Le drôle de travail du chapeau de Peter William Holden
Publié le 12 octobre 2015 par Laurent Catala
L’artiste bricodeur Peter William Holden dévoile les rouages de ses dispositifs mêlant ingénierie de l’illusion et art du mouvement corporel avec sa nouvelle chorégraphie robotique, «Critical Mass».
Artiste d’origine anglaise basé à Leipzig, Peter William Holden développe des installations robotiques où se devinent derrière des habillages ludiques un questionnement esthétique et plastique des gestes et des comportements physiques humains. Présentées ces dernières années dans de nombreux festivals tels l’Ars Electronica (Linz), Via (Maubeuge) ou encore Exit (Créteil), ses installations Autogene (et son ballet circulaire de parapluies s’ouvrant et se fermant sans cesse), Arabesque (avec sa cohorte de bras et de jambes s’emballant dans des frénésies mutantes), ou Solenoid (véritable orchestre rotatif de chaussures de claquettes claudicantes), traduisent au mieux une vision hybride assez singulière.
«Autogene», William Peter Holden, «animation physique», 2005:
Illusion poétique
Comme beaucoup d’artistes numériques de sa génération (il a 44 ans), PW Holden a grandi à la fois avec un esprit Do It Yourself hérité de la culture punk et une science accrue de la récupération et du détournement des matériaux imposée par leur coût. Mais chez lui, cette approche « bricodeuse » se double d’un étrange procédé de prévisualisation poétique de ses pièces, prenant d’abord forme dans son esprit.
« Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai commencé à “construire”, mais seulement dans mon esprit, des sculptures mobiles », raconte-t-il. « C’était très stimulant mais les compétences techniques me faisaient défaut pour les réaliser concrètement. C’est pour remédier à cela que j’ai commencé à suivre à l’université des cours d’ingénierie, de design et de programmation informatique. »
« A la base, beaucoup de mes idées m’ont été inspirées par des situations de jeu ou même par de simples rêveries. Par exemple pour Autogene, le fait d’observer, un jour pluvieux, les gens qui ouvraient tous progressivement leurs parapluies. Je me rappelle m’être arrêté et avoir imaginé une armée de parapluies s’ouvrant, puis se fermant, puis s’ouvrant encore. Le fait de visualiser dans mon esprit ces séquences abstraites, formées à partir de ce flux grossissant de parapluies autour de moi, était très stimulant. »
Dans sa méthodologie, PW Holden réfléchit ensuite à la façon de créer des dispositifs pouvant reproduire ces prévisualisations sans perdre leur côté illusoire.
« Pour moi, l’illusion réside justement dans le fait de dépasser les aspects technologiques », insiste-t-il. « Il s’agit de les rendre hors de propos, de les réduire à un simple outillage, utilisé pour la seule révélation d’une dimension artistique et conceptuelle. »
« D’une certaine façon, mes pièces correspondent à une sorte d’inversion du travail habituel d’ingénierie. Les solutions mécaniques ne sont trouvées que pour accentuer la recherche visuelle, beaucoup plus abstraite, qui délimite les contours du concept de l’installation. »
Peter William Holden
Chorégraphie de chapeaux aériens
Dans Critical Mass, sa toute nouvelle installation, le principe de chorégraphie robotique met en scène une escouade de chapeaux aux airs de ballet aérien.
«Critical Mass», William Peter Holden, 2015:
« Tout mon travail tourne autour du corps humain, que la relation soit directement induite par des éléments corporels ou indirectement par des objets qui sont généralement portés ou tenus et qui du coup peuvent être considérés comme des extensions du corps », explique Holden.
« Les chapeaux sont dans ce cadre des objets que je trouve particulièrement pertinents, à la fois beaux et emblématiques. J’aime par exemple la très belle utilisation qu’en fait Hans Richter dans son film Ghosts Before Breakfast (un court-métrage dadaïste de 1927), ou l’image que renvoie J. Robert Oppenheimer quand il porte un Fedora. Encore une fois, mes projets partent d’une image fixée dans mon esprit, et c’est aussi le cas pour Critical Mass où j’avais en tête un escadron de chapeaux volants ».
Pour concevoir un dispositif susceptible de faire voler des chapeaux en formation serrée, Peter William Holden a immédiatement pensé pour le prototype de sa pièce à utiliser des robots industriels Delta.
« Ils offrent justement cette grande précision de mouvement, c’était le point de départ, confirme-t-il. Malheureusement, les robots Delta sont extrêmement chers et nécessitent des contrôleurs assez compliqués. Mais l’art a un avantage sur la technique : l’art peut se contenter de faire fonctionner un dispositif sur un simple principe d’illusion. Je me suis rendu compte que je pouvais recréer des robots Delta sans les servomoteurs et les contrôleurs complexes, en utilisant simplement des cylindres à air comprimé standard, des valves classiques et un contrôleur tout simple. Avec cette technologie accessible, je pouvais toujours exprimer toute la gamme des mouvements souhaités en sacrifiant seulement tous ceux liés aux positions stationnaires. »
Le premier pas d’un making-of qui a bien sûr réservé d’autres surprises (grincements de joints, tiges de fibre de verre qui se tordent de manière incontrôlée, etc.). Mais ça, tous les artistes en savent quelque chose…