Bring Your Own Beamer, le radio-crochet des hackers de l’image
Publié le 21 avril 2015 par Elsa Ferreira
Samedi 18 avril au soir, au Jardin d’Alice de la caserne de Reuilly se tenait la soirée BYOB pour Bring your Own Beamer, entre hacking, happening et scène ouverte à des artistes travaillant l’image et le son. Makery y était.
Vous êtes sûrement passé devant une façade de resto estampillée BYOB (Bring your own beer). Ce samedi 18 avril, au Jardin d’Alice de l’ancienne caserne de Reuilly, la bière fournie l’est pour peu cher. Ce qu’on est censé apporter, c’est son beamer, en bon français son vidéoprojecteur. L’idée est simple : que chacun branche son projo et montre ses projets ! Simple, sauf pour Laurent Carlier, de l’association organisatrice Les Réseaux de la Création, qui court sans relâche à la recherche de matériel en alimentation électrique. C’est qu’une douzaine d’artistes venus avec vidéoprojecteur, ordi, synthétiseur, tables de mixage ou régie vidéo et installés dans une cinquantaine de mètres carrés, ça consomme. Et ça tient chaud.
150 villes BYOB
Le concept a été créé par l’artiste Rafaël Rozendaal à Berlin en 2010 : « BYOB, c’est une célébration du nouveau monde dans lequel nous vivons et un aperçu de ce que pourrait être l’informatique dans le futur », explique-t-il sur le site Byob Worldwide. Depuis, l’idée s’exporte un peu partout dans le monde. En Grèce et aux États-Unis pour les pionniers, puis dans près de 150 villes sur cinq continents. En France, Marseille et Paris ont organisé leur premier BYOB dès 2011, suivies par Grenoble l’année dernière.
La carte des BYOB à travers le monde :
Cette année, le collectif organisateur du festival de VJing Vision’R, Les Réseaux de la Création, rodé aux performances live vidéo, apporte sa pierre au mouvement. La scène ouverte du BYOB est l’occasion de fédérer un réseau d’artistes plutôt confidentiels, tout en établissant un « bon état des lieux », selon Laurent Carlier. « Il y a tous les styles et toutes les natures d’images. On manque presque de place, donc c’est plutôt encourageant. »
Le doute radical
Dans l’espace confiné au rez-de-chaussée du Jardin d’Alice, on rencontre notamment Dasein, collectif d’artistes habitués des scènes du Batofar, du Glazart ou de la Machine du Moulin Rouge. Ils sont venus présenter leur dernier projet, Pays sans visage, un film créé à partir d’archives de la catastrophe de Tchernobyl, de fictions post-apocalyptiques russes ou de films de l’armée américaine, qu’ils collectent depuis un an, en rajoutant en direct des effets grâce un synthétiseur modulaire vidéo. « On casse le photoréalisme de l’image pour arriver à quelque chose de purement plastique, explique Simon Girard. C’est un peu notre processus : avoir un nouveau regard sur l’image de base. »
« Pays sans visage », Dasein, bande-annonce, 2015 :
Ce soir, l’image vidéo est analysée sous tous ses angles, disséquée puis décryptée. Pour Joris Guibert, vidéaste plasticien occupé à distordre ses ondes vidéos sur un mur de télés empruntées au Emmaüs voisin, c’est le doute radical : « On ne sait pas si l’image vidéo est une image. Ce sont des réactions sur un tube cathodique, qui n’est rien d’autre qu’une ampoule de verre sur laquelle il y a du phosphore, une substance chimique qui réagit à chaque stimulation électrique et qui simule de la lumière. Il y a donc une réaction électrochimique qui produit de la lumière sur une surface de verre, mais on ne peut pas appeler ça une image. » Si Joris pense en chaîne, c’est qu’il bidouille les circuits. « Je ne suis pas électronicien donc plutôt que de faire du bending (pliage de circuits, ndlr), je travaille à même l’électricité en faisant des connexions entre les machines ou en créant des dysfonctionnements. »
Si pour certains, la vidéo résulte d’une réaction électrochimique, pour d’autres, ce sera du son, comme l’artiste 1961, qui module les ondes sonores pour en faire des illustrations grâce à la Transcam, un appareil qu’il a fabriqué et développe depuis 20 ans. Ou encore d’un message : Jarod, qui compresse un porno « female friendly » en signal binaire, « un langage d’ordi à ordi, que tu n’es même pas censé voir », explique-t-il.
« Binary Love », Jarod, 2015, extrait :
« Ne pas subir des outils préfabriqués »
Sur chaque coin de mur, on s’affaire donc à déconstruire l’image et la penser différemment. « Notre approche de l’image est conditionnée par la réception télévisuelle et cinématographique, regrette Laurent Carlier. Nous sommes conditionnés par des écrans en proportion 4/3 ou 16/9 sur une surface plane, mais ce standard industriel a homogénéisé la façon de voir l’image. »
La démarche est proche de celle des hackers, estime Laurent, puisqu’il s’agit de « ne pas subir des outils préfabriqués mais plutôt les étudier, les démonter et en faire ce qu’on veut ».
Prochaine soirée IRL performance le 5 mai à la Gare XP