Ekovore, le composteur nantais qui recycle tous azimuts
Publié le 13 octobre 2014 par Francis Mizio
«Le premier composteur partagé au monde» a été inauguré samedi 11 octobre à Nantes. Ce beau mobilier urbain, technologiquement abouti, pourrait se multiplier en Europe. Mais Ekovore semble davantage un symptôme politique qu’une innovation technologique verte.
Nantes, de notre correspondant
« Un, deux, trois… Prêts ? Compostez ! » Ainsi se termine le long discours si lyrique, si exalté et si, sans aucun doute, sincère des Idéelles, collectif nantais de militantes du quartier Malakoff-Pré Gauchet, qu’on hésite entre le rire stupéfait et la réelle émotion empathique. Car samedi, on ne savait plus si on venait d’inaugurer un prototype de composteur, ou célébrer la découverte de l’immortalité, tant il semblerait que l’humanité va être sauvée grâce aux lombrics écoresponsables.
Composter toutes les attentes urbaines
En cet après-midi du 11 octobre 2014, la présence du maire Johanna Roland sanctifie l’inauguration du « premier composteur urbain collectif et partagé au monde ». Implanté dans une cité agréablement réhabilitée, le composteur Ekovore propage auprès d’une foule acquise l’enthousiasme fiévreux de l’ensemble des acteurs ayant présidé à sa conception. Enthousiasme qui peut laisser franchement perplexe.
La belle histoire est simple : les Idéelles ont un jour contacté les deux designers nantais de l’agence Faltazi, Victor Massip et Laurent Lebot, futés et visionnaires, autoproclamés « un peu allumés », qui dessinaient du mobilier urbain et balançaient des idées utopiques depuis 2011 sur les thèmes de la ville de demain et le traitement des déchets. Autotitrés les Ekovores (avec ce K qui doit vouloir insinuer une touche de subversion), les designers veulent instaurer un « système local, résilient, pour alimenter la ville ».
Les Idéelles qui sont à l’origine de pléthore d’initiatives solidaires, dont des jardins ornementaux collectifs pour se « réapproprier les quartiers », les ont convaincus de leur ambition de créer un lieu de lien social, de regroupement, de partage au pied des immeubles. Et donc, pourquoi pas autour du projet de composteur ? Ce mobilier urbain d’un nouveau type serait un point de rendez-vous pour les habitants. Les Ekovores ont dit banco.
Avec l’aide de Nantes Métropole, de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), de l’association Compostri qui milite depuis 2002 pour le compost en ville et se flatte d’être à l’origine de 120 points de compostage à Nantes, de l’association d’insertion Atao, d’un collectif d’éco-citoyens, est donc né le divin composteur Ekovor qui retourne et humidifie lui-même vos matières.
Moloch d’acier, de bois et de mécanique, absorbeur et recycleur de nos coupables déchets de consommation alimentaire, il trône dans le quartier, avec ses plantes et son kiwi en surplomb sur le toit récupérateur de pluie. Les énergies et visions de chacun (ici, faire vivre le quartier, là réinsérer sur le marché de l’emploi, là vendre du mobilier urbain, et enfin là être la ville top écolo de France…) ont donc convergé dans la machine à vers. On est cependant tenté de les trouver un peu trop angéliques, sinon dévoyées, ces intentions louables…
Du compost comme engrais pour tout, et peut-être pour les plantes
Il nous a fallu demander à la chargée de communication pourquoi le dossier de presse ne faisait aucunement mention de « qui récupère le compost » et « de comment il va être utilisé ». Un oubli, admet-elle avant d’ajouter que « sur dix kilos de déchets récupérés, trois kilos de compost seront distribués pour les balcons, le jardin collectif [de l’autre côté de la rue] ou sinon récupérés par le SEVE, service des espaces verts et de l’environnement de Nantes ». Le dossier de presse précisait quand même que si les gens voulaient un composteur, c’est en premier lieu pour réduire leurs déchets, en second pour se rencontrer, seuls 20% d’entre eux se disaient « intéressés par le résultat final, le compost ».
Or c’est bien là où ça couine et fait du lombricophone nantais un symptôme de ce à quoi les green technologies risquent de servir : une réponse à des problématiques autres que celles pour lesquelles elles ont été conçues, écologiquement parlant. Précisons que l’action de Nantes Métropole en terme de compost, avec Compostri, n’est toutefois pas imaginaire puisqu’il existe 120 points de compostages, dont 82 composteurs partagés dans les quartiers et 38 dans des écoles, que 3000 personnes trient leurs déchets organiques à Nantes, selon la mairie, qui dit en valoriser 150 tonnes par an. N’y a-t-il pas un dérapage techniciste venant à l’inverse de la philosophie première ?
Retourner le compost, mais aussi la raison d’être
« Si on a dix commandes en Europe comme on l’espère, expliquait Victor Massip samedi, on baissera le coût d’un tel composteur à 20 000 € pièce… C’est peu quand on pense qu’un arrêt de bus c’est 15 000€. » Cela fait tout de même un peu cher l’arbre à palabres, qui nécessitera l’intervention d’une référente compost, chaque samedi de 11h à 12h (les horaires pour vider son bio-seau).
D’après le représentant de l’association d’insertion Atao, le composteur aura utilement fait travailler « durant 5000 heures » des personnes en réinsertion sur les métiers de la métallurgie. A ceci on ajoutera des fonctionnaires et l’incalculable masse d’heures fournies par les bénévoles. Un calcul à la louche par nos soins place le coût d’investissement pour ce prototype dans une fourchette comprise entre 300 et 400 000 euros (la mairie avançant la somme de 109 000 euros).
Cas étrange de détournement de technologie
Le bénéfice du composteur est ailleurs. On verra si l’expérience de partage et de papotage fonctionne. Voire : on souhaite vraiment avoir tort. Mais pour l’heure, l’engin de technologie verte, s’il est conceptuellement abouti pour son usage écolo présupposé, remplit plutôt d’autres fonctions collatérales. Le discours de Johanna Roland, récente et jeune maire de Nantes, en a d’ailleurs rajouté des couches humidifiées sur ces aspects. Le composteur Ekovore s’est vu paré de tant de vertus humaines avec ses restes de salade que l’on se demande si ce n’était un phare de la civilisation de demain, le remède à tous les maux de notre société de classes, de quartiers, illuminant notre avenir vers la fraternité attendue depuis des siècles.