Makery

On a campé sur le toit de la Condition publique à Roubaix

Camping sur les toits industriels de Roubaix. © La Condition publique

«Habitarium» n’est pas qu’une exposition sur le futur de l’habitat face aux défis écologiques et démographiques. Jusqu’au 8 juillet, elle invite à dormir sur le toit du centre d’art de Roubaix. Makery a testé pour vous.

Roubaix, envoyé spécial

Cela faisait longtemps que je voulais visiter la fabrique culturelle de la Condition publique à Roubaix. Dès son ouverture dans le cadre de Lille 2004, capitale européenne, je m’étais intéressé à la rénovation culturelle de ce bâtiment du patrimoine industriel sous la direction de l’architecte Patrick Bouchain. Avec Habitarium, manifestation sur le thème de l’habitat portée par l’association Coal et son camping organisé par Yes We Camp sur le toit de la Condition, j’ai enfin trouvé l’occasion.

La rue intérieure de la Condition publique à Roubaix. © La Condition publique

Une nuit sur les toits de Roubaix

Après avoir réservé une « suite » au camping (une cabane en bois), me voilà parti pour passer une nuit dans ce campement spécial, conçu par Yes We Camp (j’avais déjà eu un aperçu de leurs campings éphémères montés à Marseille 2013 ou aux Grands Voisins à Paris).

J’arrive à Roubaix le vendredi soir et suis accueilli par Ute Sperrfechter et Willy Kedziora, qui coordonnent les actions culturelles et le camping. Le collectif Parasites anime la soirée en musique, on me suggère tout de suite de goûter leur bière de garde la Gadelière.

Ute me fait ensuite monter les étages pour m’installer sur le toit, découvrir ma « suite » trois places, les tentes et les espaces détente du camping. La vue sur le vieux bâti industriel de Roubaix est impressionnante et me plonge dans l’histoire du patrimoine industriel textile de la région. La Condition publique, construite en 1902 pour centraliser le conditionnement et le contrôle qualité des matières textiles, laine, soie, coton, a fermé en 1972. Il lui a fallu attendre une trentaine d’années avant d’être transformée en établissement public de coopération culturelle (EPCC), conservant son nom d’origine.

Aujourd’hui, le toit de la Condition offre un terrain de pétanque, un solarium bien orienté, et un « clapier » de microchambres pour campeurs à budget réduit. Ute m’explique que la douche traite les eaux usées par phytoépuration. Les Parasites dormiront là, tout comme quelques amateurs d’archi autoconstruite et des familles. Nous redescendons pour déguster la cuisine bio de Willy qui régale les clients de la buvette du camping.

Willy organise l’accueil du camping. © Ewen Chardronnet
La douche du camping. © Ewen Chardronnet
Le «clapier». © La Condition publique

La soirée ne finit pas tard, et je ne m’éternise pas : la fraîcheur de la nuit roubaisienne m’incite à aller me coucher. La nuit sera un peu froide, mais tranquille, je garderai tout de même quelques vêtements sur moi dans mon sac de couchage. Une nuit en camping dans le Nord.

Le lendemain matin, je retrouve les campeurs à l’espace petit-déjeuner. L’accueil est parfait, café, thé, pain, confitures, tout ce qu’il faut pour se requinquer. Les enfants semblent apprécier l’expérience. Willy et les gardiens me racontent leur difficulté à gérer les milliers de personnes qui ont convergé l’avant-veille pour une Boiler Room (ces soirées avec DJ-sets retransmis en direct sur Internet).

Les cabanes entre chien et loup. © Ewen Chardronnet
Petit déjeuner au camping. © Ewen Chardronnet

Après une petite sieste matinale et quelques mails gérés depuis ma cabane, je redescends pour déjeuner à l’Alimentation, le restaurant de la Condition publique. Cette fois, je suis parfaitement d’attaque pour visiter l’exposition.

Exposition laboratoire

Habitarium est conçue comme une saison laboratoire sur l’habitat avec une dizaine de thématiques fortes. La Condition publique s’est associée à la coalition sur l’art et le développement durable Coal et au Réseau Alliances d’acteurs de la région Hauts-de-France pour une économie plus responsable pour constituer un large comité de pilotage (la ville, la métropole, le Frac Grand Large, la Fondation Abbé Pierre et l’école d’architecture et de paysage de Lille -ENAPL).

L’exposition s’ouvre sur la traversée de La grotte de Xavier Veilhan, pour entamer une réflexion sur les modèles d’habitat et les villes tentaculaires. Le Famand Hannes Coudenys présente un inventaire humoristique des maisons les plus laides de Belgique pendant que Miriam Bäckström propose une série photographique sur des intérieurs illustrant nos modes de vie. On retrouve les villes tentaculaires visitées par Alex MacLean, depuis les amas de mobile homes jusqu’aux cités circulaires pour limiter les déplacements comme la Sun City en Arizona.

