TechShop en faillite, labs liquidés, la Casemate incendiée… 2017 a apporté son lot de mauvaises nouvelles. On peut résoudre l’équation économique des labs, dit Yann Paulmier, cofondateur de la Machinerie.
Si l’on faisait un palmarès des sujets qui ont amené le plus de débats et d’échanges au sein de la communauté française des fablabs, la question de leur modèle économique figurerait en bonne place. Elle était déjà au centre de l’appel à projets mené par la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, lancé le 25 juin 2013 pour soutenir la création et le développement de fablabs partout en France. Le rapport publié par la direction générale des entreprises en avril 2014, Etat des lieux et typologie des ateliers de fabrication numérique : Fab Labs, proposait des pistes intéressantes. Elle a également été largement débattue lors des différents Fablab Festival de Toulouse les années suivantes. Mais en ce début 2018, elle semble plus que jamais d’actualité.
Une année charnière
Ces douze derniers mois ont été riches en événements, annonces et rebondissements divers. En novembre, le feuilleton TechShop US (faillite, reprise, échec des négociations..…) a surpris tout le monde en remettant en cause la solidité d’une initiative que beaucoup considéraient comme un modèle. Le même mois, un article du consultant en innovation australien Andy Howard largement commenté, mettait en avant les difficultés des labs d’entreprises à faire la preuve de leur utilité et à se maintenir. En France, l’année 2017 s’est ouverte par la liquidation du fablab de Gérardmer dans les Vosges. En mai, c’était au tour du NavLab d’Antibes de fermer.
Quelque temps plus tard, on apprenait la liquidation d’Artilect Lab, la structure entrepreneuriale du fablab de Toulouse, et une levée de fonds d’1,6 million d’euros par ICI Montreuil pour un essaimage de son modèle de « manufacture collaborative ». Ces deux projets faisaient partie de la promotion des quatorze lauréats de l’appel à projets de 2013. Or, si l’on regarde la situation de l’ensemble des lauréats, on constate des destinées très hétérogènes.
Un rapide bilan à fin 2017 sur les quatorze projets retenus à l’époque nous apprend que :
⦁ 3 structures sont en liquidation (FabShop, Tradmatik et Artilect Lab) ;
⦁ 1 projet a changé de nom et de structure porteuse (Fabmake à Nantes devenu Ma Manufacture) ;
⦁ 3 structures sont en phase d’essaimage (ICI Montreuil, Usine IO et le LabFab) ;
⦁ 2 projets ont élargi leur offre en ajoutant une dimension coworking, incubation, etc. (zBis, le 8 Fablab Drôme) ;
⦁ 4 sont restés assez proches de leur projet de départ (MancheLab, FabLab Côte d’Opale, Fablab orléanais, Smart Materials) ;
En élargissant un peu le spectre et en se référant à la récente enquête de Makery sur les labs, on s’aperçoit que beaucoup d’initiatives ont passé en 2017 le cap des trois ans, une période habituellement considérée comme la plus « à risque » dans le cadre d’une création d’entreprise. L’année 2017 aura donc été pour beaucoup une année charnière.
Les premiers enseignements
Au-delà des constats, peut-on commencer à tirer quelques enseignements de ces événements ? Selon Armand Hatchuel, professeur à Mines ParisTech, dans un récent article, « au début du mouvement, la question [du modèle économique] ne se posait pas. Aujourd’hui, avec la maturité et l’expérience acquises, l’invention de modèles de gestion adaptés devient une condition de leur survie ». Il est donc urgent de partager les bonnes pratiques pour assurer la pérennité du mouvement maker en France. Sur ce point, le Réseau français des fablabs (RFFLabs) prépare un Livre blanc qui devrait être un outil utile au service de l’ensemble des acteurs impliqués.
En attendant sa publication, on peut déjà trouver des ressources intéressantes dans la documentation présente sur la plateforme des tiers-lieux Movilab (notamment avec cet article sur les modèles économiques), ou encore dans les fiches d’explorations publiées sur le site du MakerTour. Il n’existe bien sûr pas de formule magique, mais on peut mettre en avant trois tendances en matière de modèle économique.
Inscrire le fablab dans un ensemble de services
Beaucoup de labs ont (dès l’origine ou au fur et à mesure) développé une palette de services large allant du coworking à l’incubation d’entreprises en passant par des espaces buvettes, des salles de réunion ou d’exposition louées à des structures extérieures… On peut citer par exemple zBis qui a intégré un espace de 800m² incluant des salles de réunions, du coworking, etc. On peut parler également d’Artilect, associé au projet Le Multiple qui réunit différentes composantes au sein d’un site en constante mutation. Ou encore tout récemment, les Beaux Boulons en plein déménagement vers un lieu plus vaste. Cette diversification des types d’espaces et d’usages permet également d’apporter au lab des sources de revenus via la location d’espaces, la vente de boissons, l’accueil d’événements, bref des services plus « classiques », ou du moins pour lesquels le grand public est plus habitué à payer que pour un abonnement à un fablab par exemple.
