Avec «Désidération» la Cellule Cosmiel retisse des liens avec l’Univers
Publié le 30 novembre 2019 par Céliane Svoboda
La Cellule Cosmiel faisait halte cet automne à la galerie Les Filles du Calvaire à Paris – une exposition et une série de rencontres entrecoupées par des visites au Fresnoy de Roubaix et au festival Bandits-Mages de Bourges.
Du 26 octobre au 23 novembre 2019 à la galerie Les Filles du Calvaire, la Cellule Cosmiel aspirait à être traversée par des poussières d’étoiles, pour une « désidération », entre mélancolie, désir et réconciliation. Makery a suivi la soirée spéciale avec le philosophe Paul B. Preciado du 15 novembre, leur visite à Bourges le 22 novembre au festival Bandits-Mages, et la performance de clôture le 23 novembre dans la galerie pour implantation cosmique de micro-météorite(s) en présence de l’astronaute Jean-François Clervoy. Pour arpenter les chemins d’une réconciliation avec les étoiles et le cosmos, le projet «Désidération réunit l’artiste Smith, l’écrivain Lucien Raphmaj, l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan, le studio Diplomates, le compositeur Akira Rabelais et la performeuse Nadège Piton.
Éléments de langages
Aux états difficilement définissables qui peuvent survenir face à la perpétuelle déliaison contemporaine, c’est par un vocabulaire poétique que la Cellule Cosmiel part explorer ce qui nous lie (ou nous délie) à l’univers, à l’ordre du monde. De la « désidération » à « l’état de Cosmiel », autour de propositions artistiques (mais pas que) le voyage se veut comme une démarche du soin et de l’attention pour la réconciliation. Se réconcilier apparaît alors comme une piste qui ne nie pas l’état actuel des choses, du vivant, des mondes mais bien comme une mélancolie nécessaire qui s’adjoint à un certain désir d’ailleurs (ou d’autre chose) pour garder espoir. A contrario d’un état de déni, c’est bien face au désastre et au malaise qu’on se pose. Entre questions esthétiques, philosophiques ou astrophysiciennes, les membres de la Cellule Cosmiel ouvrent des pistes pour reconstituer un nouveau vocabulaire, une nouvelle esthétique, une nouvelle épistémologie.
Désidéré. \de.si.de.ʁe\ n. [ANTHROP.] Les désidéré.es se définissent eux-mêmes comme une humanité souffrant de l’absence de sidération, c’est-à-dire de lien organique avec les étoiles. [MYTH.] Dans la mythologie désidérée, les gènes seraient directement issus des briques élémentaires de vies apportées par des météorites sur notre planète, hypothèse reposant sur la théorie de la panspermie. Ils se sentent plus proches que les autres de leur origine stellaire, qui se manifeste par le vif sentiment d’être orphelin, et la manifestation permanente d’une nostalgie d’un objet cosmique vague, indéfinissable. [SOCIO.] Les désidéré.es sont à la recherche de leur infini perdu, d’une immensité spatiale dont ils cherchent à se remplir, en contemplation permanente des étoiles, qu’ils rêvent d’absorber pour se réaliser et se stabiliser dans le monde terrien. Ainsi, ce n’est qu’en s’hybridant avec l’espace, en injectant en eux un peu de l’infini qui les compose et dont le manque les ronge, qu’ils pourraient atteindre la sérénité.
Etat de Cosmiel. [MYTH.] En référence au personnage de Cosmiel (ange cosmique décrit dans l’ouvrage de Kircher “Le voyage céleste extatique” (1656), concepteur d’un vaisseau permettant d’explorer le système solaire) : l’état de cosmiel désigne la réconciliation d’un.e désidéré.e avec le ouvenir de son origine cosmique, pouvant passer par son hybridation avec des particules météoritiques. Ce n’est que par cet acte que les désidéré-es, ayant atteint l“état de cosmiel”, pourront espérer vivre paisiblement sur Terre, accepter leur condition d’anthropos* grâce au cosmos retrouvé en ell.eux, et survivre dans ce monde détaché des étoiles. Cet acte de réconciliation, de plénitude cosmique, laissera, alors, peut-être place à une mélancolie positive, un souvenir paisible de cet état de manque et de solitude.
View this post on Instagram#cellulecosmiel @bogdanchthulusmith credit @manuela.de.barros
A post shared by Makery France (@makeryfr) on
SMITH, la photographie interstitielle
Les tirages photographiques sur aluminium présentés à l’étage de la galerie révèle la poétique d’un entre-deux. Le temps d’un instant, d’un fragment, c’est le point de rencontre dont nous parle l’artiste dans le film Mythologies réalisé avec Agathe Pichard.
