Le troisième week-end de janvier, 15 000 personnes se sont pressées dans l’ancienne halle de mécanique de l’École d’Application de l’Infanterie, à Montpellier. Pourquoi ? Pour « Tropisme est ouvert », le festival-crémaillère de ce tout nouveau lieu porté par la coopérative montpelliéraine Illusion et Macadam.
Cela fait plus de 10 ans qu’Illusion et Macadam, la coopérative spécialisée dans l’accompagnement de projets culturels, cherche l’endroit où poser un lieu de vie et de création, un creuset d’entrepreneuriat culturel et d’innovations artistiques. Mais à Montpellier, ville sans passé industriel, les friches sont rares. Le départ des écoles militaires, en 2009, va libérer de nombreuses emprises urbaines, dont la Caserne Guillaut, 12 hectares de bâtiments militaires datant de 1912, que l’aménageur de la métropole montpelliéraine, la Sa3M, veut transformer en cluster des industries créatives et innovantes.
Un quartier créatif
Dans ce futur quartier créatif, devraient cohabiter des entreprises (la métropole cherche encore l’entreprise leader qui tirera le cluster), de la formation (le groupe Icones a signé pour un campus regroupant les écoles d’arts, de photo et de graphisme ESMA et EPTA, et l’école de journalisme ESJ-Pro y est déjà implantée), des bureaux, des logements, et donc la Halle Tropisme, première à investir la friche.
Son écrin ? 4 000 m2 d’ateliers en poutrelles métalliques, réhabilités par la Sa3M, et concédés sur un bail de 11 ans au terme desquels l’aménageur se sera vu rembourser les travaux via le loyer de la Halle. La coopérative a, elle, pris en charge l’aménagement intérieur, conçu comme un village avec ses maisons, ses allées traitées comme des rues et des places. « Le village Tropisme, c’est là où on a mis toutes nos envies de regrouper l’art et l’entrepreneuriat, l’art et la technologie, la création et la formation. On crée un village de 250 personnes, et en même temps un espace public, parce que le lieu de vie et le lieu de travail sont en prise directe, sans cloisonnement », explique Vincent Cavaroc, directeur artistique du lieu, et l’un des moteurs de l’aventure.
Côté travail, la Halle s’est remplie. S’y côtoient des graphistes, des compagnies de spectacle vivant, des architectes, des bureaux de production d’évènements, des photographes, des éditeurs, de l’impression 3D, des agences de communication, des créateurs audiovisuels, des designers d’espaces virtuels et réels, plusieurs coopératives (d’habitat participatif, de traduction en langues des signes ), une agence de médiation scientifique, la coopérative Illusion et Macadam, et un café-restaurant.
Une ouverture artistique et festive
Côté lieux de vie, le festival Tropisme a permis d’avoir un aperçu des possibles. Sur les anciens ponts de mécanique reconvertis en scènes et en gradins se sont succédé concerts et performances. Dans la journée, de nombreux ateliers et workshops, pour les adultes autant que pour les enfants. Et des installations, sonores, numériques, visuelles, interactives.
Parmi ces installations, R.E.D., de Selma Lepart, est emblématique de ce qui se joue dans un creuset d’hybridation comme la halle Tropisme. R.E.D., comme Réponse Electro-Dermale, est une peau dont les écailles ondulent au double rythme de sa programmation initiale – une combinaison de plusieurs rythmes biologiques programmée par l’artiste – et de son interaction avec son environnement : le lieu, la lumière, et, bien sûr, le public. « Je tente de créer des œuvres qui évoluent dans leur environnement et dont l’auteur finit par s’effacer, comme un empire autonome ». Machine sensible, œuvre comportementale, R.E.D. est, comme sa créatrice, à la croisée des arts, des sciences, et des nouvelles questions de la production artistique.
Formée à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, Selma Lepart développe son projet au croisement de l’expérimentation scientifique et artistique dans le cadre d’un contrat CIFRE avec l’Agence Bipolar, installée à la Halle Tropisme, spécialisée dans la production d’œuvres qui font dialoguer sciences, arts et technologies. Avec l’intégration de la chercheuse-artiste, l’équipe de Bipolar veut pousser plus loin la confrontation arts, techniques et environnement, et s’engager dans un dialogue plus poussé avec ceux qui, parmi les scientifiques, s’interrogent de la même façon sur le sens de leurs innovations, et les développeurs numériques en quête de développement soutenable.
Dialogue, horizontalité, hybridation : les résidents de la halle Tropisme semblent prendre au sérieux l’idée d’une « great good place », d’un tiers-lieu qui ne soit pas le paravent d’une mutualisation des lieux de travail, mais un lieu de rencontre des savoirs et des cultures. « On ne se décrète par tiers-lieu, on fait tiers-lieu », dit Vincent Cavaroc. Le pari est lancé, et ses bases ont l’air aussi solides que les poutrelles métalliques de la halle.
En savoir plus sur la Halle Tropisme.