Que font des musiciens dans un fablab? BrutPop, qui poursuit sa route de création d’instruments accessibles, pas chers, et à destination d’un public d’handicapés mentaux, est passé par le Fablab Drôme à Crest.
Crest (Drôme), envoyé spécial
Pas besoin d’être musicien pour trouver que la série de guitares accrochées au mur d’entrée du Fablab Drôme (aussi appelé le 8) à Crest, a quelque chose d’insolite. Avec leur corde en métal unique et leur caisse en bois aux allures de planche toute simple, elles rappellent l’instrumentarium DiY des Congolais de Konono N°1, même si on devine l’évolution notable qui les caractérise.
Car, du premier prototype à la version finale, à la structure mieux définie et visiblement plus résistante, on peut noter les différentes étapes de fabrication d’un bien intrigant projet, mené par le duo de musiciens Antoine Capet et David Lemoine au sein du 8, pour concevoir une série d’instruments accessibles et pas chers à destination d’un public de musiciens amateurs en situation de handicap mental.
BrutPop au Freakshow
Petit retour en arrière : il y a quelques mois, dans le cadre du festival rock voisin Freakshow, les musiciens Antoine Capet et David Lemoine (par ailleurs chanteur du groupe Cheveu), présentent en compagnie du groupe Family Percus, un ensemble musical de cinq jeunes autistes et handicapés mentaux, la restitution d’un atelier de composition musicale mené en commun au sein de leur projet BrutPop.
« On voulait monter un projet musical avec des personnes handicapées autour d’une thématique un peu art brut », explique Stéphane Collin de l’association Gigors Electric, structure porteuse du Freakshow. « Cheveu venant jouer à notre festival [en 2014, ndlr], on en a parlé avec David car il travaillait déjà avec Antoine Capet autour d’un projet baptisé Atelier Méditerranée avec de jeunes autistes. On a parallèlement découvert l’existence d’un groupe de musiciens local, composé de jeunes handicapés résidents à l’association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) de Crest, les Family Percus. Tout était donc réuni pour qu’on lance le dossier afin de préparer un projet musical pour l’édition 2015 du festival. »
De fil en aiguille, celui-ci prend forme. Mais un point fait vite débat : quels instruments trouver, suffisamment bon marché et faciles d’utilisation, pour un groupe de musiciens en situation de handicap ? « Antoine Capet est venu nous voir et nous a parlé de la BrutBox, un instrument modulaire conçu au fablab de Marseille, poursuit Stéphane Collin. Il voulait développer de nouveaux instruments, jouables par des personnes avec des difficultés motrices et peu chers, pour pouvoir les diffuser facilement. On s’est dit qu’on avait la solution avec l’équipe du fablab de Crest. »
Ingénieurs acousticiens, électroniciens, designer, hackers…
Toute une équipe a donc été réunie au sein du Fablab Drôme par sa directrice Carole Thourigny, emballée par le projet, avec l’idée de créer avec les BrutPop des instruments s’inspirant des guitares et des kalimbas faites main africaines : « Il fallait trouver des gens qui avaient la compétence d’utiliser nos machines de découpe 3D et de fraiseuse numérique (la fameuse Shopbot) et capables aussi de créer des instruments répondant à la demande de faire un produit bon marché et accessible. On a donc décidé de mener un atelier de cinq jours pour lequel des ingénieurs acousticiens, des électroniciens et un designer ont répondu présents ». D’autres forces vives ont été associées, comme le LoAD, le hackerspace de Valence, qui a conçu à partir du Monotron, un petit synthétiseur-jouet, le Gronotron, version plus grande avec des potards plus gros et donc plus simples à manipuler.
« Tout le monde a joué le jeu », se réjouit Carole Thourigny en montrant les premiers instruments créés, de multiples guitares, à une, trois et quatre cordes, des micros adaptables, mais aussi des pianos à pouce et bien sûr le fameux Gronotron. « Et ce n’est pas fini, car on continue encore maintenant d’expérimenter. On veut ouvrir le projet à d’autres équipes, médicales, associatives, et à d’autres fablabs. Nous préparons la diffusion de tous les plans de fabrication en open source. En achetant une plaque en bois de 50 euros, chacun pourra se rendre dans son fablab. »
D’autres étapes sont prévues dans ce work in progress. Dans le cadre d’une carte blanche au duo BrutPop au début du mois de décembre à la Gaîté lyrique, une table ronde évoquera le projet à Paris. Les deux musiciens en profiteront pour inviter qui veut à faire son propre morceau, avec une sélection de ces instruments, dans un studio portatif spécialement dédié. Avis aux amateurs d’expérimentations lab musicales !
Carte blanche BrutPop à la Gaîté Lyrique, du 10 au 13 décembre