Ouverte depuis trois ans par la Société d’Agriculture Urbaine Généreuse et Engagée (SAUGE), la ferme urbaine La Prairie du canal déménagera courant 2020 pour Aubervilliers. Lauréate de l’appel Parisculteurs, elle s’installera sur une parcelle proche du canal Saint-Denis. La Sauge ne s’arrête pas là et essaime son modèle dans d’autres villes de France. Makery a voulu en savoir plus et est allé à leur rencontre.
Il y a encore un siècle les villes étaient organisées autour des terres agricoles. L’urbanisation est passée par là, coupant le milieu urbain de ces dernières. L’agriculture urbaine revient sur le devant de la scène, à la fois comme un phénomène de mode et une nécessité écologique. Elle peut se pratiquer sur des toits, terrasses, fenêtres, dans les cours, jardins publics ou partagés. Elle comprend l’horticulture, l’élevage, la pêche, l’aquaculture, la sylviculture et la production de lait et de fourrage, d’animaux de ferme. A Détroit, la conversion d’une partie des friches issues de l’industrie automobile en 1600 fermes urbaines a fait date. En France, La Sauge est l’une des nombreuses associations intervenant dans le domaine de l’agriculture urbaine. Elle s’est donnée une mission particulière : réintroduire la pratique du jardinage dans le quotidien de chaque citadin dans le futur, fût-ce à sa fenêtre.
Faire que chacun puisse jardiner 2h par semaine
Swen Déral et Antoine Devins ont respectivement fait des études de commerce et d’agronomie. En 2015, leur envie de jardiner les amène à envisager la création d’un jardin partagé. Ils fondent la SAUGE (la Société d’Agriculture Urbaine Généreuse et Engagée). En 2017, l’association répond à l’appel à projet TempO’ de l’intercommunalité Est Ensemble. Il débouche sur la mise en place de la ferme urbaine la Prairie du canal dans une friche de 1000m2 le long du canal de l’Ourcq à Bobigny.
Plus récemment La Sauge a mis en place l’Agronaute à Nantes, une ferme gérée par Antoine Devins et qui a ouverte ce mois de septembre.
Ces projets n’ont pas une vocation de production mais de diffusion des pratiques d’agriculture urbaine. Les fondateurs de La Sauge se sont donnés une mission des plus ambitieuses : « Nous souhaitons que tout le monde jardine 2h par semaine comme une réponse simple et efficace à la Transition Ecologique ». Pour Eline Lambert, actuelle salariée de la structure, il s’agit d’un projet de société. « Quand on se reconnecte à la terre, on a une consommation plus responsable, on travaille la notion de partage », explique t-elle.
A la Prairie du Canal on cultive évidemment des haricots, courges, salades, des fruits, mais encore du houblon en partenariat avec un brasseur bio local. On y expérimente aussi l’aquaponie, la cultures sur paille, un kit potager de Noocity, ou encore un prototype de jardin-serre familial en permaculture avec le partenaire Myfood. La prairie dispose d’une pépinière précieuse, lui permettant de vendre des plants issus des graines, sur les marchés, mais aussi d’une prairie, des ruches et quelques poules.
Son originalité tient au fait d’être un lieu d’accueil de bénévoles, d’écoles et de partenaires et d’organiser des « Open air » toutes le deux semaines autour d’un dance floor. Ces événements attirent surtout des parisiens, à l’image d’Issam, 24 ans, qui a connu l’association via un ami et Facebook. Issam apprécie les collectifs de DJ sollicités tels que Cracki et Make it Deep et le cadre. « Le fait que cela soit une ferme, en plein air, c’est super sympa. Tu es vraiment entouré de verdure. C’est un petit échappatoire à la vie parisienne. Ce n’est pas bondé, c’est très aéré et super agréable » explique t-il.
De nombreux bénévoles sont accueillis les jeudis après-midi à la Prairie du Canal. C’est le cas de Camille et Victoria présentes le jour de notre visite. « C’est quelque chose que l’on avait envie de faire de manière générale. La façon dont c’était amené sur le site internet nous a donné envie. Ils disent que si tout le monde jardinait 2h par semaine, ce serait une solution pour une transition écologique. Cela nous a tout de suite parlé » explique Camille. Les deux amies y sont déjà retournées entre temps. « On a trouvé exactement ce que l’on espérait. On est rentrée chez nous, on avait les mains pleines de terre, des sensations que l’on a pas eues depuis qu’on était enfants ». Ce qu’elles sont appris ce jour là ? « Très concrètement : tout » poursuit Camille. « Je n’avais aucune connaissance. Par exemple, on nous file un sachet de graines pour planter des épinards. On a mille questions. Faut-il retourner la terre avant ? Comment je plante une graine ? C’est ça qui est chouette. Des gens sont là pour apporter des réponses. Et tout le monde apprend et essaye de faire au mieux ».
