Voyage au cœur du Jet Propulsion Laboratory de la NASA
Publié le 15 septembre 2014 par Ewen Chardronnet
Le Jet Propulsion Laboratory, ce mythe de la recherche spatiale américaine, explore aussi bien Mars que la coopération entre artistes et chercheurs. Le plus vieux lab de la NASA applique la culture maker pour construire Curiosity et Voyager.
(Los Angeles, correspondance)
Visiter le Jet Propulsion Laboratory à Pasadena en Californie quand on est fan d’espace, c’est un peu comme visiter l’usine Ferrari quand on est amateur de voitures… Le Jet Propulsion Laboratory est en effet la plus vieille institution américaine de recherche spatiale, fondée durant la Seconde Guerre Mondiale par le California Institute of Technology (Caltech) sous la direction de l’ingénieur en aérospatiale et futur artiste cinétique Frank Malina. Le JPL s’occupe de missions d’exploration pour la NASA, des robots incroyablement complexes comme le rover Curiosity actuellement en opération sur la planète rouge, jusqu’aux missions d’exploration aux confins du système solaire comme la sonde Voyager. Je suis donc très excité par l’idée de visiter les lieux et d’en savoir un peu plus sur la manière dont le JPL aborde la culture maker.
La Californie regorge d’initiatives spatiales privées à l’instar des lanceurs SpaceX de l’ancien co-fondateur de Paypal Elon Musk, qui utilise l’impression 3D dans certaines étapes de fabrication (SpaceX l’a annoncé en janvier 2014 à l’occasion du lancement de sa fusée Falcon 9). Ou encore Made In Space, une entreprise située sur le Ames Research Park de la NASA dans la Silicon Valley, qui est en passe d’envoyer la première imprimante 3D vers la Station spatiale internationale (ISS). Sans oublier SpaceGAMBIT, conglomérat de makers et hackers qui pensent conserver leur éthique hacker dans l’ingénierie spatiale.
Le JPL est loin d’être en reste. Il est même plutôt à l’avant-garde, et souhaite intégrer l’impression 3D aux missions martiennes. Le JPL a lancé ce printemps le concours Mars Base Challenge, en collaboration avec MakerBot, pour récompenser des visions imaginaires (imprimées) de bases martiennes. Les résultats ont été publiés courant août.
C’est cependant sur la question des métaux que le JPL est en pointe. Pour finaliser le rover Curiosity, envoyé en 2012 sur Mars, le JPL a dû faire preuve d’inventivité pour associer divers métaux et alliages en une seule pièce métallique. Douglas Hofmann a mené depuis de nouvelles recherches en science des matériaux et métallurgie. Son équipe a franchi cet été une étape importante en mettant au point un procédé d’impression 3D qui passe à la volée d’un métal ou alliage à un autre alors qu’un objet unique est en cours d’impression, en déposant des couches de métal sur une tige en rotation. Le métal transite de l’intérieur vers l’extérieur, plutôt que par ajout de couches de bas en haut. Un laser fait fondre la poudre de métal pour créer les couches. La monture d’un miroir d’engin spatial composé de plusieurs alliages différents a notamment été imprimée.
« Tout est robotique pour nous, du satellite au rover jusqu’à la sonde, explique Blaine Baggett, directeur de la communication au JPL. Avec la sécheresse que subit la Californie depuis des mois, nos missions climatiques terrestres peuvent apporter des réponses. Nous construisons en ce moment le Smap (Solide Moisture Active Passive), un satellite qui mesurera l’humidité du sol terrestre. »
Pour y parvenir, les techniciens du JPL passent par de nombreuses phases de conception. Les premières d’entre elles se déroulent au studio Left Field (Rapid Mission Architecture Room), un espace équipé de papiers, cartons, élastiques, crayons, Post-it, etc., véritable salle de jeu des ingénieurs.
Le studio Left Field a été conçu par le studio créatif du JPL de Daniel Goods. Cet artiste arrivé en résidence il y a 10 ans est aujourd’hui à la tête d’une équipe de cinq personnes. « Notre rôle est de concevoir des moyens inhabituels de communiquer auprès du public. Cela passe par des installations artistiques et des événements publics : travailler avec les scientifiques et les ingénieurs pour les aider à formaliser leur pensée, participer aux séances de conceptualisation des missions futures », précise Daniel, qui accompagne artistiquement les sessions de « rapid brainstorming » guidant le prototypage.
L’ambiance du studio de Dan Goods est plutôt ludique et intuitive, on y trouve des livres de graphisme et de design, des papiers et ciseaux aident à lancer rapidement la mise en volume d’idées et une MakerBot est posée dans un coin. Des portraits de Salvador Dali, des comics et autres jouets vintage rappellent l’époque Buck Rogers de Frank Malina, Jack Parsons et Edward Forman, le trio pionnier du JPL féru de science-fiction.
« Nous mettons également en place des installations de design art-science. La dernière d’entre elles, installée ce printemps en plein air sur le front de mer près du Brooklyn Bridge à New York, rend compréhensible les objectifs de la mission Rosetta » dit Joby Harris, spécialiste en effets spéciaux et modélisation.
La sonde Rosetta, projet mené par l’Agence spatiale européenne en partenariat avec de nombreux instituts dont le JPL, doit atterrir dans les jours qui viennent après dix ans de voyage sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko. « Nous essayons de moderniser l’environnement même du Jet propulsion Laboratory, en faisant un peu de design d’intérieur. Même si c’est une vieille institution, elle devrait toujours avoir l’air d’être dans la science-fiction. »