A Lyon, le jardin pirate mobilise ses troupes de voisins
Publié le 28 juillet 2015 par Elsa Ferreira
C’est une maison bleue adossée à la colline. La porte était ouverte, la maison vide. Le propriétaire, la ville de Lyon, n’avait pas trouvé quoi en faire, les voisins l’ont transformée en maison de quartier et jardin utopique. Et se sont faits expulser…
Lyon, envoyée spéciale
Il y a encore quelques mois, il faisait bon vivre au 33 bis rue du Bon Pasteur, dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon. Achetée en décembre 2012 par la ville de Lyon, cette ancienne fabrique de casquettes avait été laissée vide – squattée à l’occasion par des fêtards nomades. Arthur Jollet et ses comparses de la Ruche en ont fait leur QG. Depuis juin 2014, la maison était devenue un squat associatif : avec ses 300 m2, ses 1700 m2 de jardin et sa terrasse au vert, elle accueillait les habitants qui y donnaient des cours, en recevaient et profitaient de quelques évènements organisés avec les partenaires locaux, ateliers de yoga, cours de langues étrangères ou formations sur la sécurité en ligne (avec le hackerspace lyonnais LOL). Gratuit ou à prix libre.
Seulement voilà : les quelque 220 adhérents de la Ruche ont beau être sympathiques, ils sont aussi dans l’illégalité – une occupation sans droit ni titre. Le 2 juin, au petit matin, la mairie de Lyon est venue déloger les révolutionnaires du quartier de la Croix-Rousse. Une expulsion « en fanfare », décrit Arthur Jollet, de la Ruche : CRS, police municipale et quelques entreprises s’assurent que personne ne réinvestira les lieux. Les ouvertures sont murées, une alarme installée, les systèmes d’électricité et d’eau brisés, une tranchée est creusée.
Pas de quartier pour les squatteurs
« Les moyens étaient disproportionnés », regrette Arthur Jollet qui précise au passage que les forces de l’ordre « sont arrivées dans une maison vide et propre ». Le 4 mai, le noyau dur de l’association qui vivait dans la maison avait quitté les lieux – la veille de l’entrée en vigueur de la décision de justice. Les membres de la Ruche étaient dans un esprit de conciliation, insiste-t-il : « Les évènements se font en petit comité, finissent à 22h au plus tard et on ne sert que du thé glacé, du jus de gingembre et des gâteaux maisons. » Depuis octobre, en preuve de bonne foi et en application d’un arrêté municipal, La Ruche n’accueillait plus le grand public dans la maison.
Vacances estivales obligent, personne à la Mairie n’est disponible pour s’exprimer sur le sujet. Mais la ligne officielle est connue : on ne négocie pas avec les squatteurs. Pendant un an, le dialogue entre l’association et la Mairie a été inexistant. Un des arguments avancés par la mairie PS : le lieu pourrait être dangereux. « L’argument est recevable, concède Arthur. Mais ça n’explique pas la fermeture des négociations. » Un extrait de l’acte de vente de l’immeuble contredit d’ailleurs la version municipale (voir ci-dessous). Quant au jardin, s’il est bien situé dans une zone à risque, c’est une caractéristique commune à tout le quartier, construit sur des balmes, ces coteaux escarpés qui sont la signature historique des quartiers de Fourvière et de la Croix-Rousse. Les analyses des sols sont en route et devraient être rendues à la fin de l’année.
Les habitants reprennent le pouvoir
Du côté des habitants, la déception est à la taille de l’engouement qu’a suscité le projet. Une pétition pour soutenir la Ruche et le jardin a récolté près de 4000 signatures – « plus que le nombre de voix obtenues par le maire dans le 1er arrondissement », nargue Arthur. « Les voisins étaient tellement emballés qu’ils harcelaient les élus à notre place », rigole-t-il. La mairie du 1er arrondissement soutient officiellement le projet – ceci dit, l’élue est une ex-PS, affiliée au Groupe de réflexion et d’actions métropolitaines (GRAM), allié au Front de gauche et au PC.
Du coup, le voisinage a repris le flambeau. Si la Ruche a décidé de la jouer pacifique, les habitants n’ont pas l’intention de lâcher leur lopin de terre partagé. Sur le jardin en friche attenant à la maison, ils ont formé en février le collectif les Pendarts. La fête de lancement a réuni près de 300 personnes.
Un jardin partagé et plus si…
En trois mois d’existence (ils se sont faits expulser deux fois et les jardins sont désormais accessibles seulement aux plus casse-cous), les « activistes jardiniers » n’ont pas eu le temps de mener à bien tous leurs projets. Mais déjà quelques tomates – plus chanceuses que les petits pois – ont poussé. « On voudrait faire un lieu de rencontre et de débats, explique Bruno Robert, habitant de la rue et membre du collectif. Pas seulement un jardin partagé mais un lieu où se poser des questions sociales, réfléchir et expérimenter de nouveaux modèles économiques. » En attendant, pour symboliser les nouveaux liens créés entre les habitants, ils ont lancé « l’opération fanion ».
Les squatteurs dehors, les négociations devraient pouvoir commencer. Le 15 juillet, pour la première fois, la Mairie a reçu des membres de la Ruche. Une mise à plat et une (petite) ouverture : une fois les analyses du sol réalisées, la Mairie devrait faire un appel à projet. La Ruche pourra alors se porter candidate.
Les Pendarts, eux, prévoient à la rentrée une troisième réouverture du jardin – l’occasion de discuter de l’avenir de leur projet. La Mairie sera invitée, mais que les élus soient prévenus : dans « le jardin des pirates », sur l’ancienne terre des Canuts, la parole est au peuple.