Dégustation de pollution et commercialisation de l’air. A Londres, la journée de la Terre le 22 avril a rappelé à force d’installations artistiques et activistes que la planète bleue suffoque.
Londres, de notre correspondante
Dimanche 22 avril, midi sonnante. Au-dessus du bâtiment de Somerset House, on hisse un drapeau du Royaume-Uni dont l’intensité des couleurs change en fonction du niveau de pollution de la ville, une création du studio d’art et de science The Unseen. La journée de la Terre est déclarée ouverte.
Pour célébrer la planète bleue, les visiteurs, nombreux, s’adonnent à une dégustation de l’air urbain comme on goûterait des vins. L’œuvre est signée Michael Pinsky, artiste britannique qu’on avait déjà croisé lors de la COP21 avec L’eau qui dort, une installation dans laquelle il avait sorti des objets du canal Saint-Martin (vélibs, caddies, frigos…) pour les faire trôner au-dessus de l’eau.
L’air est dense et les yeux piquent
Dans la cour de l’institution culturelle londonienne, baignée ce jour-là d’un soleil radieux, il a construit Pollution Pods, cinq dômes géodésiques qui encapsulent une restitution de l’atmosphère de cinq villes du monde : Tautra en Norvège et son air pur, Londres, Sao Paulo au Brésil et Pékin en Chine, toutes trois en pollution modérée ce jour-là, et New Delhi en Inde, en situation d’« Airpocalypse ». Si l’ersatz de pollution est inoffensif (les nanoparticules générées par le diesel, par exemple, sont absentes du mélange diffusé dans les dômes), on respire mal, l’air est dense et les yeux piquent. « Ce n’est même pas un mauvais jour » pour la capitale indienne, nous apprend Michael Pinsky en nous montrant des photos du semi-marathon de la ville en 2017, alors que l’indice de qualité de l’air atteignait environ trente fois les limites recommandées par l’Organisation mondiale de la santé, donnant à l’événement sportif des airs de cataclysme.
« J’essaie de ne pas être trop didactique, de ne pas faire de la propagande mais bien de l’art », explique l’artiste. Pas question de montrer du doigt, donc : chaque ville a été choisie pour son type de pollution bien identifiable, plutôt que pour son niveau global, précise-t-il. Dans le dôme Pékin, on sentira donc l’odeur du charbon, tandis que Sao Paulo a des effluves d’alcool et de vinaigre – référence à l’éthanol, principale source d’énergie de la plus grande ville du Brésil. L’air de New Delhi est rendu irrespirable par les odeurs de brûlé, l’une des principales sources de pollution étant la culture sur brûlis, cette technique par laquelle les fermiers défrichent les champs par le feu pour préparer les terres.
Trouver refuge dans les caves
Si l’expérience de l’asphyxie urbaine est un brin angoissante, elle prend une nouvelle dimension avec le travail de Ayesha Tan-Jones, artiste pluridisciplinaire et activiste qui présente ce jour-là son court métrage Indigo Zoom: The Awakening, une « dystopie optimiste » à l’esthétique vaporwave et hautement DiY. Dans un futur proche ou une réalité alternative, l’air est devenu toxique et irrespirable – selon, en tout cas, le discours officiel du gouvernement du pays dénommé United Thingdom, qui, associé à l’entreprise Yonivel Cosmetix, privatise l’air et le revend aux citoyens. Le film suit un groupe de hackers d’hydrogène, Indigo Zoom, en mission pour trouver une source d’air pur. Un commentaire sur « le capitalisme et la commercialisation des besoins de base », explique Tan-Jones. En parallèle, elle anime un atelier pour créer des purificateurs d’air à partir d’aiguilles de pin, de sauge, de romarin, de rose ou d’écorces d’orange, infusés dans de l’alcool et dilués dans de l’eau à vaporiser.
«Indigo Zoom: The Awakening», Ayesha Tan-Jones, 2018 (en anglais):
Et si la solution à un futur dystopique était l’utopie d’un circuit ultracourt ? Depuis un mois, la coopérative Edible Utopia a installé dans les anciennes caves à charbon de Somerset House une ferme à champignons, alimentée notamment par le marc de café issu du restaurant de l’institution. Ils y ont également installé une ferme à vers pour faire du lombricompostage, cette technique de compost qui repose sur des vers pour digérer les déchets – eux aussi fournis par le restaurant.
Le compost sera ensuite utilisé pour nourrir les rhubarbes plantées par Edible Utopia avec les résidents de Somerset, légumes qui seront servis dans les cuisines de Somerset. « Pour boucler la boucle, ne reste plus qu’à faire pousser du café », réfléchit tout haut Tim Mitchell, l’un des quatre fondateurs de la coopérative. Il manque pour ça quelques degrés à Albion. Et on aimerait que ça dure.
En savoir plus sur la journée de la Terre à Somerset House où l’installation «Pollution Pods» est à voir jusqu’au 25 avril