Du 9 au 11 mars, Carrefour numérique2, le fablab de la Cité des sciences, accueillait le premier Queer hackathon en avant-première de la Queer Week. On y était.
Discrimination, féminisme, fachosphère, défense des droits… Au premier Queer hackathon, beaucoup de sujets sérieux auront été abordés entre deux éclats de rire. Ici, pas de chichis. On parle genre, sexe et festivités à venir tout en bidouillant au Carrefour numérique², le fablab de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris qui accueillait l’événement du 9 au 11 mars. Objectif ? Imaginer projets et prototypes répondant aux préoccupations de la communauté queer pour les présenter durant la Queer Week, une semaine de manifestations sur la question des genres et de la sexualité, dont la 9ème édition se déroule à Paris du 16 au 24 mars.
Principalement issus des communautés LGBTQ (lesbienne, gay, bi, trans, queer), la plupart des participants et participantes venaient à un hackathon pour la première fois et découvraient par la même occasion le fonctionnement d’un fablab. « Les profils sont très diversifiés, très intéressants, je suis ravi qu’il y ait autant d’inscrits », se réjouit Guy Mark Lifshitz, initiateur du Queer hackathon, en décrivant les parcours des 60 participants, statistiques en main. « 44% déclarent avoir des compétences en code et 17,5% se reconnaissent comme makers, c’est pas mal ! », artistes et militants LGBTQ composant le reste de l’assemblée. Tout au long du week-end, une bonne moitié d’assidus aura ainsi assuré la permanence, tandis que les autres se seront greffés en rotation sur l’un ou l’autre des quatre projets nés de ce premier hackathon.
Premier proto à sortir du lot : un dildo né du croisement improbable entre un rouleau à pâtisserie et un rouleau de peinture. Le projet global, baptisé Queer home, vise à détourner les objets du quotidien, en particulier les plus genrés. Pour faire simple, ceux que l’on retrouve dans la cuisine de maman ou dans le garage de papa.
Côté juridique cette fois-ci, spécialistes du droit et militants associatifs auront planché sur un site d’aide aux victimes de discrimination LGBT, qui permettra une analyse de la situation et proposera un courrier généré automatiquement ou une liste de recours possibles. « Le but, c’est d’éviter que la plainte se retourne contre les personnes qui peuvent être ensuite poursuivies pour dénonciation calomnieuse, par exemple par des médecins », explique Alexis, membre d’une association de lutte contre les discriminations homophobes.
Premier hackathon queer oblige, ce sont surtout les artistes qui sont à la fête avec les deux derniers projets : le site QueeRandom, une présentation aléatoire d’artistes, d’œuvres et d’histoires queer, et le musée virtuel Queer Museum, un panorama des cultures queer dans un environnement 3D finalement assez classique. « Notre démarche est à l’opposé d’un musée traditionnel : le but est de faire découvrir les artistes, leurs parcours, pas simplement d’exposer leurs œuvres, car les artistes queer sont très souvent méconnues », dit Nina, étudiante en design à Karlsruhe en Allemagne et membre de l’équipe Queer Museum.
Aux manettes du code sur Unity, Gabrielle, développeuse de jeux vidéos, s’étonne : « Je me retrouve curatrice d’un musée très sobre, pourtant, je ne suis pas habituée à faire des choses lisses, j’ai l’impression de nager à contre-courant ! » Elle reconnaît ne pas bouder son plaisir en créant habituellement des jeux textuels interactifs et érotiques. Avec Julie, troisième comparse de l’équipe et intermittente dans le cinéma d’animation, elle milite pour l’association Rassemblement inclusif du jeu vidéo qui défend la diversité dans une industrie souvent pointée pour son sexisme et sa misogynie ordinaire.
«La communauté queer est plus art que tech»
L’idée d’un hackathon queer a été lancée il y a quelques mois par Guy Mark Lifshitz. Arrivé en France il y a un peu plus d’un an, ce Canadien spécialiste des analyses de données s’est d’abord frotté au monde des start-ups. Rapidement, le besoin de se rapprocher d’une communauté LGBT à Paris, sa ville d’adoption, s’est fait ressentir. « Le milieu de la tech n’est pas franchement ouvert à la diversité. Et à Paris, la communauté queer est très orientée art et militantisme, pas tellement techno. » D’où l’idée de créer un hackathon queer, pour aider des personnes LGBT travaillant dans la tech à se retrouver sans pression.
« J’avais envie de mettre en contact des gens qui peuvent se sentir isolés dans leur vie professionnelle. Personnellement, je suis très timide et je sais que l’esprit compétitif de certains hackathons peut en freiner certains. Ici, ce n’est pas le cas. Lorsque j’explique comment ça marche à des personnes qui n’en n’ont jamais entendu parler, je leur dis simplement que c’est l’opportunité de mettre en commun des compétences différentes et de travailler sur un projet choisi librement, avec, derrière, l’idée de lancer des collaborations, d’apprendre et surtout de s’amuser ! » Pour monter son hackathon, il a d’abord fait son tour de veille des projets tech LGBTQ – « beaucoup d’applis de rencontre » –, avant de s’adresser aux organisateurs de la Queer Week et au fablab de la Cité des sciences pour leur proposer le projet.
«On accueille tout le monde»
« En travaillant sur la thématique déviation-cyborg-utopie pour cette 9ème édition de la Queer Week, c’était assez logique de partir sur un hackathon », expliquent Clément et Jeanne, membres du collectif.
« Ce hackathon aborde aussi une question centrale pour les fablabs, celle de dire “On accueille tout le monde”. Qu’est-ce que ça signifie concrètement ? », dit Mélissa Richard, médiatrice du fablab de la Cité des sciences depuis plus de quatre ans. Elle poursuit : « Au quotidien, nous faisons en sorte d’éviter les comportements discriminants, mais si cette ouverture à tous n’est pas clairement affichée, ce sont toujours les mêmes personnes qui viennent. Accueillir un hackathon spécifiquement queer permet de toucher un public qui ne serait pas forcément venu au fablab et d’envoyer un message à notre public habituel, à l’attention de personnes qui n’oseraient pas se déclarer, par exemple. »
Pour elle, le hackathon queer permet également d’alerter les secteurs de la tech et les fablabs. « Ces milieux restent très masculins, avec une majorité de trentenaires blancs possédant un niveau d’études assez élevé. Les quelques personnes LGBT qui arrivent à se frayer un chemin là dedans vont plutôt essayer de se planquer pour ne pas être exposées à des remarques, à des discriminations voire à des entraves dans leur progression de carrière. Avec ce hackathon, ce sont les gens de la communauté queer qui se rassemblent plutôt que d’aller investir le milieu maker. Et ça marche. Car en non-mixité, on prend confiance, on peut discuter avec des personnes qui connaissent les mêmes problématiques que soi. »
Le programme de la Queer Week