« Mythologies », un film réalisé par Agathe Pichard avec SMITH :
Ce moment incapturable qui même une fois photographié appartient déjà à un ailleurs. La brillance des tirages sur aluminium amène à reconsidérer les reflets. Les couleurs semblent également appartenir à une dimension cosmique. Le jeu du flou entretient l’idée d’un mouvement. On ne peut qu’être sensibles à ce remarquable travail photographique qui nous touche dans nos abîmes puisque c’est aussi une rencontre qui nous est proposé à nous, spectateurs.
Les trois courts-métrages Unda, In Somnis et Les Apocalyptiques relèvent d’une même sensibilité qui nous happe et nous invite à nous arrêter.
La structure métallique qui relie les espaces du rez-de-chaussée et de l’étage de la galerie réalisé par le studio Diplomates nous présente une météorite centrale tout en jouant sur l’espace et les deux niveaux de la galerie. Les deux espaces sont liés par la structure qui permet divers points de vues qu’on soit à l’étage ou en bas. L’espace est ainsi également pensé dans ces liens visibles et invisibles, dans une cohérence indéniable où les pièces se soutiennent entre elles.
Au rez-de-chaussée, c’est « Radio Levania » qui occupe l’espace, animée par Akira Rabelais et la Cellule Cosmiel.
Cartographies du cosmos, cartographies des sexualités.
Introduite par Apocalyptiques, un court-métrage en cours de finalisation, le troisième rendez-vous de l’exposition était l’occasion d’une rencontre avec le philosophe Paul B. Preciado. Menée par Radio Levania, la rencontre dite « mue » nous invite à écouter les yeux fermés. Entre cartographies du cosmos et cartographies des sexualités, on apprend alors que d’un changement de paradigme à l’autre, repenser nos relations à l’Univers permettait souvent de repenser nos relations aux autres et à nous-mêmes.
S’impose alors l’idée de proposer un commun dans des dimensions plus larges, plurielles, inclusives. Aux cartes qui enferment, construisent des murs et les guerres de territoires, les nouvelles cartographies doivent répondre au besoin de faire commun. Tout de même méfiant face au néo-technico-patriarcat, Paul B. Preciado nous situe à l’aube d’un changement de paradigme. Il nous faut alors faire de la mélancolie, voir du fatalisme ambiant quelque chose d’autre, pour relever les potentialités d’aujourd’hui et de demain. D’un « art conceptuel qui nous coûte cher » dont nous parle Paul B. Preciado pour désigner certaines de nos institutions et nos lois, il faut proposer d’autres manières de faire, d’autres manières de vivre. Il faut cesser de réserver la production artistique à une production muséale, l’artiste peut-être aussi bien médecin, qu’avocat que plasticien, c’est un travail toujours à l’œuvre qu’il faut prendre en considération chez chacune et chacun.
La rencontre avec le philosophe était aussi l’occasion de relire « Notre-Dame-des-Ruines » paru dans Libération suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris où seule la lecture permettra de rendre compte de la beauté du texte autant que de l’axe philosophique plus que nécessaire aujourd’hui. Il est (presque) drôle de se précipiter pour reconstruire une cathédrale quand le monde s’effondre…
View this post on InstagramA post shared by SMITH (@traumsmith) on
Interdépendances
Face aux mondes fracturés, l’exposition à la galerie Les Filles du Calvaire et les différentes rencontres qui la ponctuaient, proposaient de reconsidérer notre lien insoluble aux uns, aux autres, au vivant, à la terre, aux étoiles, au cosmos. Déjà l’interdisciplinarité se pose au sein des membres de la Cellule qui sont issus de différentes disciplines liées par une même recherche. Face au système qui tend toujours à absorber ces extériorités, la Cellule Cosmiel nous propose une dimension bien plus large. Au système s’oppose le cosmos, aux fractures que nous impose la société contemporaine (capitaliste) répond une volonté de se relier, de renouer. Les rêves mutilés reprennent vie, un rayonnement nouveau s’installe. Les potentialités sont nombreuses, la désidération n’est pas (ou plus) une fatalité.
C’est alors une politique du commun qui s’esquisse, une politique de l’attention, une politique du soin, une politique du partage, une politique de la ré-appropriation, la politique d’un cosmos qui s’esquisse entre nos intériorités les plus profondes et toutes les extériorités qui s’y lient.
Tandis que le vaisseau de la Cellule Cosmiel propose de s’ouvrir encore et toujours à différents rayonnements, à différentes poétiques, à différents questionnements. C’est à la première personne du pluriel que le désir ré-apparaît et nous embarque vers l’état de Cosmiel pour venir (comme le dit si bien Radio Levania) « baiser avec les étoiles ».
Implantation cosmique finale :
« Désidération » est un projet de la Cellule Cosmiel qui réunit l’artiste Smith, l’écrivain Lucien Raphmaj, l’astrophysicien Jean-Philippe UZAN, et leurs collaborateurs invités : le studio Diplomates, le compositeur Akira Rabelais et la performeuse Nadège Piton.
La galerie Les Filles du Calvaire, fondée en 1996 à Paris, a pour vocation de montrer et de défendre la création contemporaine.