Fabulis, un fablab à l’assaut du handicap
Publié le 13 avril 2015 par Carine Claude
Fabulis, le fablab du lycée Henri Nominé de Sarreguemines, joue la carte de «l’inclusion inversée»: aux élèves en difficulté de partager leurs savoirs avec les classes traditionnelles. Ou comment un fablab s’attelle à faire sauter les verrous du handicap.
Sarreguemines, envoyée spéciale (texte et photos)
Quelques machines flambant neuves, un coin cosy et du matériel électronique éparpillé. Fabulis ressemble à n’importe quel atelier de fabrication numérique un tant soit peu doté. A la nuance près que ce fablab pas comme les autres a pris ses aises dans une aile du lycée Henri Nominé à Sarreguemines en Lorraine pour accueillir des élèves en situation de handicap.
Sa philosophie ? Se saisir des vertus DiWO (Do it With Others) des fablabs et les utiliser au service d’une pédagogie basée sur « l’inclusion inversée » : depuis septembre 2014, les élèves des classes de BTS, Bac Pro, CAP et 3DP, mais aussi les enseignants, personnels administratif et technique, travaillent au Fabulis avec les élèves de l’ULIS Pro (Unité localisée pour l’inclusion scolaire), dispositif destiné aux jeunes souffrant de troubles cognitifs, les fameux DYS et leur cortège de dyslexie, dysorthographie, dysphasie, dyspraxie et autres difficultés du langage ou de l’apprentissage.
Un fléau presque invisible. « Les études estiment entre 8 et 10 % le nombre d’élèves souffrant de ces troubles, dont une majorité non décelée », explique l’un des enseignants du Fabulis. D’où la nécessité de les détecter au plus tôt et de travailler de manière individualisée et collaborative, chose rendue possible grâce au fonctionnement du fablab. « A ma connaissance, la situation est inédite dans le cadre de l’Éducation nationale », affirme Jean-François Reinert, le nouveau proviseur entré en fonctions à la rentrée 2014 qui s’est rallié sans réserve au projet initié par deux enseignants du lycée.
Fabrication numérique et neurosciences
Pour que cette initiative pilote n’en reste pas au stade d’hypothèse ou de vœu pieux, il a engagé un partenariat en neuroéducation avec Pascale Toscani, docteur en psychologie cognitive et enseignante-chercheuse à l’université d’Angers. « On souhaite mesurer l’impact du travail mixte du Fabulis sur la plasticité du cerveau, sur les apprentissages et sur la manière d’enseigner la pédagogie », dit Jean-François Reinert. Pendant trois ans, la chercheuse va ainsi former des enseignants puis observer une trentaine d’élèves.
« Cette expérience permet de réfléchir à ce qu’il faut mettre en œuvre pour supprimer les déterminants scolaires et sociaux et imaginer un nouveau départ de l’ascenseur social », poursuit-il. Fabulis pourrait ainsi servir de tremplin professionnel pour les élèves grâce aux compétences acquises en prototypage d’objets et fabrication additive. « C’est fantastique, car le verrou est levé grâce à la connaissance partagée. »
Pour l’instant encore en phase de test, le fablab accueille un petit effectif de quatre élèves de 16 à 20 ans présentant des troubles moteurs, dyslexiques ou autistiques, très encadrés à la fois par les équipes de l’atelier numérique et les profs spécialisés. Lors de la journée portes ouvertes, le 21 mars, le seul élève de la section présent a refusé d’être pris en photo et de raconter son expérience. Ce qui ne l’empêche pas de participer avec enthousiasme au concours de puzzle en 3D organisé pour l’événement.
« Chaque jeune a été doté d’un iPad pour pallier ses difficultés et aborder les rudiments de l’impression 3D », dit Alexandre Benassar, enseignant et fabmanager du Fabulis. En guise d’entrée en matière, il leur fait fabriquer une pièce de Lego sur laquelle ils inscrivent leur nom. Ensuite, ils assemblent les briques les unes aux autres. En mode plus complexe, ils réalisent les blasons des villes de la région, manière de lier l’apprentissage de la fabrication numérique à l’enseignement en histoire-géographie ou en français.
Une journée portes ouvertes pour comprendre
« Cette mutualisation des connaissances avec les élèves de l’ULIS est généreuse. L’intégration des nouvelles technologies grâce au fablab en fait un point de ressource pour tout le lycée et montre la voie pour l’avenir de l’enseignement », estime le proviseur qui a fait de la visite du Fabulis, « un des seuls fablabs en milieu scolaire véritablement ouvert au public », le temps fort de la journée portes ouvertes du lycée.
Postés dans deux salles de classes lumineuses reconverties en atelier numérique, deux encadrants du Fabulis accueillent des grappes de parents admiratifs devant les réalisations des élèves. Alexandre Benassar y présente une imprimante Delta en cours de montage « dont la partie électronique sera développée avec les jeunes » et un potager de fenêtre (window farm) qu’il aimerait montrer lors du Fablab festival de Toulouse, en mai prochain.
A la question d’un prof du secondaire qui voudrait initier ses collégiens du club techno à l’impression 3D, le fabmanager propose, en bon évangéliste de la fabrication numérique, de venir en faire la démonstration in situ avec l’une des RepRap utilisées au Fabulis, « peut-être la FoldaRap », une petite imprimante 3D pliable développée par Emmanuel Gilloz, fondateur d’Open Edge, le fablab de Folschviller situé à une encablure de Sarreguemines.
Un fablab à l’école ? Pas si simple
L’une des ambitions du Fabulis est d’essaimer son concept dans les autres ULIS de la région en diffusant les machines open source et en formant les enseignants à leur utilisation. Mais aussi, pourquoi pas, en ouvrant un lieu « type école des parents. »
En attendant, Alexandre Benassar doit faire face aux difficultés spécifiques qui se posent à un fablab en milieu scolaire, en particulier lorsqu’il est ouvert au public. Plan Vigipirate oblige, les usagers extérieurs doivent montrer patte blanche et annoncer leur venue en amont.
Autre difficulté : le matériel. En pleine journée portes ouvertes, les imprimantes 3D tournent au ralenti, faute de fil. « Les procédures de commande sont assez pesantes dans l’Education nationale », explique le fabmanager, toujours en attente d’une livraison de 16 kg de bobines. Pour ne pas laisser le Fabulis au point mort, il dépanne avec du fil perso et quelques bobines en provenance du fablab Metz dont il est également co-fondateur et fabmanager.
Le réseau, « pas encore optimisé », met également de la mauvaise volonté. Même si Jean-Mi, 16 ans, et Rémy, 17 ans, élèves en Terminale SSI et fondateurs du club informatique, prennent les choses en main depuis qu’ils fréquentent assidûment le Fabulis. « Pour nous, ça change tout, on a un vrai lieu pour travailler. » Amusés, ils disent avoir pris sous leurs ailes un prof de maths qui vient recycler ses connaissances en langage de programmation. Preuve qu’au Fabulis, même les élèves des sections classiques bousculent les codes !
Quelques aléas ne font pas retomber l’enthousiasme des encadrants et des élèves. « 9.000 euros ont déjà été investis sur les fonds propres de l’établissement », dit le proviseur qui explique que le fablab ne bénéficie, pour l’instant, d’aucune subvention ministérielle. « Mais je n’ai pas d’inquiétudes pour l’avenir. Le ver est dans le fruit. »