Le festival MoveOn-Werkleitz, en ce moment à Halle en Allemagne, célèbre les 20 ans du programme Emare de résidences d’artistes en médialabs. Et bouscule les habitudes en invitant les migrants.
Halle, envoyé spécial
Alors que l’Allemagne venait d’être réunifiée, au début des années 1990, une communauté d’étudiants monte à Werkleitz, petit village sur la rivière Salle, en ex-République démocratique allemande (RDA), un festival dédié au cinéma expérimental et aux nouvelles formes d’art multimédia. Le festival Werkleitz, fort du succès et de la création, il y a tout juste 20 ans, du réseau européen de coopération culturelle European Media Art Network et son programme d’échange d’artistes en résidence Emare (European Media Artists in Residence Exchange), s’installait quelques années plus tard à Halle, en Saxe-Anhalt (231 000 habitants).
European Media Art Network
Pour célébrer les 20 ans de ce réseau soutenu de longue date par le programme culture de l’Union européenne, le festival rassemblait cette année des artistes et médialabs européens (Bandits-Mages pour la France, Impakt pour les Pays-Bas, FACT pour la Grande-Bretagne et en partenaire associé, la Transmediale de Berlin), canadiens (PRIM et Oboro de Montréal, Images Festival de Toronto) et australiens (Experimenta de Melbourne, Creativity and Cognition Studios de Sydney, le Cube et le Block de de l’université de technologie du Queensland de Brisbane). Sans oublier une belle sélection d’installations et performances produites ces deux dernières années par le réseau.
L’ouverture aux réfugiés
Le 9 octobre, la soirée d’ouverture du festival a rappelé le souffle de liberté des squats et clubs à la chute du mur, grâce à la présence de dizaines de jeunes réfugiés turcs, kurdes et syriens, installés depuis peu dans les hôtels de la ville. Avaient décidé de les inviter le directeur de Werkleitz, Peter Zorn, et les artistes Christoph Wachter et Mathias Jud, qui, à la faveur d’une résidence Emare, ont réalisé un projet documentaire sur les migrants abordant les côtes australiennes.
La soirée techno a été littéralement envahie par ces « aliens » joyeux qui ont retourné le dancefloor avec leurs battles de danse acrobatique sur du hip hop, de la techno et de l’electrochaâbi, la bande-son de la révolution égyptienne, jouée de manière appropriée par DJ PopHop.
Dans l’après-midi du 10 septembre, 48 hommes, femmes et enfants ont atteint l’île de Lesbos sur un bateau pneumatique de 10 mètres de long et 2 mètres de large. Cette embarcation, le Suisse Christoph Wachter et l’Allemand Mathias Jud l’ont rapportée à Halle, ville d’accueil de nombreux réfugiés, tout en conviant les migrants à témoigner de leur périple au Werkleitz. L’image qui restera dans les mémoires est celle de ces jeunes de 20 ans hilares sautant sur le bateau pneumatique comme sur un trampoline et s’affrontant dans des battles de danse. Une soirée défouloir éphémère pour oublier une condition bien plus rude.
« Capital of the World », titraient les artistes Wachter et Jud pour exprimer le rêve d’avènement d’une cité offrant un havre de paix mondial aux réfugiés victimes des conflits militaires et autres dérèglements climatiques.
Mobilisation face au Partenariat transatlantique
Autre temps fort du week-end d’ouverture, dans une Allemagne vivant décidément réellement en 2015 : la mobilisation massive contre le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis (TTIP) le 10 octobre à Berlin. Kristoffer Gansing, directeur du festival Transmediale, a appelé les partenaires du réseau, représentatifs des pays concernés, à manifester leur désapprobation sur la teneur des négociations en cours et à rejoindre une coalition militante des acteurs de la culture numérique contre le TTIP. Les membres du réseau se sont dit d’accord pour poursuivre ces discussions.
Les fruits des médialabs
En occupant un bâtiment en ruines, Werkleitz permet à l’art de sortir de la White Box pour confronter passé et futur dans une sorte de machine à explorer le temps. Sounding the Future de Gail Priest invite à naviguer dans les futurs de la science-fiction aux manettes d’une capsule sonore ; Astro Black: Jungle Are Forever du duo Soda_Jerk revisite à l’aide de mash-ups hilarants de séries B SF l’afrofuturisme des années 1970, la culture hip-hop des années 1980 et jungle des années 1990 ; Lauren Moffatt documente en Oculus Rift le lieu historique des mobilisations ouvrières contre la politique de Margaret Thatcher dans les années 1980, le Unemployed and Trade Union Services Centre de Liverpool. Des propositions qui collent parfaitement à la théma 2015 du festival, MoveOn, qui invite à se changer soi-même pour changer les choses.