Termatière, projet de coopérative de valorisation de déchets agricoles en matériaux 100% bio-sourcés, issu d’une approche résolument maker, poursuit son chemin sur l’autoroute de l’entrepreneuriat, entre voie rapide et voie lente.
Un petit coup de blizzard
En ce début d’hiver, l’équipe de Termatière a fait l’expérience d’un coup de blizzard. Quelques vents semant le doute et une visibilité réduite, c’était bel et bien notre météo-projet de début novembre. Et oui, il y a des moments comme ça où l’on ressent qu’il y a un truc qui cloche, nous empêchant de voir loin. Comme un pépin de raisin coincé dans la mécanique, comme un goût de bouchon dans Termatière.
Je me suis presque inquiétée de ne pas avoir vu ces failles plus tôt, mais apparemment, tout est normal, il s’agit là d’un phénomène bien connu des porteurs de projet, couramment appelé « la tête dans le guidon ».
Pour en arriver à cette prise de conscience, il a fallu quelques épisodes. Le premier est intervenu au Sitevi, le salon international des équipements et savoir-faire pour les productions vigne-vin, olive, fruits et légumes à Montpellier, qui réunissait du 24 au 26 novembre l’ensemble des différents acteurs de la filière viticole. Par chance, nous partagions le stand Recherche & Innovation de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) pour exposer nos échantillons de matériaux faits maison. Trois jours de pitchs dans le costume de commerciaux, face à nos futurs clients, partenaires, voire financeurs. Parmi les retours enthousiastes et encourageants, quelques questions nous sont restées en tête car difficiles pour nous d’y répondre clairement…
Suite à une intensive réunion de travail avec le cabinet de conseil qui nous coache dans la réalisation d’une étude de faisabilité commerciale, second déclic : les plans d’actions commerciales suggérés nous font comprendre qu’un truc bugue dans notre modèle économique, nous orientant là où l’on ne voulait pas, loin de nos valeurs.
A ce moment-là, on avait plus de questions que de réponses. No panic. Deux heures de tableau Velleda plus tard, Stéphane et moi, seuls dans notre coin, retournions Termatière, en essayant de revenir à l’essentiel et à notre motivation première, celle qui résume notre idéologie : trouver des alternatives aux ressources fossiles, via la valorisation de déchets agricoles, pour concevoir les matériaux de demain, avec une approche territoriale et une gestion circulaire des ressources, profitable aux populations locales.
A l’heure où j’écris ces lignes, il manque une brique au modèle économique de Termatière version novembre 2015. Mais c’est bien ça qui rend le jeu de la création de start-up si rigolo : essuyer les plate-bandes et imaginer des circuits de valeur pas encore explorés, pour innover dans le fond mais aussi dans la forme ! Nos « clients de cœur », ceux pour qui nous voulons travailler, les agriculteurs, se trouvent à nouveau au bon endroit : au centre du projet, partenaires et bénéficiaires. Prochaines étapes : lean canvas, business model canvas, et autres outils bien utiles pour tester des hypothèses sur notre fameuse dernière brique.
And the winner is…
Rien de tel que de participer à des concours pour confronter ses idées, pour se faire rembarrer (ou plébisciter !) par un redoutable jury expérimenté et très souvent bienveillant, histoire de réorienter son projet à temps ou bien de conforter sereinement ses choix. Et puis participer c’est bien, mais quand on cherche des sous, gagner c’est encore mieux. Termatière termine sur le podium, heureux finaliste du concours régional de création d’entreprise innovante Coup de Pousse. Le gros chèque nous est passé sous le nez à trois cheveux, certes, mais l’important est aussi ailleurs : le réseau. Et sur ce point, essai transformé.
D’autant plus que les bonnes nouvelles se sont vite enchaînées, avec un double prix au concours Cré’Acc, où Termatière est désigné lauréat « Jeune de moins de 30 ans » et en superbonus, « Coup de cœur du jury » ! De quoi se remettre au travail de bonne humeur.
Dans la peau d’un couteau-suisse
Ces derniers mois, j’ai carrément oublié par moments que j’étais designer. Dessiner des canapés n’est pas tellement mon dada initial, mais tripoter des matières et bricoler des échantillons à torturer sous le feu, sous la pluie, sous ma semelle de chaussure pour savoir ce qu’ils ont dans le ventre, ça oui. Je suis devenue couteau-suisse au fil du temps : commerciale, gestionnaire, apprentie-comptable, secrétaire et j’en passe.
Mais bientôt, je vais devoir ressortir les crayons et gribouiller les plans de nos prototypes de caisses de vin, fabriquées avec notre nouveau matériau by Termatière + INRA + SupAgro : un bois composite à base de sarment, 100% bio-sourcé. Aujourd’hui en France, dix millions de caisses de vin sont fabriquées chaque année, principalement en Gironde, en pin maritime. Une ressource pour moitié importée, pour autre moitié sciée expressément… Et ce sont chaque année plus d’un million et demi de tonnes de sarments de vignes qui sont brûlées ou broyées par les viticulteurs, en dépit des qualités exceptionnelles de ce bois. Cherchez l’erreur.
Récréation au Caveau d’Héraclès
Et parce que Termatière souhaite aussi contribuer à la promotion des matériaux locaux, auprès de tout public, nous avons co-animé avec le collectif d’artistes Polysyrène un atelier « gribouilles à la lie de vin » avec de jeunes artistes en herbe, au beau milieu de la cave coopérative d’Aigues-Vives. Après une visite de la cave, quelques explications sur la fabrication du vin et sur mon travail de designer de matériaux issus de déchets agricoles, les enfants ont retroussé leurs manches pour créer une œuvre collective.
Il s’agissait de réinterpréter la fresque décorant le Caveau et d’imaginer comment on ferait du vin dans le futur. Entre robots humanoïdes pressant le raisin dans leurs redoutables mâchoires, vignes géantes à cause du réchauffement climatique, tuyaux dans tous les sens, aspirateurs à vendanger, les petits peintres ont trouvé rigolo de dessiner avec un liquide rose à l’odeur étrange, odeur qui a dissuadé certains d’y tremper les lèvres. Bref, une récréation agréable, entre un tableur Excel et un dossier administratif.
Retrouvez les précédentes chroniques d’une makeuse en matériaux