«Circular Housing Development – Sun City, Arizona». © Alex MacLean

Dans la section « Un toit pour tous », Sébastien Godefroy expose L’image n’est rien, résultat de trois mois à suivre un couple à Roubaix – et comment l’amour souffre ou aide à survivre dans un contexte économique difficile. Elisa Larvego présente ses photos des bénévoles dans la jungle de Calais, réalisées en 2016 pour le Perou (Pôle d’exploration des ressources urbaines).

Vue de l’installation vidéo «L’image n’est rien» (à g.) de Sébastien Godefroy. © Maxime Dufour

Du réemploi à la fabrication additive

A travers l’histoire, l’habitat transitoire et l’impact du changement climatique sont abordés. Annette Kelm est allée voir ce que sont devenues les maisons préfabriqués de l’Allemagne d’après-guerre. Laurent Tixador a construit une cagna à la manière des poilus, s’inspirant d’une série de cartes postales et de photos qu’il a patiemment collectées et qu’il expose à côté de son autoconstruction de bric et de broc. Le collectif nantais Wood Stock propose sa « maison des jours meilleurs » en kit, dont les éléments pré-usinés articulent plusieurs modules à monter rapidement.

La cagna de Laurent Tixador. © Maxime Dufour

Côté réemploi est montrée une sélection de projets de l’exposition Matière grise conçue en 2014 pour le Pavillon de l’Arsenal à Paris par l’agence Encore Heureux, qu’on retrouve en ce moment à la tête des Lieux infinis, le pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise.

L’agence Lacaton & Vassal vient questionner l’avenir des grands ensembles des années 1950-1970, s’opposant à leur démolition-reconstruction, préférant des adaptations/transformations de ces blocs, comme dans l’exemple de la métamorphose d’une barre réalisée avec Frédéric Druot dans la cité de Grand Parc à Bordeaux.

«Imaginaires de transformation: Lacaton&Vassal et Frédéric Druot», vidéo de l’exposition, Karine Dana:

Habiter 2030

La section Habiter 2030, manifestation d’un programme mené par les étudiants de l’école d’architecture de Lille, présente le projet Pile fertile pour résorber l’habitat insalubre dans le quartier du Pile à Roubaix par l’architecte Pierre Bernard et le paysagiste Axel Venacque. On découvre aussi les alvéoles imprimées en 3D d’Habiter sur mesure, pour reloger temporairement les habitants près de chez eux, imaginées par le collectif Y(waï)

Enfin, Malte Martin et Etienne Delprat proposent une maquette de la résidence Europe de Mons-en-Barœul à « habiter » avec des figurines et éléments Lego. Une manière ludique de compléter l’enquête réalisée en partenariat avec le syndicat de la copropriété de ces 547 logements.

Maquette de la résidence Europe de Mons-en-Barœul. © Ewen Chardronnet

Home sweet home

L’exposition fait la part belle à une installation monumentale du Camerounais Pascale Marthine Tayou, Home Sweet Home, nid perché à 5m, empli d’objets collectés ici ou là, masques, statuettes coloniales et bouts de meubles chinés, cages à oiseaux d’où émanent des sons, œuvre totem questionnant le « chez-soi » post-colonial.

«Home Sweet Home» par Pascale Marthine Tayou. © Maxime Dufour
Détail de la sculpture de Pascale Marthine Tayou. © Ewen Chardronnet

Enfin, en forme d’hommage à celui qui a pensé la Condition publique nouvelle, l’exposition présente les Bogues du Blat de Patrick Bouchain. Ces maisons-huttes sur pilotis construites dans le village rural de Beaumont en Ardèche illustrent le passage « de l’utopie à la réalité » défendue par Habitarium, une conception modulable et évolutive en concertation continue avec les futurs usagers.

Les Bogues du Blat (2009). © Construire

A la sortie de l’exposition, j’en profite pour visiter la Parcelle collective de la Condition publique, membre du réseau fablabs solidaires de la Fondation Orange, où je retrouve Thierry M’Baye, animateur, et Cyprien Heitz, fabmanager. On discute des scénarios locaux qui pourraient motiver un projet fabcity à Roubaix. Cyprien me fait la démo du projet Obase, du reconditionnement design et DiY d’ordinateurs, en cours de linuxisation.

Thierry M’Baye et Cyprien Heitz du fablab de la Condition publique. © Ewen Chardronnet

Thierry m’apprend également que le collectif les Saprophytes hébergé à la Condition Publique accueillera les 30 juin et 1er juillet la troisième rencontre du réseau Superville, sorte de G20 des collectifs d’architectes et de paysagistes. Qui seront de la partie ensuite pour un chantier participatif d’aménagement du canal, du 2 au 6 juillet, et rejoindront le festival Pile au RDV renommé Superpile, qui coïncide avec le dernier week-end d’Habitarium, du 6 au 8 juillet. De bonnes dates pour (re)venir !

En savoir plus sur l’exposition «Habitarium» et le camping (jusqu’au 8 juillet) et sur Superpile, du 31 juin au 8 juillet