Développer la formation
La deuxième piste intéressante à explorer est le développement d’une activité de formation. Une grande partie des labs proposent déjà un programme d’ateliers, de workshops et de formations. Il s’agit souvent de permettre aux membres de la communauté de monter en compétence sur les machines disponibles au sein du fablab (découpeuse laser, imprimante 3D, fraiseuse…). Parfois, ces workshops reposent sur la réalisation d’un projet ou d’un objet en lien avec l’actualité (fabriquer ses décorations de Noël, son cadeau de fête des mères, etc.). On peut même trouver dans certains lieux des stages dédiés à la bidouille et au DiY durant les vacances scolaires.
Disposer ainsi d’un large catalogue de formations peut être une source de revenus non négligeable pour un lieu. Mais il est possible d’aller encore plus loin et de proposer des formations longues, et pourquoi pas qualifiantes. L’initiative Grande école du numérique a ainsi permis à plusieurs structures du réseau des fablabs (comme les Fabriques du Ponant ou la Machinerie) de formaliser une offre de formation accessible à tous autour des métiers du numérique. Ces formations longues (généralement sur des périodes allant de trois à six mois) sont complémentaires des formats d’ateliers plus classiques. Elles permettent de faire monter en compétence des personnes qui pourront s’investir dans la communauté par la suite. Elles permettent également de tisser des liens avec d’autres acteurs locaux pour accueillir les apprenants en stage. Enfin, s’engager ainsi vers des formats longs permet aux labs de mettre un pied dans l’univers de la formation professionnelle, qui manque souvent d’acteurs capables de proposer des offres pertinentes en matière de numérique.
Communautés de compétences
Une autre piste ambitieuse mais passionnante est le développement d’une communauté de compétences. La place centrale dédiée au partage dans les fablabs et une grande partie des tiers-lieux a pour conséquence d’attirer des gens de profils différents, et donc de créer un grand vivier de compétences. A partir de ce constat, plusieurs initiatives ont été développées pour permettre à ces communautés de se fédérer pour trouver des clients et réaliser des prestations.
A Lyon, l’Atelier traditionnel technologique ouvert et mutualisé (Attom) a été créé pour rassembler en un lieu des artisans et des entrepreneurs désireux de mutualiser un espace de travail et de partager des compétences. Il devient ainsi possible de réunir celles-ci pour répondre à une commande, ou de sous-traiter certaines prestations en cas de pic d’activité. Le principe est pratiqué depuis déjà plusieurs années à ICI Montreuil où l’objectif, selon Nicolas Bard, est « d’aider [les] résidents à développer leur business. A ICI, on leur donne les moyens de générer leur chiffre d’affaires ». Dans ce cas, l’identité commune apporte une visibilité supplémentaire et permet de décrocher de nouveaux marchés.
Mais on peut aller encore plus loin en matière d’intégration. A la Myne, les résidents expérimentent l’entrepreneuriat coopératif via un outil juridique baptisé Coopérative d’activités et d’emplois (CAE). Dans le cadre d’une CAE, il est possible pour un entrepreneur d’obtenir un statut de salarié, tout en conservant la liberté de développer son activité. Les fonctions support (comptabilité, paie, etc.) sont mutualisées au sein de la Coopérative qui se finance via une commission sur le chiffre d’affaires généré.
Tous ces modèles ont en commun de s’appuyer sur la force du collectif pour mutualiser les charges et développer les opportunités économiques.
Le faux débat de la rentabilité
Si l’actualité des derniers mois a nourri le discours de ceux qui professent le déclin des labs, ces expériences montrent qu’il n’y a pas de fatalité. De nombreuses pistes existent. Les premiers enseignements des expérimentations qui ont fleuri ces dernières années commencent à être diffusés. Ils vont nourrir la réflexion collective et permettront de consolider les initiatives qui cherchent encore leur rythme de croisière.
Grâce à la documentation et au partage des bonnes pratiques, le mouvement apportera des réponses à ceux qui utilisent l’argument de la non-rentabilité comme preuve que les labs sont utopiques. Car poser la question du modèle économique des fablabs comme s’il ne pouvait y en avoir qu’un seul, c’est oublier que chaque lab est unique, et qu’il est le reflet de sa communauté et de son territoire.
Retrouvez les précédentes chroniques de Yann Paulmier (la Machinerie, Amiens) pour Makery