Un modèle d’essaimage tous azimuts
Le projet de La Sauge est clairement d’essaimer et si possible à grande échelle. Pour cela, l’association a développé des formations pour des entreprises, des écoles, et accompagne la création de jardins partagés à Bobigny et Pantin. Elle organise aussi un événement phare : Les 48h de l’agriculture urbaine. Son modèle est en rupture avec des approches associatives traditionnelles car l’association fait appel à des partenariats d’entreprise tels que Franprix, Castorama, Villemorin, BNP, Total. Pour Eline ce choix stratégique s’explique par le fait «qu’il est actuellement difficile de faire grand sans faire appel à des partenaires privés ». Des prestations de team-building sont ainsi proposées, avec par exemple la création d’un potager sur le toit de l’Hôtel Pullman à côté de Roissy. Damien Desjonquères, responsable France du programme Action chez Total, complémentaire de la démarche RSE, nous éclaire sur ces partenariats : « Il y a 18 mois le groupe Total a pris la décision de permettre aux collaborateurs du monde entier de prendre 3 jours par an sur leur temps de travail au profit d’une structure associative ». Un outil extranet et une plate-forme accessible aux collaborateurs et aux associations est mis en place. Le projet est alors expliqué à La Sauge qui accepte de tenter l’expérience. Le principe est le suivant : l’association propose sur la plate-forme des missions faisant des quatre priorités du programme, dont celle de l’environnement. Pour Damien Desjonquères « Le fait de donner la possibilité de participer à ces actions représente à la fois une valeur ajoutée pour les acteurs de nos territoires d’ancrage et une ouverture pour nos collaborateurs ». La Sauge a déjà permis à plus de 100 salariés de Total de participer à des activités d’agriculture urbaine.
Dans le domaine éducatif, La Sauge a mis en place un programme avec 4 classes de CE2 et CM2 de Pantin. Les interventions auront lieu toutes les deux semaines à l’école et sur un terrain de 72m2 à la Cité fertile pendant deux ans. Clara Hoyeau, en charge des projets éducatifs nous en donne un aperçu : «Au premier trimestre nous aborderons la question des plantes, comment cela pousse, etc. Au second nous travaillerons sur les produits, les outils, les questions écologiques, le tri, le compostage. Au troisième nous mettrons enfin en place le potager ». Ce projet a été rendu possible grâce à un partenariat avec la BNP, dont le siège est à Bobigny. En contrepartie, des employés participeront à l’animation des ateliers pour évoquer les actions de l’entreprise dans la transition écologique.
La Prairie du Canal porte enfin quatre projets de jardins partagés à Bobigny. Aurore de Longvilliers qui les coordonne nous fait visiter le jardin « Balbynien » dans le quartier Chemin vert. Il a été créé en mars 2018 avec la Semeco, une société d’économie mixte qui gère et entretient notamment des espaces verts du centre ville. Aurore encadre les activités de jardinage, les jeudis et samedis. Ghislaine une habitante témoigne : « L’association nous montre comment planter, retourner la terre, faire de la permaculture ». Ghislaine explique que ces jardins ne sont faits « Pour se nourrir, mais pour passer du bon temps. Cela permet de bien vivre ensemble, de voir d’autres personnes et surtout les enfants avec l’aire de jeux qui est à côté. Dans le jardin, ils apprennent qu’une tomate ça pousse en haut, une pomme de terre dans la terre. Les enfants sont les bienvenus».
Il est prévu que La Prairie du canal soit transférée à Aubervilliers dans les deux prochaines années. Pour Aurore, l’un des grands enjeux sera d’assurer l’autonomie des jardins partagés. Ghislaine répond en attendant : « On va continuer. On va garder tout ce qu’ils nous ont appris. S’il y a un souci, on leur demandera. Sinon on a quand même pris des notes. On va pouvoir aider les autres jardins qui s’ouvrent. C’est ça qui est agréable ».
Les 48h de l’agriculture urbaine
L’événement des 48h de l’agriculture urbaine est à l’image de ce projet global. Grâce aux partenariats d’entreprise, il permet de financer la participation d’une quinzaine de villes via des associations. Chacune reçoit 2000 euros pour engager un service civique par exemple, couvrir des frais d’organisation. Cet événement annuel permet au grand public de découvrir le jardinage, devenir bénévole, se lancer dans un projet, et aux acteurs de la filière émergente de se rencontrer. La Cité de l’agriculture a été créée en 2015 à Marseille. Louis Roland l’un de ses animateurs explique « Qu’elle est née à partir d’un « constat hallucinant : la Métropole d’Aix-Marseille exporte 90% des fruits et légumes qu’elle produit et importe 90% de ceux qu’elle mange ». L’association participe aux 48h depuis 2018. « Cette année a été pour nous une grande réussite, même si nous avons dû annuler la deuxième journée à cause du mistral. L’événement a été très structurant pour le réseau avec 45 organisations et 72 événements programmés. Ils rassemblaient des particuliers, associations de commerçants, agriculteurs, etc. Grâce à ce type d’événement ces acteurs travaillent ensemble alors qu’ils ne l’avaient jamais fait auparavant ».
La Sauge accompagne ainsi la structuration des réseaux émergents de l’agriculture urbaine en rendant possible des synergies locales et à l’échelle nationale. L’objectif des « 2h de jardinage par semaine pour tous » est encore un idéal, mais ce projet permet d’entrevoir que la reconnexion à la terre passera sans doute par la structuration de ces réseaux d’acteurs, mais encore par des milliers de nouvelles petites mains vertes, qui pour beaucoup auront fait leurs armes dans les jardins et fermes urbaines de nouvelle génération, et auront pu transmettre à leur tour.
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