l’artiste canadien Kevin Cyr avec son Camper Bike en 2008, une caravane compacte tractée par une bicyclette avec laquelle il a fait la route. Kevin Cyr a récidivé depuis avec le Camper Kart, un Caddie convertible en couchette (photo de couverture), avec pour référence évidente les images de sans-abris new-yorkais qui trimballent des monticules d’affaires, autrement dit leur vie, dans des Caddie de supermarché.
La tendance est au nomadisme, mais avec les technologies du renouvelable plus compactes et efficaces, on se projettera bientôt plus loin, plus libre, plus longtemps. Après le pionnier Shigeru Ban et ses Paper Log Houses (conçues à partir d’éléments recyclés de carton et de sacs de ciment après le tremblement de Kobe au Japon en 1995), les architectes basés à Bratislava Nice Architects ont pensé un habitat à basse énergie dénommé Ecocapsule, alimenté par le vent et l’énergie solaire.
Et pourquoi pas l’auto-suffisance alimentaire ? Le projet de ferme bio Garden’Up qui tenait sur… un vélo a été récompensé par le concours Du green dans le gris en mars 2015. Certaines innovations nomades des makers de POC21 poussent la recherche de l’autarcie un cran plus loin encore.
Certains n’ont pas attendu la technologie, voire la rejettent franchement, pour pactiser avec leur environnement. Zadistes comme ecowarriors montent des cabanes dans les arbres, comme un échange de bons procédés avec la nature. Le phénomène est même transformé en tendance pour trekkers avec la tente pour arbres Tentsile (mais à 323€ le modèle d’entrée, ça fait cher l’abri de fortune…).
Pas de sans-abris dans l’espace
Partout des concepts qui feraient que l’abri de fortune mérite vraiment son nom, surtout auprès de ceux dont la société conteste l’autonomie. Pourtant, sur le papier, l’imprimante 3D semble déjà avoir tout réglé pour les prochains habitants de Mars. Et sur notre bonne vieille Terre ? Ce proto d’imprimante des Italiens de Wasp génère un logement avec la boue qu’elle trouve sur place. Comme celle qui colle toujours au pied des migrants.
En attendant que l’innovation arrive à bon port, reste le DiY, comme ce hamac en palettes construit en quelques heures avec les équipes d’Upcycly au printemps dernier, et qui mariait si bien simplicité et superflu.