Pourquoi la mairie de Colombes transforme la ferme R-Urban en parking
Publié le 15 septembre 2015 par Elsa Ferreira
A deux mois de la COP21, l’annonce fait tache: la mairie de Colombes défait R-Urban… et veut transformer l’espace d’agriculture urbaine en parking. L’Agrocité, sa recyclerie, son école du compost et ses ateliers de récup’ ont pourtant prouvé l’intérêt d’une économie résiliente…
« Si on m’avait dit qu’on remplacerait l’Agrocité par une crèche, j’aurais eu moins mal au cœur », dit Catherine Béhague, habitante de Colombes dans les Hauts-de-Seine, qui vient presque tous les jours, souvent accompagnée de sa fille. Voir son « coin à elle » disparaître sous des places de parking, « ça me fait flipper », avoue-t-elle. « Ma femme, c’est pareil », enchaîne Jean-Claude Prévot, la soixantaine et la verve d’un ancien syndicaliste.
Ces deux Colombiens commentent les dernières (mauvaises) nouvelles autour du projet R-Urban (pour rural urbain), une ferme en ville, un espace de coworking et d’éducation au compost lancé en 2008 par l’Atelier d’Architecture Autogérée (AAA) et soutenu par le programme environnemental Life+ de l’Union européenne. Et que la nouvelle municipalité de droite a décidé de lâcher, pour un obscur projet de parking (éphémère). Le bail arrive à son terme fin septembre.
A l’Agrocité, « au pied de la tour la plus haute », indique Constantin Petcou, designer social et co-créateur du projet, on récolte carottes et courges, eaux grises et eau de pluie. Il y a aussi des ateliers récup’ où l’on fabrique des objets et une cantine, une fois par semaine. L’Agrocité est loin de l’autosuffisance, mais son but est d’abord de créer un réseau et des opportunités pour adapter son mode de vie à la résilience urbaine.
L’Agrocité dans son environnement urbain. © Elsa Ferreira
Connecter les réseaux de résilience urbaine
« Il y a les Amap, les recycleries, l’habitat partagé… C’est très bien mais chacun est dans son réseau alors que les problématiques sont connectées. SI les gens viennent ici pour jardiner, pour des débats, des projections, pour faire la cuisine, ils habitent tous dans des appartements avec des machines à laver, leurs bagnoles, leurs télés… C’est très consumériste, ça consomme de l’énergie, et la plupart travaillent dans l’économie ultralibérale qu’ils ont critiquée la veille. » Constantin Petcou et Dounia Petrescu ont donc voulu, à travers R-Urban, « créer un mouvement de résilience urbaine porté par ses habitants », explique-t-il.
A quelques pas de l’Agrocité, ils ont créé le Recyclab, avec une recyclerie, un atelier professionnel, un espace de coworking et un espace de résidence pour designers, architectes ou urbanistes de passage. Au sein de l’Agrocité s’est développée l’École du compost, un « collectif de cuisine » et une ruche (partie sous la menace des travaux). Des emplois partiels, mais résilients.
Il aurait aussi dû y avoir une unité résidentielle, l’Ecohab, à quelques pas de là. Le terrain était trouvé, l’accord de principe signé avec l’ancienne municipalité (PS). Mais la nouvelle municipalité (LR), élue en mars 2014, n’entérinera pas le projet. Le terrain est toujours en friche.
Projets flous et parking temporaire
R-Urban n’a pas convaincu les élus locaux. Samuel Metias, adjoint au maire chargé du développement durable, des espaces verts et de la propreté, donne la priorité à la rénovation urbaine de « ce quartier sensible et difficile » de Colombes (85 000 habitants) : d’ici 2023, un tram devrait arriver dans une bande adjacente au terrain de l’Agrocité, la construction d’immeubles et de commerces sur la parcelle occupée par R-Urban devrait le précéder. Difficile néanmoins d’obtenir plus de précisions sur le projet.
En attendant, la mairie assure avoir besoin du terrain pour y emménager un parking temporaire, en remplacement d’un autre qui doit être fermé le temps de travaux. L’Agrocité, elle, doit dégager le terrain… sans aucun point de chute.
« J’ai fait tout ce qui est humainement et honnêtement possible pour un élu pour essayer de trouver une solution », se défend Samuel Metias, qui explique s’être adressé au département, à la région et même à la secrétaire d’État en charge du développement durable. En vain.
De leur côté, les membres de R-Urban ont cartographié les terrains disponibles alentour. En vain aussi. « On a repéré 25 terrains qui concernent la mairie. Nous avons reçu une réponse incomplète », assure Constantin Petcou.
Entre l’association et la mairie, le dialogue semble impossible. La municipalité « ne remet pas en cause l’intérêt du projet, assure Samuel Métias. Il est intéressant dans le sens où il permet d’éduquer à l’écologie et au développement durable. Il a vraiment été très porteur au niveau international et ça a fait beaucoup de bruit partout. Mais au niveau des Colombiens, ça n’a pas été à la hauteur de l’impact qu’on aurait pu espérer, même s’il y a des Colombiens investis, je ne peux pas dire le contraire. »
«Il y a de l’amitié, des discussions…»
« Il y a une centaine de personnes qui amènent leurs déchets ici », rétorque Yvon Pradier, « maître composteur » à l’École du compost. « Déjà, j’ai appris à jardiner, riposte Catherine. Et puis on est nombreux, il y a de l’amitié, des discussions, du partage d’idées, de savoir-faire, de cultures. »
Depuis que Catherine vient à l’Agrocité, elle s’est mise au tri et parle politique urbaine. « La différence de ce projet, c’est qu’il n’est pas implanté dans un quartier créatif, remarque Gabriel Wulff, doctorant en agriculture urbaine. C’est plus ambitieux et plus risqué que de prêcher les convertis. Le vocabulaire des utilisateurs a changé, ils parlent de politique de l’espace, cherchent des manières de vivre différemment, ils s’investissent. Ils connaissent l’énergie demandée pour faire pousser une tomate et font attention aux légumes de saison. »
Séoul, Montréal, Londres… et Colombes ?
Restera, restera pas ? Constantin espère encore trouver un terrain d’entente avec la mairie. Et envisage de se tourner vers les institutions européennes. Les municipalités de Séoul, Montréal, Berlin se sont montrées intéressées et un projet a été co-développé à Londres.
Tant mieux, multiplier les mouvements locaux pour adresser un problème global, c’est aussi le but de R-Urban. Mais Constantin voudrait garder ce projet à Colombes ou ses alentours : « Ce ne sont pas que des équipements physiques que l’on a créés. Ce sont des dynamiques de résilience participatives avec des porteurs de projets locaux. On essaie de sauver ça avec eux. »
Signer la pétition pour soutenir le projet R-Urban
R-Urban Day #3 (ateliers upcycling, repair café, expo, barbecue…), le 26 septembre de 11h à 16h