A la fois directeur d’une palmeraie modèle et développeur de logiciels made in Africa, l’Ivoirien Yao Dodzi Dogbo est un fervent défenseur de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’agriculture en Afrique.
Lomé, Assahoun (Togo), envoyée spéciale (texte et photos)
Yao Dodzi Dogbo cultive une double passion : la programmation informatique et le palmier à huile. Deux domaines, technologie et agriculture, qu’il a pleinement investis et auxquels il croit pour l’avenir et le développement du Togo.
Du lundi au vendredi, c’est dans les bureaux togolais de sa société CERGI Banking Services, premier éditeur africain de logiciels de gestion bancaire, qu’il reçoit ; le week-end, vous avez de fortes chances de le trouver à Assahoun, village situé à 50 km au nord-ouest de Lomé, au milieu de sa palmeraie Ave Palm.
Programmeur de logiciels de gestion made in Africa
Une fois son diplôme de l’Institut africain d’Informatique de Libreville (Gabon) en poche, Yao Dodzi Dogbo s’attaque à la conception logicielle d’origine africaine. Observant que les institutions financières du continent achètent des logiciels de gestion conçus en Occident, avec certaines fonctionnalités inutiles et d’autres manquantes dans le contexte africain, il développe des outils de gestion en adéquation avec les besoins des banques africaines. Une activité inédite en Afrique, jusque-là réservée aux seules multinationales qui pour la plupart sont occidentales.
L’entreprise qu’il a créée en 1991 en Côte d’Ivoire, CERGI Banking Services, a depuis dupliqué des antennes, comme au Togo, et compte désormais une trentaine de clients répartis en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale.
«Les jeunes développeurs africains doivent absolument sortir des bureaux et mettre leurs connaissances en pratique sur leur terrain, qu’ils connaissent mieux que personne, pour fabriquer leurs propres logiciels!»
Yao Dodzi Dogbo
Ave Palm, la palmeraie connectée pro du recyclage
Changement de décor. Bien loin du bureau de la capitale, sous une chaleur écrasante, c’est entouré de noix de palmes séchant sur des bâches au sol que je retrouve Yao Dodzi Dogbo dans la peau du directeur de palmeraie. Accueil chaleureux et large sourire, ce passionné s’emploie à m’expliquer avec pédagogie les différentes étapes de la fabrication de l’huile de palme.
Traditionnellement, ce sont les femmes qui produisent l’huile de palme et l’huile palmiste, fruit d’un labeur particulièrement long et difficile. Grâce au soutien obtenu par le Projet d’appui au secteur agricole (Pasa) du ministère de l’Agriculture togolais, l’unité de transformation d’Ave Palm a pu se doter de machine-outils telles que des presses, concasseurs, grandes cuves, permettant un gain de temps considérable, levier direct du doublement de la production. Cette croissance a également permis de multiplier par deux l’emploi de femmes des villages environnants, tout en améliorant leurs conditions de travail.
Et afin de faire bénéficier de ces équipements aux villages les plus éloignés, Yao Dodzi Dogbo a eu l’idée de bricoler des plateformes sur des tricycles motorisés, pour transporter les machines de village en village.
Mais Yao Dodzi Dogbo ne s’est pas arrêté à la seule production d’huile. Son objectif : participer à un plan de « relance de la filière palmiste togolaise et faire la démonstration de sa valeur ajoutée ». Lui et son équipe travaillent ainsi sur plusieurs valorisations des déchets de production : les coques de noix de palme peuvent servir de gravier, idéal pour la régulation en eau des cultures hors-sol, entrer dans la composition de bétons allégés ou encore être transformées en charbon, ayant la particularité de faire fondre le fer à une vitesse record. Quand on sait que le Togo envoie sa ferraille au Nigeria pour qu’elle soit refondue…
Le florentin, résidu du pressurage des noix de palme et matière grasse qui favorise le bon feu, est utilisé comme liant dans la fabrication de briques de combustion, vendues sur les marchés environnants. Quant aux rafles, elles sont réduites en cendres, qui, une fois séchées, servent à l’extraction de potasse pour la fabrication de savons, d’engrais ou encore de condiments pour les sauces. Rien ne se perd ici, et les idées fusent au fil de la discussion pour explorer de nouvelles voies de valorisation.
Une appli pour gérer la palmeraie en temps réel
Puis, au milieu des fibres de noix de palme et des bacs de stockage du florentin, Yao Dozdi Dogbo sort de sa poche son smartphone pour me montrer la clé de voûte du succès de la palmeraie : son application Ave Palm.
Développée sur mesure pour pouvoir gérer à distance la palmeraie, elle est devenue un outil essentiel à la bonne marche de l’entreprise. Des smartphones sont à disposition des employés, qui y entrent les données journalières. En cas de problème, l’alerte est immédiate.
Cette transmission de données en temps réel est en passe de révolutionner l’agriculture africaine tout en facilitant la gestion des producteurs. En un clic (ou un SMS), ils s’informent sur le cours des marchés, des indicateurs météo et accèdent à du conseil pour faciliter et optimiser leurs taches.
«J’encourage les jeunes développeurs africains à s’intéresser au secteur agricole, élément pilier des économies de nos pays. Les technologies numériques sont indispensables à notre révolution agricole.»
Yao Dodzi Dogbo
Yao Dodzi Dogbo fera-t-il école ? La mise en ligne en avril 2015 de la plateforme Agritools d’information sur les projets technologiques liés au développement agricole en Afrique montre qu’il n’est en tout cas pas le seul à imaginer des solutions techno-DiY 100% africaines.