Le Project Magnus du MIT diffuse un nouveau modèle de visière complète dont la fabrication se fait entièrement à plat, par découpe 2D. Le Fablab Digiscope de l’Université Paris Saclay est équipé pour produire 2000 à 3000 exemplaires à partir de la semaine prochaine. Nous avons posé quelques questions à Romain di Vozzo, directeur de Fablab Digiscope et Chef de projet Fablab à Université Paris-Saclay, qui va mener l’opération.
Selon le site Internet qui présente le modèle, les visières sont fabriquées en utilisant une découpeuse à lame (par exemple de la marque Zünd), avec des coupes et des fausses coupes qui permettent par la suite de mettre en forme la visière par simple pliure manuelle. Les membres du Project Magnus estiment que l’aspect tout-en-un et plat de leur design permettra bientôt de les produire à un rythme de plus de 2,5 millions par semaine.
Le fichier est pour le moment réservé aux fabriquants professionnels capables de produire au moins 4000 pièces/jour. Ces visières peuvent être découpées en 1min30 et assemblées par le fabricant en moins d’une minute par unité, puis déposées dans des lieux de ramassage dans les hôpitaux. Les infirmières et les médecins peuvent également les assembler sur place si nécessaire. Il possible que la remise à plat de cette visière après une première utilisation en facilite la désinfection, ce qui pourrait permettre leurs réutilisation.
Makery : Pourquoi êtes-vous intéressé par ce modèle en particulier ?
Romain di Vozzo : Ce système de design en origami présente des caractéristiques intéressantes car il est d’un seul tenant, bi-dimensionnel dans son état non-assemblé, facile à stocker, et flexible. Il semble possible de le désinfecter puis de le réutiliser sur plusieurs cycles s’il est découpé dans un matériau adéquat et dans une épaisseur suffisante. Il semble que le PETG soit un bon candidat pour fabriquer ces visières.
En anticipant dès la seconde semaine de confinement, il a été possible d’identifier un revendeur de PETG, malgré la complexité croissante à sourcer les matériaux nécessaires à la fabrication (filament 3D, tissus élastiques, plastiques transparent de +200 microns). Le Fablab Digiscope de l’Université Paris-Saclay a donc pu acquérir plus de 50m2 de PETG en épaisseur de 0.75mm en vue de passer de la fabrication de serres-têtes par impression 3D – un processus plus coûteux en temps de fabrication – à la découpe bi-dimensionnelle par lame ou par laser – de visières intégrales dès que possible. Il semble que nous serons livrés lundi prochain. Nous espérons fabriquer environ 2500 pièces de ce design grâce au réseau distribué des laboratoires de fabrication numérique de l’Université.
Instructions de montage :
Vous avez d’abord imprimé en 3d ?
Effectivement, comme de nombreuses personnes et laboratoires en France et dans le monde, nous avons commencé par imprimer en 3D les serres-têtes du modèle Prusa3d, afin de les insérer dans la filière de distribution mise en place par l’AP-HP suite à sa validation par le Docteur Jean-Pierre Attal. Mais nous souhaitions répondre aux demandes provenant de notre territoire proche – l’Essonne -, et nous avons donc opté pour un design plus léger et donc plus rapide à assembler mélangeant l’impression 3D et la perforation manuelle de feuilles de PVC translucide de format A4 que nos collègues nous ont amené au fur et à mesure.
Le design Prusa3d diffusé dès le 19 mars :
Avant d’imprimer en 3D des serres-têtes destinés à des applications médicales avec des matériaux qui ne sont pas utilisés pour la fabrication médicale, de nombreuses discussions sur la manière de valider un design de visières ont eu lieu, essentiellement sur les réseaux sociaux. De nombreuses controverses ou contre-vérités ont pris forme jusqu’au moment où plusieurs fablabs sont parvenus à faire valider des designs auprès des personnels hospitaliers. Ce qui semble ressortir de cette expérience est que dans une certaine mesure, un chef de service est en mesure de décider par lui-même d’utiliser ou non un design proposé par un fablab ou un fabber. Dans ce niveau d’interaction inédit entre les soignants et les fablabs se posaient les questions d’hygiène et de sécurité (la continuation de la pandémie par des outils non certifiés par les instances médicales), des questions légales (qui est responsable en cas de contamination avérée ?), et en toile de fond se posait aussi la question de ré-envisager la souveraineté technique et technologique de la France en matière de fabrication d’objets.
