Pourquoi le MIT coorganise un hackathon au Brésil
Publié le 26 octobre 2015 par Fabien Eychenne
La hackathonmania s’inspire des makers pour ouvrir l’innovation lors de marathons de l’innovation. Au Brésil, Natura, leader des cosmétiques naturels, organisait cet été le sien avec le Medialab du MIT. Décryptage d’une méthode.
São Paulo, de notre correspondant (texte et photos)
C’est devenu la tarte à la crème de l’innovation. Le hackathon, makethon voire createthon (sic) fait désormais partie des stratégies d’entreprise. La hackathonmania s’incarne en entreprise pour accélérer l’innovation, à l’armée, et jusqu’aux dorures de la République. A l’origine, les hackathons étaient portés par les communautés du libre et de l’open source dans un souci de partage et de co-création. Le modèle s’est répandu jusqu’à être perverti pour capter et privatiser de l’intelligence collective en échange de visibilité, d’un prix, voire de monnaie sonnante et trébuchante.
Makery a voulu décortiquer la méthode hackathon, qui mélange institutions prestigieuses et codeurs amateurs, pour le meilleur et pour le pire. Natura, leader des cosmétiques d’origine naturelle au Brésil, organisait à São Paulo un makethon interne à la fin de l’été pour développer de nouveaux produits. Coorganisé par le prestigieux Medialab du MIT et le cabinet de designers IDEO dans un lab temporaire suréquipé, ce makethon était encadré par une équipe d’étudiants du Medialab.
Les makethons, dédiés au développement rapide de prototypes tangibles, ne sont pas seulement équipés d’ordinateurs mais également de machines, d’électronique et d’outils de prototypage à l’instar de ce que l’on pourrait trouver dans un fablab ou un makerspace. Pour cette collaboration avec le Medialab, Natura a organisé un sprint d’une semaine en mode fablab avec huit étudiants du Medialab comme fabmanagers.
D’après Fabiana Tarabal, coordinatrice de ce makethon chez Natura, cet évènement était « l’occasion d’approfondir le travail d’innovation ouverte que nous menons depuis plusieurs années. Nous avons 200 chercheurs chez Natura, mais nous savons qu’il y a forcément plus d’intelligence hors de nos murs. Dès que nous développons certains nouveaux projets, nous nous appuyons sur notre réseau d’universités, d’entreprises et de start-ups pour collaborer avec elles. Le Medialab du MIT est un de nos partenaires depuis plusieurs années ».
Objectif affiché : explorer les possibilités offertes par les nouvelles technologies en relation avec l’usage des cosmétiques, puisque « l’application d’un bâton de rouge à lèvres n’a presque pas changé depuis l’Egypte antique». Et la question posée aux participants était ainsi formulée : « Peut-on innover dans l’expérience utilisateur des cosmétiques ? »
Natura a sélectionné huit porteurs de projet, invités dans les bureaux de Natura à São Paulo durant 6 jours pour développer leurs idées de façon très intensive. Ari Adler, ancien du Medialab qui travaille pour le cabinet de design IDEO, a encadré les étudiants brésiliens et ceux du Medialab pour qu’ils s’imprègnent de la culture Natura, qu’ils comprennent la problématique en menant des interviews de salariés et surtout, qu’ils rencontrent des utilisateurs des produits.
Une immersion de trois jours « particulièrement utile pour tous les groupes », avance Carol Rozendo, l’une des étudiantes sélectionnées. « Elle nous a permis de prendre conscience des enjeux, des envies des utilisateurs, de rencontrer les étudiants du MIT… Mais nous avons quasiment tout jeté ou énormément modifié les idées avec lesquelles nous avions été sélectionnés… »
Le client est roi… du proto
La place des utilisateurs a été centrale, qui sont intervenus à plusieurs reprises pour raconter leurs pratiques, manipuler les prototypes et offrir du feed-back. Pour Fabiana Tarabal, « cette manière d’itérer est connue dans le monde du software, peu dans le monde des cosmétiques. Nous nous appuyons sur les utilisateurs en amont puis lors de groupes focus, mais les avoir tout le long du prototypage du produit, c’est nouveau pour nous ».
En deuxième partie du makethon Natura, les équipes formées d’un porteur de projet brésilien, d’un étudiant du Medialab et des experts de Natura ont eu 72 heures pour prototyper de façon intensive au sein d’un fablab temporaire avec cuisine et espace pour dormir, ou du moins, se reposer… Pour Joe Paradiso, directeur du laboratoire du MIT Things that Think qui accompagnait le makethon, le mantra était simple : « Tout est question de prototype » (It’s all about prototype).
Isa Sobrinho, l’une des participantes, résume : « On nous demandait de réaliser des prototypes physiques extrêmement simples pour valider chaque concept, chaque idée, et de là, si ces concepts étaient validés, on les approfondissait en développant encore de nouveaux prototypes. Se retrouver à travailler avec ces personnes du MIT aussi compétentes est presque terrifiant, mais tout avance très vite. »
Les étudiants du Medialab disposent de facto de connaissances très élevées aussi bien en électronique qu’en programmation, dans l’usage de machines à commande numérique mais également en prototypage plus classique à base de pistolets à colle, LEGO, découpe et assemblage de carton. Pour Gershon Dublon, étudiant au Medialab, « c’est une chance pour nous de travailler dans un environnement différent de nos labs du MIT, de rencontrer de nouvelles personnes et de sortir de nos problématiques quotidiennes ».
Durant ces trois dernières journées, les équipes n’ont eu que peu d’heures de sommeil, enchaînant les créations pour les présenter aux utilisateurs, demander l’avis des professionnels de Natura sur les formulations, les produits possibles et les règles à respecter. Ari Adler passait de groupe en groupe pour débloquer certaines situations.
Un prix pas cosmétique…
L’ultime présentation s’est déroulée devant plusieurs directeurs du groupe qui ont évalué et choisi les lauréats. Les deux sélectionnés ont été invités à poursuivre leur projet au sein du Medialab durant cinq mois, Natura prenant en charge tous les frais. Trois autres projets sont aujourd’hui développés au sein de Natura dans des logiques d’innovation ouverte. Les étudiants qui en sont à l’origine restent consultants.
Étonnamment, les projets sélectionnés pour le Medialab ne sont ni la propriété de Natura, ni celle des étudiants. La propriété intellectuelle est gérée par le Medialab qui offre aux membres de son consortium l’utilisation des brevets déposés pour une certaine période sans frais. Les LEGO Mindstorm sont issus de ce système.
Pour Fabiana Tarabal, responsable de l’innovation chez Natura, ce type d’évènement « invente de nouvelles façons de travailler pour les grandes entreprises, bien plus agiles, mais qui posent aussi de nombreuses questions de nouvelle culture. Faire comprendre que le prototype moche et pas abouti de cette semaine sera différent la semaine prochaine au lieu de six mois après, c’est un challenge tout autant pour les décideurs que les équipes qui ne voudraient pas les montrer ».