Art et climat : les nouveaux récits du réchauffement au Silencio
Publié le 25 novembre 2019 par Céliane Svoboda
Le 14 novembre l’association Art of Change 21 et sa directrice Alice Audouin inauguraient un nouveau cycle de conférence sur l’art et la crise climatique à l’invitation du Silencio à Paris. Pour cette première, c’est Fabien Léaustic, Julia Gault, Jérémy Gobé et Isabelle Daëron qui incarnaient une jeune génération questionnant notre rapport au monde, au vivant, à la biodiversité. Tour d’horizon.
Chaleureuse atmosphère sous la lumière rouge du club Silencio. Alice Audouin y introduisait le jeudi 14 novembre un nouveau cycle de conversations rassemblé sous la question « L’art réchauffe-t’il le climat ? » et qui souhaite présenter de nouvelles mises en récit du réchauffement climatique. Cette première faisait aussi la part belle à une nouvelle génération de jeunes artistes dont les parcours démontrent un certain goût pour l’interdisciplinarité. Entre architecture et design, ingénierie et arts, c’est la position de l’artiste-chercheur qui prend ici tout son sens.
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La vie à l’œuvre
Ingénieur mathématicien avant de passer par l’école des arts décoratifs, Fabien Léaustic, par exemple, engage dans sa démarche une esthétique de l’organique. La matière s’introduit dans l’espace muséal (ou dans les espaces d’expositions) comme élément non-figé, comme force de transformation en perpétuelle évolution. Lors de la précédente biennale Némo, des phyto-planctons s’inscrivaient sur d’immenses structures rectangulaires.
Même le titre de la pièce, Ruines, amenait à repenser une dynamique des espaces désœuvrés, tel un petit chant d’espoir pour rappeler que même si la vie est parfois simplement invisible à l’œil nu, elle est toujours à l’œuvre. La conversation avec l’artiste était l’occasion de rappeler que sa propre démarche est perpétuellement remise en question et que d’un travail à l’autre, la question de l’éco-conception se précise, ainsi d’une monumentalité coûteuse en matière première et en terme d’énergie à la Biennale de Lyon de 2017, sa dernière installation, La terre est-elle ronde ?, visible en ce moment au 104 dans le cadre de la biennale Némo, se veut plus économe. La démarche (qui se veut réflexive) est-elle aussi mise en face des enjeux actuels et tend elle aussi à s’affirmer dans un monde moins énergivore et plus attentif aux multiples facettes qui constituent le travail artistique.
Retour à la terre
La malléabilité de la matière et sa nature instable, mouvante, est également visible dans le travail de Julia Gault. Poétique mise en récit de l’effondrement, les « poteries » de Julia Gault se dissolvent.
Où le désert rencontrera la pluie nous présente des poteries où l’eau ré-introduite dissout les sculptures. Les formes ne tiennent plus, tendent à retomber et rappellent que nous n’échappons pas à la gravité. Julia Gault travaille cette tension de ce qu’on voudrait retenir et de ce qui tend à nous échapper.
Dans une démarche conceptuelle qui reste lisible, Prendre l’eau joue l’absurde d’une barrière qui se veut aussi dangereuse que ce de quoi elle protège. Dans ce travail, Julia Gault utilise les ressources et les problématiques du lieu sur lequel elle travaille. La terre des briques et l’eau qui constituent l’installation viennent de la rivière à proximité, la même qui inonde ces jardins en période de crues imprévues. L’installation se joue aussi en amont, dans une sorte de performance préparatoire pour la récupération des matériaux et se rejoue à la fin du dispositif où les éléments naturels retourneront à leur milieu d’origine. Le cycle naturel de la matière s’illustre ainsi dans la démarche sans que le spectateur puisse nécessairement en prendre la mesure. D’un emprunt fait avec soin à la nature, Julia Gault pose l’attention à l’environnement et sa poétique instable comme démarche.
Dentelle, coraux, tissages.
Le travail de Jérémy Gobé se révèle être une véritable œuvre de maître tisseur. Il tisse, retisse des liens parfois oubliés, des motifs mis de côté et révèle, valorise des métiers, des histoires, un certain artisanat.
La liberté guidant la laine qu’il nous présente associe une référence à l’histoire de l’art mais aussi à une histoire sociale. L’utilisation du motif Jacquard se veut comme un hommage aux premières grèves ouvrières nous remettant face au fait qu’aujourd’hui toutes ces usines (Jacquard) ont été délocalisés…
D’autres de ses projets comme 400 000 cocons relève d’une poétique de mise en valeur du travail ouvrier, d’un savoir-faire parfois oublié.
Mais c’est surtout sur sa problématique de thèse entre art, science et industrie que Jérémy Gobé nous étonne. À une sérendipité devenu presque impossible dans un monde en quête de résultats immédiats et quantifiables, Jérémy Gobé joue de ses intuitions d’artistes pour penser un projet de recherche qui s’articule entre une démarche artistique utilisant la dentelle et la lumière et une attention plus scientifique portée à la disparition en cours de la barrière de corail. Son projet Corail Artefact permet de replacer une certaine sensibilité artistique au sein d’une démarche plus scientifique. L’occasion de questionner la séparation des domaines et des problématiques qui parfois tendent à se résoudre plus facilement quand elles sont envisagées sans protocole.
Repenser les usages
Chez Isabelle Daëron, c’est la question des usages qui est posée. Un de ces derniers travaux questionne l’usage du réseau d’eau secondaire de Paris. Bien que souvent peu connu, il existe à Paris un système secondaire d’eau non-potable qui permet entre autre d’arroser les espaces verts. Ce réseau sous-utilisé pourrait pourtant s’avérer utile pour la ville à venir. Avec notamment son projet, Aéro-Seine, Isabelle Daeron, propose un nouvel usage à ce réseau d’eau.
L’artiste-designeuse mêle ainsi les savoirs-faire pour proposer une bouche de rafraîchissement pour la ville, la première verra le jour près de la porte de Montreuil, Rue Blanchard. Plus que l’usage c’est aussi l’esthétique portée à ces installations d’un nouveau genre qui préoccupe Isabelle Daeron, ainsi ces installations (utiles) sont également pensé pour une « meilleure habitabilité du monde » comme elle le soulignera elle-même.
Ainsi, les différentes démarches présentées pour cette première rencontre animée par Alice Audouin, révèle la diversité des possibles. Alors que les basculements sont déjà à l’œuvre, ces artistes travaillent à la réorganisation nécessaire de notre contemporain, interrogent nos manières de faire et nous propose de nouvelles voies sans se vouloir culpabilisateurs, ni même moralistes. Au risque de l’association politique qui semblent les gêner, Alice Audouin propose la notion d’ »Impact Art » pour catégoriser ce travail du contemporain face aux enjeux climatiques. A contrario de l’artiste marginal ou marginalisé, ces jeunes artistes soulignent l’importance de s’ancrer dans la société qui leur est contemporaine. Leurs démarches réflexives questionnent notre société complexe autant par ses usages, ses philosophies que ses questions esthétiques. Au devant d’enjeux parfois effrayants, Fabien Léaustic, Julia Gault, Jérémy Gobé et Isabelle Daëron nous proposent un nouveau paysage mouvant pour un monde qui ne pourra rester figer dans ses positions actuelles.
Alice Audouin cherche à valoriser le travail d’artistes contemporains sensibles à la question climatique, elle a notamment développé Art of Change 21 qui lie culture et transition écologique. Les prochains rendez-vous de son cycle de conversations « L’art réchauffe-t’il le climat ? » sont à retrouver sur les réseaux sociaux.