Je trouve notamment très intéressant que l’AP-HP se soit préoccupée de sa souveraineté technologique en achetant une soixantaine d’imprimantes 3D (s’adresser à ce titre à la plateforme Covid3D de l’AP-HP, ndlr). Il reste à espérer que les moyens humains seront dimensionnés en rapport avec cet équipement lourd.
Comment la mobilisation s’est-elle organisée à l’Université Paris Saclay ?
Durant la première semaine de confinement nous n’avions pas accès à nos bâtiments. Une initiative a démarré à partir d’une collaboration entre CentraleSupélec et l’AP-HP. Avant de fermer le fablab, j’avais emmené une imprimante 3D avec moi, ce qui m’avait permis de démarrer l’impression de serres-têtes avant de concrétiser cette initiative avec l’appui complet de la Présidente de l’Université Paris-Saclay, Mme Sylvie Retailleau, qui a mobilisé la cellule de crise Covid19 de l’UP Saclay autour d’une opération philanthropique de fabrication. Cette approche a pu être réalisée via la Fondation de l’Université Paris-Saclay et permet de piloter plusieurs approches en parallèle, dont celle que je coordonne. L’UP Saclay participe aussi activement à l’accélération d’un solution industrielle par injection plastique.
J’aimerais aussi préciser que rien n’aurait été possible sans la mobilisation de Michel Beaudouin Lafon (directeur scientifique de l’Equipex Digiscope), de Johanne Cohen (directrice du Laboratoire de Recherche en Informatique), de Tania Di Gioia (préfiguratrice en charge de la Direction Recherche Valorisation) et de Emmanuel Courtoux, mon héroïque binôme, actuellement en doctorat dans l’Équipe ILDA-INRIA sans lequel rien n’aurait été possible.
D’autres laboratoires participent activement à l’effort de fabrication au sein de l’IUT de Cachan, de Polytech, du CEA, de l’lPS2, notamment. Il s’agit donc d’un travail d’équipes qui a consisté à, soit sortir des machines de nos laboratoires pour les amener chez nous, soit centraliser des machines vers le Fablab Digiscope pour fabriquer plus de visières. Plusieurs personnes ont comme moi obtenu l’autorisation dérogatoire pour revenir dans leurs laboratoires pour fabriquer. Aujourd’hui, les visières fabriquées sur le campus partent vers l’hôpital d’Arpajon, vers l’hôpital de Percy, ou de Garches et bientôt vers l’Institut Gustave Roussy.
Vous êtes également en lien avec le groupe Visière Solidaire de l’Essonne ?
Au niveau de l’Essonne, il y a une personne très active, Jane Sénéor, qui coordonne un groupe d’environ 300 personnes qui sont en mesure de produire +700 visières/jour. Ce sont des personnes qui ont investi dans du filament 3D de leur propre poche souvent sans compter et dont il convient de saluer l’initiative. Nous les aidons autant que possible à faire face à la pénurie de filament 3D. Ils ont aussi besoin d’espaces sur le territoire essonnien (gymnases, hangars, ou autres) pour assembler les visières dans de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité et continuer de fournir les hôpitaux de la région.
En savoir plus sur la visière tout-en-un du Project Magnus au MIT.
La plateforme Covid3D de l’AP-HP.
Pour se mettre en relation avec le Fablab Digiscope : romain.di-vozzo@université-paris-saclay.fr.