Prosopopées expose un cœur à corps avec les machines
Publié le 22 décembre 2015 par Laurent Catala
Makery est allé faire un tour à «Prosopopées», l’exposition du festival d’art numérique Némo, au 104 à Paris, qui prône plus d’autonomie pour la machine. Ça tombe bien, nous aussi!
Rendez-vous des amateurs d’art numérique curieux, le festival Némo, devenu Biennale internationale des arts numériques, propose un parcours d’installation au 104, dans le cadre de l’exposition Prosopopées : quand les objets prennent vie. Souhaitant se démarquer des dispositifs participatifs, interactifs et un peu prévisibles qui inondent les manifestations du genre, Prosopopées privilégie une approche plus critique de machines « qui retrouvent leur autonomie et sont vraiment déconnectées », explique son directeur Gilles Alvarez. Et de fait, l’expo recèle effectivement quelques bonnes surprises pour les makers.
«L’Appartement fou» notamment, se révèle un des espaces les plus loufoques, avec notamment le sofa victorien du Balance From Within de Jacob Tonski (2010-2013), qui joue les équilibristes sur un pied comme un yogi de salon. A l’intérieur de ce canapé vibrant, un assemblage robotique entretient la dynamique d’un équilibre vacillant détournant les principes fonctionnels d’un Segway pour parvenir à une sorte d’allégorie mécanique de relations humaines, fragiles et pouvant voler en éclat, comme ladite pièce. De fait, le dispositif utilise un système de reaction wheel, communément utilisé dans les fonctions de rotation des satellites et des télescopes. On est en content d’en avoir ici un aperçu un peu plus terre-à-terre.
Il faut un peu fouiller pour trouver son bonheur dans ce bric-à-brac digne de Géo Trouvetout, que couve d’un discours narquois le corbeau électro-mécanique haut perché de Kristof Kintera, dont on préfère dans la cour ses autres sculptures électro-mécaniques, baptisées Nervous Trees, une escouade d’arbustes coiffés d’un globe terrestre tentant visiblement de s’esquiver des lieux.
A l’heure du grand raout environnemental de la COP21, on s’arrête avec intérêt devant le vélo fumant du Keep On Smoking (2005) de Michel de Broin. Sa vision humoristique du greenwashing, cette communication écolo à tout-va d’entreprises pas toujours très propres, transforme ici l’énergie cinétique produite par un cycliste en machine à fumée, vélo et vidéo à l’appui. Une pièce qui pique les yeux à bon escient !
«Keep On Smoking», Michel de Broin, filmé en situation en Estonie en 2011:
Dans un autre recoin, les Mécaniques Discursives de Fred Penelle et Yannick Jacquet/Legoman continuent à explorer, dans un registre toujours très work in progress, les rapports intimement poétiques entre leurs jeux de vidéo-projections disséminés en trompe-l’œil sur les murs et un grouillant théâtre d’objets faits main, en papier, en cube-écran et en matière plastique. Un principe toujours aussi étrange de mise en espace de la vidéo, sortant la gravure de son cadre dans un scénario animé digne d’un cadavre exquis multimédia.
«Mécaniques Discursives», Fred Penelle et Legoman, making of de l’installation pour le festival Scopitone en 2012:
Dans les autres espaces d’expo, la colonne de fumée blanche d’Ascension (2011) d’Anish Kapoor étonne toujours par sa simplicité apparente et son immatérialité très esthétique. Dirigée par quatre puissants ventilateurs, la fumée procède d’un mouvement tubulaire plutôt fascinant et qu’il est d’ailleurs possible de fabriquer soi-même (les tutos ne manquent pas…).
Dans une approche beaucoup plus organique, l’Endophonie mécanisée d’Edwige Armand sera peut-être moins légère à reproduire. Mettant en scène des bribes de corps morcelé, des organes murmurants mis sous verre et sous écoute dans un décor de clinique bio-art, ce travail frissonnant et symphonique sur le vivant propose selon sa conceptrice une « manière de sentir et penser le monde » en s’interrogeant « sur nos mécanismes de pensée et de mouvement qui nous font vivre des réalités toujours construites ». Une logique d’affranchissement pour une pièce (sur laquelle Makery reviendra) réalisée en partie avec le fablab Artilect de Toulouse.
« Je me suis intéressée aux nouvelles formes d’échanges de connaissances et de savoir-faire qu’Artilect proposait », explique Edwige Armand.
«J’ai appris à souder des capteurs, raccorder des fils électriques, brancher une carte Arduino, coder l’Arduino pour les capteurs télémètres, créer des supports en plexi avec l’imprimante 3D Trotec. Mais c’était aussi un soutien régulier et une entraide permanente. Par exemple pour la conservation des organes, nombre de personnes ont essayé de réfléchir avec moi sur des possibilités techniques pour les maintenir. »
Edwige Armand, sur son expérience de collaboration avec Artilect
Si ce langage corporel intime déclenche chez vous un certain émoi, allez le compléter avec la vision plus physique du mouvement exprimé juste à côté par la sculpture cinétique Sans Objet d’Aurélien Bory.
Une autre symbolisation du vivant s’exprimant cette fois dans l’alliance d’une machine robotique programmée et des mouvements aléatoires d’une matière brute, une bâche plastique exhibant ses atours drapés sur fond de mécanique sonore amplifiée.
Et oui, la machine est bien vivante. Mais ça, nous nous en étions déjà aperçus.
«Prosopopées, quand les objets prennent vie», dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques, Paris-Ile-de-France, jusqu’au 31/01/16, 104, les mercredis, jeudis, samedis et dimanches de 14h à 19h, et, du 19/12/15 au 3/01/16, du mardi au dimanche de 14h à 19h, fermeture les 25/12 et 1/01, entrée de 4 € (abonnés, adhérents) à 9 €.